Chapitre 2, Partie 2:
Europe hocha la tête, embrassa les deux personnes âgées et partit en trottinant non sans avoir attrapé au passage un scone ayant miraculeusement survécu à la colère de Chris.
Il dévala les quelques marches du pavillon et accéléra, boudant le chemin pour couper à travers un champ de fleurs, bien trop disciplinées pour être réellement sauvages, avant de rentrer dans les sous-bois où flottait une douce odeur d'humus mêlée de violette et de muguet. Pressant encore le pas, il dépassa, en manquant de les bousculer, deux octogénaires à l'air vif qui avançaient d'un pas tranquille et ne firent pas attention à lui. Les petits enfants galopant en tous sens étaient monnaie courante dans cet établissement.
Le garçon traversa un pont, s'attardant un moment pour contempler une grenouille assise sur une pierre dans le ruisseau en contrebas et produisant des sons beaucoup trop puissants pour un aussi petit corps. Mais il repartit bien vite, abandonnant rapidement les bois pour traverser au pas de course la cour et passa les grilles sans accorder un seul regard à la bâtisse à l'allure de manoir.
Doucement, il ralentit le rythme jusqu'à arriver en marchant à la gare desservant principalement la maison de retraite. Une main sur la hanche et la tête basculée en arrière, il reprit son souffle et essuya la sueur ayant coulé sur son front. Bien que cette partie de la sous-station « Forêt tempérée » soit dédiée à un temps et à une température printanière, il arrivait souvent que la température y soit plus proche d'un début d'été.
Europe s'avança en sautillant jusqu'à une borne, le jeu étant de ne toucher aucune des lignes composant le sol dallé, et appela un véhicule en observant les bocages alentours où broutaient des moutons à la laine aérienne et aussi blanche que les murs de la gare.
Au moment où arriva devant lui un petit wagonnet de bois clair, il remarqua un chemin qui partait se perdre dans les sous-bois et nota l'information dans un coin de sa tête. Cela devait être un chouette endroit pour se balader et pique-niquer.
En annonçant sa destination, il sentit sa gorge se serrer en songeant à ces sorties familiales dans la campagne alentour. A ces moments où il courait, loin devant, cherchant le meilleur endroit pour étendre une couverture, tandis que ses parents marchaient derrière tranquillement en se tenant la main.
Le prochain pique-nique, il le ferait sans doute seul et il n'aurait pas besoin d'emporter un grand panier en osier encombrant, ni de préparer divers plats pour contenter tout le monde. A moins qu'il ne demande à son grand-père et à ses amis de venir avec lui. Il ne savait pas s'ils avaient le droit de quitter la résidence mais, après tout, ils n'étaient pas en prison, alors cela devait être faisable.
Seljord était bien venu à la crémation de ses parents.
Le souvenir de ce jour pas si lointain lui fit monter les larmes aux yeux et, pour éviter de craquer, il les ferma et occupa son esprit à lister tout ce qu'il entendait et sentait pour qu'il en oublie de pleurer.
Le vent tiède qui fouettait son visage et les chauds rayons d'un soleil de fin de journée réchauffait sa peau. Le bêlement d'un mouton, une odeur de foin fraichement coupé et les stridulations des criquets. Il était dans un bocage. Une soudaine fraîcheur accompagnée du bruissement des feuilles des arbres et d'une odeur de terre mouillée. Le wagonnet poursuivait sa route en forêt.
Europe se laissa bercer par les mouvements de la machine et commença à somnoler. Étrangement, la technique de son accompagnatrice fonctionnait — car c'était elle qui lui avait conseillé de focaliser son esprit sur les petites choses que percevaient ses sens lorsqu'il se sentait trop triste. Par contre, elle ne lui avait pas parlé de possible somnolence en effet secondaire. A moins qu'il ne soit juste fatigué.
Il ne sut pas très bien s'il s'était endormi ou si son esprit avait juste fait une pause mais, soudainement, le jeune garçon réalisa que la fin du voyage approchait, et pourtant il n'avait même pas ouvert les yeux. Il n'en avait pas besoin. Le glougloutement d'une rivière, le bruissement des insectes et le croassement des crapauds. L'air un peu plus humide et chaud.
Sans aucun à-coup, le wagonnet s'arrêta et Europe ouvrit les yeux avant de s'étirer. Il ne savait pas si c'était sa petite sieste ou sa séance de méditation, mais il se sentait bien, comme débarrassé de tous ses soucis.
