Chapitre 4, Partie 2:
L'endroit était petit mais fonctionnel avec un espace pour la toilette et un autre pour la cuisine qui ne servait que rarement, la plupart des résidents mangeant au réfectoire. Quelques objets personnels étaient disséminés ça et là ; une photo sur le bureau, un dessin réalisé par Europe accroché au mur, mais la pièce en elle-même restait plutôt sobre, à la limite de l'austérité.
Le garçon embrassa son grand-père, habillé comme s'il était sur le point de sortir — à moins qu'il ne vienne juste de rentrer —, et le salua avant de filer s'affaler sur un fauteuil en rotin en face d'une immense baie vitrée entrouverte.
Par un interstice arrivait un air doux mais mouillé, porteur de senteurs de nature mouillée, et les vitres étaient mouchetées d'une pluie fine. Alors qu'une brise un peu plus forte que les autres s'engouffra dans la pièce, une fine chair de poule recouvrit les bras et la nuque d'Europe.
« J'étais sur le point de sortir faire une promenade, ça ne te dérange pas de venir avec moi ? Nous pouvons très bien parler de ton devoir en marchant et puis il ne pleut pas très fort, dans les sous-bois nous devrions être au sec. »
Seljord jeta un regard à son petit-fils tout en terminant de boutonner sa veste. Il avait l'air ennuyé et ses yeux papillonnaient de façon nerveuse vers Luna qui faisait mine de ne rien voir.
« Il y a un souci ?
— Luna est presque tombée dans les pommes tout à l'heure.
— C'est faux. Et arrête tout de suite, mon canard ! Regarde ton grand-père, il s'inquiète maintenant ! Oh, ne dis pas le contraire, je vois bien que tu t'inquiètes ! Et ce n'était pas un malaise, mon lapin, mais une simple fatigue passagère, cela n'a rien à voir ! Alors vas t'assoir avec ton petit-fils, raconte-lui tes histoires ou bien allez vous promener, faites ce que vous voulez mais arrêtez de me regarder comme si j'avais déjà un pied dans la tombe ! »
Tournant les talons, elle se jeta sur la kitchenette et entreprit de préparer du café avec des gestes nerveux en grommelant.
Elle semblait avoir retrouvé toute sa vitalité, songea Europe en enlevant le plaid recouvrant le dossier de son siège pour en envelopper ses épaules. Discrètement et profitant que son grand-père ait le dos tourné, il la renifla et sentit son cœur se gonfler d'un mélange d'amour et de tristesse. Cette chaise en rotin avait été celle de sa mère. A chacune de leurs visites, c'était là qu'elle s'asseyait et ce châle avait passé tellement de temps à la protéger des courants d'air qu'il portait encore son odeur.
Entendant la solide carcasse de Seljord entrer en collision avec les ressorts du canapé, il sortit, s'échappa du nuage parfumé et récupéra de quoi prendre des notes dans son sac.
« On va commencer par tes parents, annonça-t-il en notant ce mot qu'il souligna et encadra avec soin.
— Très bien, que veux-tu savoir ?
— Je ne sais pas... Je pensais que tu allais raconter, comme d'habitude, répondit Europe, pris de court et un peu déçu.
— Je pourrais, mais il n'y a pas assez de matière dans la vie de tes arrière-grands-parents pour en faire une de ces belles histoires que tu affectionnes.
— Oh... »
Europe ne put s'empêcher de se sentir légèrement frustré. Il avait imaginé pour ces deux personnes dont il ne connaissait rien une vie palpitante, faite d'aventures et d'épopées grandioses, pas une petite vie tranquille réglée par le train-train quotidien.
« Mais il y a tout de même quelques petites choses que je peux te dire. Mes parents se sont connus dans une très grande ville et leur première rencontre ne fut pas des plus marquantes. En réalité, ils se croisaient presque chaque jour mais sans que l'un fasse attention à l'autre et puis un hiver, alors qu'ils faisaient la queue dans le même café, ils ont entamé une conversation. Ils partageaient le même goût de la nature et des grands espaces et tous deux ne se sentaient pas à leur place dans cette jungle de gratte-ciel envahie par des hordes de voitures et de gens pressés. Trois ans plus tard, ils partaient ensemble dans le nord du pays, laissant tomber études et famille pour ouvrir un modeste petit magasin de souvenirs dans un village de carte postale au bord d'un lac immense. Au fil des années, leur commerce se diversifia, ils commencèrent à vendre les produits des artisans locaux puis finirent par louer des canoës l'été et des guides de randonnée en raquette l'hiver. Nils, mon frère, je te parlerai de lui après, est arrivé juste avant les guides de randonnée mais quelques mois après leur mariage.
