Concours des destinées radieuses - Couverture cartonnée, verso

Deux pages. Ma vie devra tenir en deux pages.

Finalement, j'ai décidé de la raconter un peu, parce qui est-ce que mes digressions intéresseront, hein ? En même temps, ma vie ne vaut pas tellement plus.

Du coup, je vais devoir faire preuve d'organisation et d'efficacité, comme à l'école avant, les synthèses qui devaient tenir en un certain nombre de mots - encore une digression.

Je m'appelle Daman Lestat, j'ai dix-sept ans, presque toutes mes dents - pas que j'aie encore des dents de lait, plutôt que certaines sont tombées avant l'heure - et vingt-sept cicatrices. Enfin, ça, c'était avant hier. Maintenant, ça doit dépasser les trente-cinq, et demain, ce sera plus rapide de compter les parties intactes de la peau de mon cadavre. Demain, donc, je vais mourir, tué par des tigres ou des loups, je ne sais pas, à moins que je n'en finisse moi-même, mais j'aurai des spectateurs alors autant mourir dignement, et je ne peux pas me tuer maintenant, parce que, déjà, je n'ai pas fini d'écrire, et ensuite, si ma respiration et les battements de mon cœur s'accélèrent trop ou au contraire ralentissent, des gardes débarqueront dans ma cellule pour me sauver en vue du festin de demain soir. Ce serait dommage que je loupe la fête, quand même, apparemment il y aura de l'animation et même des gladiateurs.

Hier, six gardes me sont tombés dessus. Je suis fort, mais pas tant que ça apparemment. Au moins, je suis sûr de leur avoir laissé à chacun au moins deux cicatrices pour leur rappeler à mon bon souvenir quand je nourrirai les vers - et les lions. Comme je ne suis pas invincible, ils ont fini par m'assommer et m'ont traîné ici, dans une cellule pourrie d'une prison pourrie dans une ville pourrie.

Moi, à la base, je suis un campagnard, mais le problème c'est que j'étais un campagnard pauvre, comme tous les campagnards. Malgré ce que semblent penser les milliardaires de la capitale, les pauvres ont besoin de nourriture, donc les pauvres volent. Mais les voleurs finissent toujours par se faire attraper, et voilà où j'en suis.

Rétrospectivement, j'aurais pu m'en sortir si j'avais mieux agi. Je ne suis pas un ange, moi, j'ai volé, et pas que les riches, j'ai tué, et pas que les gardes, j'ai trahi, et pas que des gens qui le méritaient. Je suis loin d'être un ange, mais si j'en avais été un peu plus proche, les choses se seraient peut-être passées différemment. Avec ma vie, on ne survit pas sans alliés, mais ça je l'ai compris trop tard et je n'en ai plus depuis longtemps. Fort, peut-être, mais personne ne résiste à deux escouades réunies. Malin, peut-être, mais les rumeurs et les réputations vont vite, donc ça faisait longtemps que personne ne me faisait plus confiance. Alors personne ne viendra. Je crèverai, comme j'ai vécu, seul.

Ce n'est pas par plaisir que je ne faisais confiance à personne. J'aurais bien aimé, l'équipe unie dans son malheur, le pouvoir de l'amitié, mais j'arrivais pas. Je ne pensais qu'à survivre. Encore. Une seconde après l'autre. Et chacune de ces secondes précieusement gagnées étaient une preuve que j'avais raison, parce que les autres imbéciles en gangs qui organisaient des missions sauvetage perdaient et leurs amis et leurs vies. Moi je traçais ma route, seul mais vivant. Enfin, je n'étais pas mort, mais pas vivant non plus. J'étais quelque chose entre les deux. J'avais tué l'enfant grandissant en moi pour survivre. Une coquille vide mais pas morte. Et une seconde, toujours une seconde.

J'avais un surnom. Daman l'Impitoyable. C'était nul, digne d'un mauvais roman, mais c'était mieux que Daman le Juste ou le Bon. Après, j'aurais préféré qu'on m'appelle Daman le Vivant, pour être sûr. Parce que peut-être que tout ça n'était qu'un rêve, un rêve éveillé qui semblait durer des années, alors qu'en vérité j'étais en train de mourir. J'avais frôlé la mort tellement de fois, comme en témoignent mes plus de trente-cinq cicatrices, que je ne pouvais pas être sûr. Si seulement, à l'époque, il y avait eu quelqu'un, pour me secouer après une fusillade ou une bagarre, me demander si j'étais vivant. Quelqu'un pour qui je serais peut-être mort, qui m'aurait peut-être poignardé dans le dos, mais je serais mort vivant. Alors que demain - ce soir plutôt, les cloches ont sonné depuis minuit -, lorsque je mourrai, je serai déjà mort de l'intérieur depuis longtemps.

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