Elle court
Coucou ça va ? Ça fait tellemeeeent longtemps qu'on s'est pas vus vous m'avez manqué. Aujourd'hui un vieux défi réécrit, parce qu'avant, c'était franchement pas ça. Bref fallait faire un texte sur plusieurs dessins de LaPlumeDesReveurs (tu nous manques sale folle) mais comme tordre les sujets c'est mon truc dans la vie j'ai fait sur un seul des dessins. Donc. Bonne lecture !
(1011 mots)
Elle court. Elle court, encore et toujours, et ce depuis sa naissance, toute sa vie et jusqu'à sa mort.
N° 93 023 est faite pour ça. Elle n'a pas de nom, pas d'identité. Uniquement de quoi courir, même pas de quoi vivre.
Car ce n'est pas une vie.
Aussi loin qu'elle s'en souvienne, n° 93 023 a toujours couru. Elle ne se rappelle pas l'avoir appris, elle ne se souvient même pas de sa naissance. Sa vie, si l'on peut dire cela, se résume à un seul verbe, un maître-mot.
Cours.
Toujours plus vite. Cours et tu survivras. Ne t'arrête jamais, jamais. Sinon tu ne servirais à rien. Et les outils qui ne servent à rien, on les relègue au fond d'un tiroir, ou on les recycle. Donc cours, aussi longtemps que tu le pourras, jusqu'à ce que tu ne puisses plus, jusqu'à ce que tu ne fonctionnes plus. Alors tu arrêteras d'être, ta pitoyable existence prendra fin.
Alors elle court, et lorsqu'elle veut s'arrêter, un terrible instinct, une peur panique la prend au corps, alors elle se relève, elle doit continuer, elle le sait, elle le sent, vite, avant qu'ils ne le remarquent, alors elle se remet à courir, aussi furtivement qu'elle a ralenti. Aucune issue à son calvaire.
Ce calvaire, en vérité, n'en est pas un. Comment se plaindre de notre herbe sèche si l'on n'a jamais vu celle, verdoyante, du voisin ? Pour n° 93 023, c'est normal de courir, c'est dans sa nature et c'est tout. Elle ne sait pas pourquoi les autres personnes ne courent pas. Elle ne s'est jamais posé la question puisque ce n'est pas son rôle. Ça ne l'intéresse pas. Savoir pourquoi ceux qu'elle voit tous les jours ne courent pas, ça ne l'aidera pas à mieux courir alors elle ne cherche pas à le savoir.
De toute façon, les gens ne lui répondraient pas.
Elle a l'impression d'être transparente. Quand elle articule bon-jour d'une voix appliquée, leur regard glissent sur elle comme s'ils ne la voyaient pas et grognent des mots dont elle ne comprend que certains mots comme cloche, abrutie, idiote. Pourtant, quand elle regarde sa main, elle la voit bien, même si elle est brouillée par la vitesse. Et elle est persuadée de parler français comme eux. Mais ce n'est pas grave, ça ne l'empêche pas de travailler, donc elle reprend sa course et elle oublie ses questions inutiles.
Une fois, une vieille dame l'a invitée à entrer. Elle lui a dit venez prendre une tasse de thé, j'en fais toujours beaucoup trop. La vieille dame, elle parlait sa langue, même si le mot thé lui était étranger, et la vieille dame, elle la voyait. Au début, n° 93 023 n'a pas voulu entrer. Elle était persuadée qu'il fallait s'asseoir pour boire quelque chose, et lorsqu'on s'assoit on ne peut pas courir. Mais la vieille dame a insisté, je me sens seule avec ce confinement, avec mon fils qui est loin, venez, ça me fera plaisir. Ne sachant pas trop quoi faire, n° 93 023 l'a suivie à l'intérieur. À l'intérieur, c'était beau, confortable, chaleureux. Elle s'est assise sur une chaise pour attendre le thé, c'était mou et le thé chaud. Elle se sentait bien. C'était peut-être ça, ce que les gens appelaient paradis. Ce mot était très doux, rêveur sur sa langue, comme les petits gâteaux au miel. Elle l'aimait bien, ce mot. Elle décida de l'adopter.