Il sauta sur le quai d'une gare ressemblant à l'autre comme une sœur, sauf que les tuiles du toit du bâtiment avaient des reflets bleutés et qu'ici on pouvait choisir de continuer son voyage sur l'eau.
Europe traversa le quai jusqu'à la rivière et appela un bateau qui arriva en glissant sur une eau calme et transparente. Sans plus attendre, il sauta dedans, donna son adresse et plongea sa main dans l'eau fraîche, essayant en vain d'attraper des alevins qui nagèrent entre ses doigts.
Lorsqu'on lui avait demandé s'il préférait une rue maritime ou une rue terrestre, il n'avait pas longtemps hésité. Qui pouvait vouloir marcher alors qu'il pouvait tranquillement voguer sur des flots de cristal en profitant du paysage ? Ce petit trajet ne durait pas longtemps, moins de dix minutes, et pourtant, à chaque fois, il trouvait ça féerique.
Comme d'ordinaire, il contempla les berges recouvertes de roseaux bleu nuit aux plumeaux couleur ciel peu à peu remplacés, à mesure qu'on entrait dans les sous-bois, par une herbe marine flottant dans la brise. Mais ce qu'il aimait par-dessus tout, c'étaient les saules pleureurs, si majestueux avec leur tronc argenté et déversant dans la rivière leurs cheveux couleur ciel.
Au départ, il avait voulu habiter dans la partie automnale de la station, aimant les couleurs de feu que revêtaient les arbres durant cette saison, mais on lui avait platement annoncé qu'il ne restait plus aucune place alors il s'était finalement décidé pour ici, ce petit village où tout n'était qu'un dégradé de bleu.
Lorsqu'il avait montré des hologrammes de sa nouvelle demeure à Chris, il avait ri en disant que, lui qui avait les cheveux si blonds, allait être mis en valeur dans cet environnement.
Alors qu'il était presque arrivé, une barque arrivant dans l'autre sens passa à son niveau avec à son bord une jolie petite famille. La fille, un peu plus jeune que lui, lui adressa un signe de la main ; de l'autre, elle tenait un cornet de beignets dans lequel son frère piochait allègrement. Et, en voyant ce si joli tableau, le cœur d'Europe se serra et ses pensées heureuses se dispersèrent aussitôt pour laisser place à la tristesse qui avait essayé d'envahir son âme un peu plus tôt.
Et, cette fois-ci, le garçon n'essaya pas de se distraire. Il pensa brièvement à la place du village, d'où revenait très certainement la famille qu'il venait de croiser, et au carrousel qu'on venait d'y installer. Il avait entendu dire qu'il était en bois magnifiquement décoré et que la petite ritournelle qu'on y entendait était digne de celles qu'on pouvait trouver jadis sur Terre. Il aurait d'ailleurs pu se concentrer sur cette petite musique entêtante qu'il entendait au loin, cela aurait peut-être même fait s'enfuir la tristesse, mais il n'avait pas envie.
Luna disait toujours qu'un peu de larmes n'avait jamais fait de mal et, pour une fois, Europe était prêt à croire un des principes bizarres de la vieille et même à lui faire honneur.
Lorsque la barque s'arrêta devant le petit ponton en bois qui marquait le devant de sa maison, il en fut soulagé ; encore quelques mètres et il fondait en larmes dans la barque sans se soucier de qui pouvait le voir.
En courant presque il arriva devant sa porte et posa une main sur la poignée, déverrouillant la serrure par son seul toucher. Rapidement, il entra et, résistant à l'envie de s'affaler contre la porte pour pleurer, se déchaussa et se dirigea vers sa chambre.
Mais c'était oublier une chose ou plutôt quelqu'un. Ce même quelqu'un pour qui il était rentré en vitesse et qui avait visiblement ses marques dans la maisonnette car la porte de la cuisine s'ouvrit, laissant apparaître une femme à la peau laiteuse à qui ses courbes et rondeurs donnaient un air très doux. D'un mouvement impatient de la tête elle chassa une de ses mèches qui s'était échappée de son chignon et adressa un sourire à Europe qui, faute de pouvoir faire autre chose, lui rendit.
Elle disparut dans le salon où elle posa, si l'on se fiait au tintement de métal, le plateau qu'elle portait et invita Europe à la rejoindre.
