Alors on y est. La dernière page. De ce carnet comme de ma vie. En passant, si ma vie est ce carnet, alors elle est trop courte et boueuse. Ça la représente bien, je trouve.

J'ai compté mes cicatrices. Seulement trente-trois. Je prends ça comme un signe de bon augure. J'ai un peu dormi, finalement. J'ai fait le même rêve que d'habitude. Un patchwork rassemblant tous les pires souvenirs de ma vie en une bataille. Ce sera la dernière.

J'ai pas envie de clamser, merde. Je veux vivre. Encore une seconde. Mais c'est pas comme hier et tous les jours avant mon arrestation. Je vais pas m'accrocher inutilement, me tuer pour survivre. J'ai le droit à une promenade d'une heure, c'est ce que j'ai dit comme dernière volonté. J'essaierai même pas de m'enfuir, ou peut-être une fois, pour jouer à chat avec les gardes.

Je n'ai pas tenu longtemps. Dès que j'ai détaché mes liens, ils ont sorti leurs mousquets. Ils ont le droit de tirer pour moi, apparemment, parce que je suis parmi les dangereux délinquants. Ils m'ont au moins accordé ça. Mais abattu à vue, c'est vraiment pas une vie, alors je ne suis pas allé très loin, et finalement c'était plus un cache-cache. J'aimerais dire que je me suis fait des amis, mais lorsqu'ils ont compris que je n'avais aucune intention de fuir, ils ont dû me détester encore plus. Dommage. J'aurais pu accéder au pouvoir de l'amitié.

Après, j'ai essayé de m'intégrer parmi les autres prisonniers. J'ai même joué les justiciers en menaçant et humiliant un imbécile qui se prenait pour un grand criminel et martyrisait toute la prison. Ce soir, quand je mourrai, il recommencera, donc ça ne sert à rien, mis à part à accorder quelques heures de répit à ses cibles. Je donnerais tout pour voir sa tête quand je mourrai ce soir et qu'il comprendra que je me suis payé de sa tête. Ça vaudrait presque le coup de survivre, mais j'ai dit que j'arrêtais avec ça. Juste mourir vivant. Même si je ne survivrai pas, je me sens revivre. Ça fait tellement longtemps que je n'ai pas passé une journée dans une telle insouciance. En fait, ce n'est probablement jamais arrivé.

Parce que ce soir, je vais mourir, et c'est pas grave. Enfin, j'essaie encore de m'en convaincre. Je sais bien que s'il y avait un échappatoire facile, je ne résisterais pas, et je m'enfuirais pour recommencer comme toujours. Mais cette prison est plutôt bien gardée, je suis un dangereux délinquant, après tout, et j'ai abattu ma seule carte, l'effet de surprise, tout à l'heure. Donc, c'est fini pour moi. D'ailleurs, ce carnet l'est presque aussi.

Ce carnet est ma troisième option. J'en avais deux : survivre sans vivre et mourir déjà mort, les deux à peu près aussi alléchantes l'une que l'autre. Mais avec ce carnet je surviv... non, je revivrai, et je vivrai pour toujours grâce à ces mots. Je mourrai vivant, à nouveau.

Le soleil se couche. Ils viendront bientôt. Ils ne me reste plus beaucoup de temps. Je ne sais toujours pas quel animal me tuera. Tant que je suis vivant.

Les cloches sonnent huit heures. Combien de temps me reste-t-il ? Il faut que je cache le carnet, mais pas maintenant. J'ai une dernière chose à dire. Laissez-moi encore une seconde. Une seconde non pas pour survivre, mais pour revivre. (Ils arrivent. Je les entends.) À tous les pauvres que j'ai volés, les innocents que j'ai tués (ils sont devant la cellule), les alliés que j'ai trahis (ils ouvrent la porte), pardonnez-m

Témoignage n° 33

L'accusé Daman Lestat (date et lieu de naissance inconnus) admet ses fautes : vol ; meurtre de civils ; (tentatives d') attaque contre les représentants de l'ordre.
Il a ensuite des propos intéressants sur la pauvreté et la justice hasardeuse de l'époque.
Malheureusement, les excuses qu'il fait dans les dernières lignes à ses victimes n'étant pas complètes, il serait mal vu et contre-constructif d'utiliser ce carnet à des voies argumentatives.

Dr Rechtvaardigen, membre co-fondateur et vice-président de l'Organisme de Défense et de Réhabilitation Posthume des Condamnés à Mort (ODRPCM)