La vieille dame lui fit la conversation. Elle lui parla de son fils qui était loin, et de son mari qui l'était encore plus. N° 93 023 n'écoutait pas trop, elle haussait les épaules parce qu'elle ne comprenait pas tous ces mots compliqués, et elle souriait parce qu'elle était heureuse. Elle n'avait jamais connu cette impression, c'était comme si la vieille dame lui avait montré toutes les portes dissimulées dans son univers étriqué, comme si elle pouvait aller partout à la fois, c'était fabuleux, ce sentiment, et puis il y avait son mot adoptif, Paradis, il grandissait bien, il devenait à chaque instant plus réel, plus magique.
Et puis la vieille dame a dit il se fait tard, mais c'était un plaisir, si vous repassez un jour n'hésitez pas à revenir. N° 93 023 avait souri, vraiment souri, pour la première fois, elle voulait bien revenir, et peut-être adopter d'autres mots, comme doux, doux il la faisait rêver.
Puis n° 93 023 a retrouvé la froideur de la rue, la pluie, les gens étrangers et aveugles. Son Paradis s'éloignait, s'effaçait, déjà sa promesse de recueillir d'autres mots s'en allait. Elle les suppliait, ne partez pas, mais ils s'effaçaient, et déjà elle oubliait, avait-elle vraiment vécu ce moment de bonheur absolu ou était-ce un doux rêve ? Mais elle devait partir, se rappela-t-elle soudain, plantée là sur le trottoir, sous la pluie. Elle avait du travail, elle devait courir, l'avaient-ils vue ? combien de temps s'était-elle arrêter, cinq minutes ou trois heures ? Alors elle se remit à courir. C'était plus laborieux, plus difficile qu'habituellement, elle était comme rouillée.
Peu à peu, au fur et à mesure qu'elle prenait de la vitesse, ses souvenirs se brouillaient. Son paradis s'en allait.
Quelques heures plus tard, elle sentait que quelque chose lui échappait. Elle se rappelait bien avoir fait quelque chose de mal, qu'elle n'aurait pas dû faire, mais quoi ? Plus elle tentait de se souvenir, plus la sensation s'effilochait, devenant plus diffuse.
Oh, et puis ça n'avait pas d'importance. Elle courait toujours. Rien n'était grave alors.
Bientôt l'incident fut totalement effacé de sa mémoire. Elle ne gardait que l'essentiel. Cet événement n'était pas essentiel, il passait donc à la trappe.
Elle recommença son ouvrage sans fin, les gens recommencèrent à ne pas la voir. Elle retomba dans cette douce ignorance.
Elle était pièce d'une redoutable mécanique, pion manipulable d'un gigantesque plan. Les pièces des machines, les pions des plans n'avaient pas besoin de réfléchir, juste d'être et de se laisser guider.
Oh, vraiment, le plan était parfait. Même si on la laissait goûter brièvement à la liberté, ce souvenir dérangeant disparaissait immédiatement.
Bien que, à présent, Deliveroo l'engage toute l'année comme livreuse, elle resterait à jamais une pauvre cloche de Pâques.
Eh oui c'est encore moi ! Juste parce que ce texte avant c'était juste des réfs à Rick Riordan, donc hum, et maintenant c'est une immense réf voilée à 1984 (Orwell a failli apparaître mais ça cassait le rythme), qu'une certaine personne doit lire ce week-end et que vous devez tous lire ce week-end (:D). Ah et aussi le dessin ci-dessous que je mets à la fin pour pas vous spoiler? J'espère que ça chargera cette fois grr. Bon je vous laisse vraiment tranquilles cette fois, bon week-end (et bon confinement (update : en fait non)) !
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