Chapitre 3, Partie 2:


« Je vais ouvrir ! »

Trois coups venaient de retentir à la porte, l'heure de l'interview était arrivée.

L'homme qui pénétra dans la cuisine n'en était assurément pas un. Il en avait l'apparence, bien sûr, mais, lorsqu'il se présenta, on put entendre des notes métalliques dans sa voix et son regard resta figé lorsque les coins de ses lèvres se soulevèrent dans une mimique qui, dans ses programmes, devait probablement se nommer « sourire ».

« Pouvons-nous commencer ? »

Europe hocha vivement la tête, pressé d'en finir.

« Bien, avant cela je tiens à vous dire que si une de mes questions provoque en vous une des réactions négatives suivantes : tristesse, colère, gêne, embarras, agacement ou un sentiment global de mal-être, il vous est permis de me le dire et je n'insisterais pas. »

Un peu déconcerté, il finit par répondre d'une petite voix tout en captant du coin de l'œil des mouvements assez rapides. Son accompagnatrice était en train de pianoter comme si sa vie en dépendait sur un clavier. Devant le regard interrogatif du garçon, elle fit un signe de la main signifiant plus ou moins qu'il ne devait pas prêter attention à elle.

« Très bien, pouvez-vous me décrire précisément ce que vous faisiez avant l'accident ?

— Heu... On était venus pour visiter la station et aussi le logement qu'on nous proposait. On était dans... heu... je ne sais pas très bien... La partie juste avant la station. Un peu comme un hall d'entrée ? Les autres stations n'ont pas ça mais celle-ci oui, c'est parce qu'on devait s'équiper avant d'entrer. Mes parents étaient devant la porte, ils m'attendaient, le robot n'arrivait pas à trouver un masque pour respirer sous l'eau à ma taille. Donc mes parents attendaient en regardant l'intérieur de la station à travers une vitre. C'était très joli et... heu... bleu. Et moi j'essayais d'enfiler ma combinaison, c'était pas facile parce qu'elle collait beaucoup à la peau mais il fallait la mettre sinon on n'aurait pas pu marcher au fond de l'eau, on serait remontés à la surface comme lorsqu'on plonge à la mer. Sauf que là, il n'y avait pas de surface. »

Europe s'arrêta et prit une grande inspiration. Il avait déjà raconté cela, juste après son réveil à l'hôpital, mais alors le choc l'avait empêché de se rendre compte qu'il était en train de parler du pire moment de sa vie. Il avait agi comme une sorte de cocon qui lui avait permis de parler sans fondre en larmes, d'une voix atone.

« Et ensuite ? Vous n'avez pas répondu à l'intégralité de la question, vous deviez aller jusqu'à l'accident. Vous avez l'air triste... Ma question provoque-t-elle en vous une des émotions négatives dont nous avons parlé précédemment ? demanda-t-il après un petit moment de silence.

— Non, ça va. Après ça, je ne sais plus trop. J'ai entendu un grand bruit, je crois que c'était la vitre qui se fissurait mais je n'en suis pas sûr. On m'a dit qu'il y avait eu un souci avec la pression. Que normalement tous les jours on enlevait toute l'eau de la station pour la remplacer par de la propre et que l'eau sale était ensuite nettoyée pour être réutilisée. Et... je n'ai pas très bien compris mais les journaux expliquaient que lorsqu'on enlevait par exemple un verre d'eau, en fait c'est pas un verre c'est beaucoup plus mais un verre c'est plus simple, bref. Lorsqu'on enlevait un verre on en rajoutait aussi un de propre pour que ça ne se vide pas vraiment. Et je crois qu'il y avait aussi une histoire comme quoi on mettait quelque chose dans l'eau sale qui devenait plus lourde, je crois, juste avant de commence à vider pour ne pas mélanger les deux eaux. La propre était plus claire et restait en surface, comme ça on savait aussi où s'arrêter et... Je... Heu... Ah, la pression. Oui. Mais le jour de l'accident il y a eu un souci, ils ont commencé à rajouter de l'eau mais l'endroit par où sortait celle usée ne s'est pas ouverte. Et impossible d'arrêter d'ajouter de l'eau, il y a eu un souci avec les machines et donc...

— La vitre s'est fissurée. Tout comme le reste de la station. Mes collègues et moi sommes reliés. Dès que l'un de nous apprend quelque chose, les autres le savent aussi. Donc cette explication était parfaitement inutile, je suis déjà au courant du dysfonctionnement ayant entrainé l'accident. De plus, vos explications manquaient de clarté. Vous pouvez reprendre.

— Je ne me souviens de rien d'autre. Boum ! Vitre en mille morceaux ! Splach ! De l'eau partout ! Et dodo, répliqua Europe, énervé en se reculant sur le canapé. »

La bouche pincée, il attendit la prochaine question qui ne tarda pas à arriver et à laquelle il répondit sèchement. Durant tout le temps que dura l'entretien, le robot garda son attitude stoïque et son langage si éloigné d'un véritable être humain tandis qu'Europe se sentait bouillir un peu plus à chaque question qui passait.

***

« Tu t'es débrouillé comme un chef ! »

Son accompagnatrice lui donna un petit coup sur l'épaule en levant le pouce en l'air, un signe qui, à une période, avait sans doute signifié que tout s'était bien passé.