— Tu ressembles vraiment à un journaliste comme ça, commenta Luna en posant trois tasses fumantes sur la table basse et en adressant un sourire à Europe qui, l'air très concentré, grattait chacun des mots prononcés par son grand-père.
— D'ailleurs, comment s'est passée ton interview ? Tu n'as pas eu de soucis avec le robot ?
— Non, ça a été et puis Lia était avec moi. Enfin, elle m'utilisait plus comme cobaye qu'autre chose mais ça aurait pu être pire. Elle travaille sur des robots comme ceux qu'on utilise pour les entretiens mais elle cherche à les améliorer, expliqua Europe en voyant le regard perdu des deux personnes âgées en face de lui. On continue ?
— Bien sûr. Une décennie s'écoula avant ma naissance. Durant ce temps, mes parents avaient eu une vie des plus normales, entre l'éducation de mon frère, le travail à la boutique et les randonnées en montagne. Et si je t'ai dit qu'il n'y avait pas de quoi raconter une histoire, c'est bien pour cela : durant près de vingt ans, leur vie ne fut rythmée que par la normalité. Même lorsque la Terre et son climat commencèrent à se dégrader, rien ne changea vraiment, la vie continua comme avant.
— Mais ils n'ont pas pu monter dans les fusées, au moment de quitter la Terre, je veux dire, se souvint Europe, il le lui avait dit un jour, mais il ne se rappelait plus quand exactement.
— Tu as raison, il n'y a que moi qui suis monté. A cette époque, la panique avait gagné le monde entier et malgré les dirigeants, les armées et les organisations diverses et variées essayant d'organiser l'évacuation de la Terre dans un calme relatif, beaucoup de gens moururent. Le moment où survenait le plus d'accidents, c'était durant l'embarquement car, malgré la promesse faite à la population que tous pourraient partir, beaucoup pensaient que ce n'était pas le cas.
— Il s'est passé quoi ?
— Seljord... La voix de Luna était en accord avec son regard, rempli d'avertissements et de tentatives d'intimidation.
— Il y avait des centaines et des centaines de personnes sur les lieux de l'embarquement et un mouvement de foule est très vite arrivé dans ces moments-là. J'étais près de ma famille et soudain tout autour de moi s'est mis à bouger, ce fut comme être emporté par une vague, une vague qui me poussa, je ne sais pas par quel miracle, vers la porte d'embarquement. Je n'ai jamais revu mes parents ou mon frère. En montant m'installer, j'ai vu, par un hublot, la foule et des gens étendus sur le sol, ceux qui tombaient n'avaient aucune chance de se relever. J'ai essayé d'apercevoir mes proches mais on me poussa rudement dans le dos.
— Donc tu n'as jamais eu de réponse ?
— Jamais.
— Mais ça veut dire qu'ils sont peut-être encore en vie ! Très très loin de Nouvelle Ere, mais vivants quand même ! »
Un sourire euphorique sur les lèvres, Europe posa carnet et crayon avant de plonger ses lèvres dans sa tasse de café au lait extrêmement sucré. En face de lui, les deux personnes âgées échangèrent un sourire condescendant devant une telle candeur.
« Non, mon lapin, c'est impossible. A la fin des émeutes, ils étaient peut-être vivants mais dans l'état où était la Terre, il est impossible qu'ils aient survécu.
— Donc il n'y a plus personne là-bas ?
— Nous ne savons pas mais c'est vraiment improbable et même si ma famille avait réussi à survivre, ils doivent être morts de vieillesse depuis. Ne sois pas triste, Europe, c'est le hasard qui ena décidé ainsi et j'ai eu presque un siècle pour faire mon deuil. Tu veux qu'on reprenne après?»
