Dernière seconde
" Ma puce, attache ta ceinture ! La route est mauvaise et il fait nuit !
_ Mais Maman, elle me fait mal ! Et puis elle sert à rien !
_ Attache toi !
Elle se tourne vers ma soeur.
_ J'ai pas envie !
_ Maman !! Mam... ! "
Ma mère n'a pas vu la voiture en face.
Moi, je l'ai vue. Une Peugeot 3008 gris métallisé. Immatriculée PG 4582 EN. Un phare est cassé. Une jeune femme est au volant. Blonde, la trentaine. Elle panique quand elle nous voit, arrivant à contre-sens.
Le temps devient visqueux, comme du miel. Il s'écoule goutte à goutte. Des gouttes de temps. Je suis étrangement calme. Mes sens s'affûtent. Je sens ma respiration, mon coeur qui bât. Je vois les étoiles briller dans le ciel. J'entends le souffle du vent à l'extérieur. Je vois les feuilles des arbres onduler au vent, et la voiture se rapprocher de la nôtre. Lentement. J'entends ma mère hurler, son cri me semble une longue plainte très grave. Tiens, une mouche est écrasée sur le pare-brise.
Je ne panique pas. Je ressent comme une sensation de détente, d'éternité. Plus de peur, plus de colère, de douleur, de haine, plus aucune de ces émotions qui font de nous des humains. Juste une immense paix intérieure.
Choc. Nos voitures s'embrassent. Je sens la tôle se plier, au ralenti, je sens le châssis encaisser l'effort. Je vois la jeune femme, son portable sur la plage avant. Elle n'en aura plus besoin. Je sens ma tête partir en avant, chaque vertèbre se déplaçant par rapport aux autres, dans un petit claquement sec. Ma poitrine s'écrase contre la ceinture.
Et puis la voilà. Ma soeur. Passant comme un boulet de canon entre moi et ma mère, qui continue de crier. Nos regards se croisent. En cet instant, nous nous comprenons. Nous nous pardonnons. Nous revoyons tous nos souvenirs communs, dans un éclair. Le jour où je l'ai poussé dans le bac à sable. Le jour où nous avions ramené une mauvaise note, elle et moi, et où nous étions partis pleurer ensemble dans ma chambre après la correction de Papa. Le jour où je l'ai vue faire ses premiers pas. Tous.
Sa tête heurte le pare-brise. Il se fissure, créant comme une auréole autour de son visage. On dirait un ange...
L'airbag se déplie. J'entends le gaz siffler à l'intérieur, je le vois se gonfler doucement. Trop tard pour ma soeur. Je ne vois plus la jeune femme en face.
Le temps reprend sa consistance habituelle. J'entends le métal qui ploie, ma tête s'enfonce dans l'airbag.
Black-out.
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