« Vous auriez pu m'aider au lieu de m'utiliser comme cobaye ! Vous n'avez pas arrêté de prendre des notes ! Dites-le, que vous étiez plus intéressée par le robot que par moi, rétorqua Europe, boudeur.

— Il m'intéressait plus que toi. Je rigole. Tu te débrouillais vraiment très bien et puis ne m'en veux pas. J'ai vraiment appris beaucoup de choses, ça va m'être très utile. Dis-toi que par ce petit sacrifice tu viens d'aider grandement le futur, termina-t-elle d'une voix solennelle en le regardant gravement. »

Il se retint de lui tirer la langue et, après quelques questions de routine, la raccompagna à la porte.

« Tu es sûr que tu ne veux pas que je reste un peu ?

— Oui, ne vous inquiétez pas. En fait, il m'a plus énervé qu'autre chose. Et puis, vous avez des robots à améliorer, non ?

— Pas faux. Bon, je repasse dans deux, trois jours ?

— D'accord. Je peux vous demander quelque chose ? demanda-t-il subitement alors qu'elle s'apprêtait à sortir.

— Tu peux m'appeler quand tu veux si c'est ça ta question.

— Non, je ne vois pas pourquoi j'en aurais besoin. Vous vous appelez comment ?

— Lia, pourquoi ?

— Pour rien, j'ai pensé à un de mes devoirs et par association d'idées...

— Il y a vraiment de drôles de connexions qui se font là-haut, s'esclaffa-t-elle, lui tapotant le crâne avant de partir en lui faisant un signe de la main. »

Il remit une mèche de ses cheveux en place puis fila dans sa chambre. S'il se dépêchait de terminer son travail, il aurait peut-être le temps de déjeuner avec son grand-père. Il se précipita sur son bureau et sortit rapidement ce dont il avait besoin, une grande feuille de papier souple mais plus épaisse que les normales et une trousse contenant tout l'attirail du parfait gribouilleur.

D'un œil critique, il observa le chêne tracé sur le papier, rectifia quelques traits avant de compter les branches de l'arbre et de prendre quelques mesures avec la concentration et la minutie d'un architecte. Pour être sûr de ne pas faire d'erreur, il traça au crayon de bois et d'un trait très léger différents noms sur les branches avant de s'arrêter, le crayon en l'air.

Lorsque son institutrice leur avait demandé de réaliser un arbre généalogique original représentant l'histoire de leur famille, il avait de suite décidé de le faire à la main pour rendre hommage à ses ancêtres qui, dans ses idées, avaient vécu à une période vierge de toute technologie, et avec un petit dessin illustrant chacun des noms et des personnalités.

Pour lui et ses parents, cela avait été assez simple, la chose s'était un peu corsée pour ses grands-parents, surtout que d'eux quatre il n'avait connu que Seljord mais avait fini par se résoudre. Et puis il s'était heurté à un mur. Pour ses arrière-grands-parents paternels la chose avait été plutôt vite réglée car il ne connaissait que leur nom et que personne n'était encore vivant pour lui parler d'eux. Mais de l'autre côté de l'arbre, c'était une autre histoire.

C'était d'ailleurs pour ça qu'il avait laissé son travail en suspens la dernière fois. Il avait voulu obtenir plus d'informations sur ces illustres inconnus mais, alors qu'il s'apprêtait à entrer dans la chambre de Seljord, Luna l'avait intercepté, l'informant que son grand-père n'était pas là pour le moment.

Et depuis il avait complètement oublié de lui en parler et était donc empli de désarroi devant ces branches vides. Il savait bien sûr que son grand-père avait des parents, c'était une évidence, il leur avait d'ailleurs déjà réservé deux places, mais il ne savait rien d'autre. Il croyait se souvenir d'un frère mais rien n'était moins sûr. Et il ne pouvait être inexact dans son devoir.

Il devait donc obtenir des informations s'il ne voulait pas être obligé de mentir mais malheureusement il était déjà en retard, le devoir était à rendre pour la fin de la semaine. Dans cinq minuscules jours. Et Dieu seul savait quand il aurait le temps de passer voir son grand-père.

Devant ce problème insoluble, il laissa sa main s'emparer d'un feutre noir et repasser les traits au crayon en prenant garde de ne pas glisser ni de faire baver l'encre. Et alors que sa main dansait sur le papier, ses pensées dérivèrent vers Luna, car c'était également de sa faute s'il n'avait pas attendu son grand-père devant sa porte.

Elle l'avait entraîné dehors et, à l'ombre d'un bosquet, lui avait raconté une histoire. Une belle histoire revenant sur l'un des moments les plus importants dans la vie d'une personne, sa naissance.

Hop! Mort des parents bouclée!

Les explications d'Europe sont embrouillés mais en même temps je ne le voyais pas raconter autrement! Et nous avons enfin le prénom de l'accompagnatrice que je vais pouvoir arrêter d'appeler comme ça!

Le prochain chapitre sera assez court et ne vous semblera peut être un peu inutile mais il sera la clef de voûte de l'histoire de Luna!

A la semaine prochaine!! :)

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