Le garçon hocha la tête. Une boule s'était formée dans sa gorge. Durant un instant, il avait pensé que de flamboyantes retrouvailles étaient encore possibles, qu'un vaisseau en provenance de la Terre allait débarquer sur le balcon et révéler trois vieillards fripés dans les bras desquels serait tombé son grand-père.
Pour se donner une contenance, il donna quelques coups de crayon à son arbre généalogique qu'il avait emmené avec lui.
Alors que le silence semblait sur le point de devenir tangible tant il était épais, Seljord se rapprocha de son petit-fils et l'observa durant quelques secondes, gênant involontairement Europe qui n'eut qu'une envie : cacher sa feuille avec son coude.
« Je ne savais pas que tu aimais le dessin. »
Le garçon haussa les épaules en tentant vainement de comprendre si son grand-père approuvait ou non sa nouvelle activité avant de jeter un coup d'œil inquiet à sa feuille, soudain persuadé de la laideur de ce qu'il considérait quelques instants plus tôt comme un chef-d'œuvre.
« Mon frère, lui, c'était la peinture qu'il aimait, même s'il détestait commencer une nouvelle toile. Tu es plutôt doué. Tu ne trouves pas qu'il est doué, Luna ? ajouta-t-il après une pause mais la vieille femme était retournée s'activer en cuisine et ne répondit que par une approbation distraite. »
Europe releva vivement le nez et fixa son regard dans celui de son grand-père, attendant une nouvelle fois le début d'une histoire qui ne semblait pas vouloir arriver et replongea vers son carnet de notes lorsqu'il s'avéra que son interlocuteur n'avait aucune intention d'en débuter une.
« Mon frère, Nils, était de dix ans mon aîné et il fit souvent office de petit papa pour moi. Il venait me chercher à la sortie de l'école lorsque mes parents étaient occupés avec le magasin, le week-end il m'autorisait souvent à venir avec lui et ses amis lorsqu'ils partaient jouer en forêt et les soirs d'orage, j'avais toujours la permission de venir dormir avec lui. Et malgré quelques disputes propres à une fratrie, nous avons toujours été proches et nous le serions sans doute resté s'il avait pu monter dans la fusée et venir ici, à Nouvelle Ere. Il était une personne profondément gentille et douce, son tempérament contrastant vivement avec sa grande taille, ses épaules et son torse large et il n'était pas très doué à l'école. Je ne veux pas dire par là qu'il était idiot, loin de là, juste que les matières étudiées ne lui permettaient pas de s'épanouir pleinement. Lui aimait la nature. Il savait reconnaître les animaux à leur empreinte, leurs déjections et lorsqu'il voyait une plume à terre, il pouvait te dire de quel oiseau elle provenait. C'était lui qui emmenait les touristes en randonnée car il connaissait la région mieux que certains anciens qui arpentaient pourtant ces bois depuis des décennies. Nils était un jeune homme sans histoire et sa vie était sans remous...
— Jusqu'au jour où tout changea... murmura Europe, devinant déjà qu'un événement allait se produire.
— Exactement. Jusqu'au jour où tout changea... »
Ça y était. Un infime changement dans la voix de son grand-père mêlé à sa posture, dos droit, mains sur les genoux, venait de l'avertir qu'il allait bientôt basculer d'un simple témoignage au récit. Par anticipation, Europe ferma les yeux et se concentra sur son ouïe, laissant les bruits de la pièce l'envahir. Son cœur battant dans sa poitrine. La respiration calme de Seljord et celle plus rapide de Luna. Des bruits de vaisselle, elle devait être en train de préparer une collation. Le vent s'en...
« Oublions Nouvelle Ère et rendons-nous sur notre Vieille Terre, dans un pays fait de lacs et de montagnes où, durant les mois d'été, le soleil ne descend jamais en-dessous de l'horizon. »
Hey!
Tout le blabla sur la famille de Seljord peut sembler inutile mais ça aura son importance plus tard!
Donc avec les deux parties de ce chapitre j'ai installé la dernière intrigue de ce roman. Pour information il y a quatre, une pour Seljord, une pour Chris, une pour Luna et enfin la dernière, celle dont je parle dans le résumé.
Voilà voilà, surtout si vous avez quelque chose à dire, une remarque à faire, n'hésitez pas à poster un commentaire!
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