« Je suis arrivée un peu en avance. J'avais entendu dire que le carrousel allait être une merveille alors je suis venue voir par moi-même. Et ils n'ont pas menti ! Il est vraiment magnifique ! Tu vas aller le voir ?
— C'est un truc de bébé, marmonna le garçon en réponse en se laissant tomber sur le canapé, s'éloignant volontairement au maximum de son accompagnatrice.
— Oh, et les cookies aussi, c'est un truc de bébé ? Je les ai faits moi-même... Enfin, disons que j'ai appuyé sur un bouton et que j'ai sélectionné la recette que je voulais... Enfin bon, on peut être sûrs qu'ils sont comestibles, comme ça !
— J'ai déjà mangé.
— Avec ton grand-père ? Seljord, c'est ça ? Vous vous entendez bien, n'est-ce pas ?
— Oui. Oui et oui. »
La jeune femme ajouta trois sucres à son café avant de le diluer dans tellement de lait que la boisson en devint presque blanche. Peut-être avait-elle oublié de s'arrêter, vu qu'elle avait fixé Europe durant tout le processus, c'était bien possible.
« Tu peux t'allonger sur le canapé, tu seras sans doute plus à l'aise. Attends. »
Elle déplaça un fauteuil en rotin et le positionna perpendiculairement au canapé, si bien que lorsqu'elle s'assit dessus, elle eut le regard orienté vers la baie vitrée et non vers Europe, perplexe.
« Pourquoi vous faites ça ?
— Ma grand-mère, enfin non, mon arrière-grand–mère, mais c'est ma grand-mère qui me l'a raconté. Enfin bref, elle m'a parlé de ce métier complètement disparu de nos jours et qui n'était déjà plus très en vogue lorsque nous avons quitté la Terre. Les gens pratiquant ce métier disaient que cette position, le patient ne pouvant voir le pratiquant, était très importante. Ce que je fais avec toi est un peu différent mais si cela peut t'aider...
— Pourquoi c'est important ? demanda Europe qui semblait avoir momentanément oublié sa tristesse.
— Aucune idée.
— Alors vous ne savez même pas ce que vous faites ?
— C'est ça ! répondit-elle dans un éclat de rire. Mais en même temps je te rappelle que j'ai hérité de ce rôle il y a peu. Je suis une novice, j'expérimente, j'essaye des choses, je me perfectionnerai avec le temps ! Et puis c'est vraiment très différent de mon ancien métier, enfin de mon autre métier.
— Vous travaillez ? »
Cette question acheva de faire disparaître la tristesse d'Europe qui fut aussitôt remplacée par de la curiosité. Les gens qui travaillaient, il y en avait peu et généralement on les prenaient soit pour des fous, soit pour des génies. Le gouvernement fournissait tout ce qui était nécessaire pour vivre et l'argent n'était qu'un souvenir lointain à Nouvelle Ère, alors le travail n'apportait rien, à part, peut-être un accomplissement personnel.
« Oui.
— Et vous faites quoi ?
— Des robots.
— Oh... »
Cette réponse était un peu décevante aux oreilles d'Europe. Des robots, il y en avait déjà plein. Des petits, des grands. Des humanoïdes, des tarabiscotés, des géométriques. Certains qui parlaient, d'autres qui étaient muets. Les robots faisaient tellement partie du quotidien qu'ils en étaient devenus ennuyeux.
Mais justement, c'était peut-être trop ennuyeux pour être honnête. Il épia le dos de la jeune femme qui ne pouvait pas le voir et son imagination s'emballa. Peut-être qu'il n'y avait pas de robots mais autre chose. Un projet Top Secret ! Une invention tellement révolutionnaire qu'il fallait la cacher sous quelque chose d'inintéressant !
Quelque chose qui n'avait jamais été fait... La station ! Mais oui ! La nouvelle station entièrement immergée qui n'était plus qu'un champ de ruines et de morts ! Les scientifiques l'avaient mal conçue et maintenant des gens étaient morts mais peut-être que... Peut-être que la chef du projet était plus rongée par les remords que les autres ?
« Oui ! C'est ça ! Boursouflée par les regrets, la chef du projet a décidé de quitter son ancien travail pour prendre sous son aile le dernier survivant ! Le seul ayant survécu à la catastrophe engendrée par sa négligence, se dit-il en regardant le dos de son accompagnatrice qui se retourna et le dévisagea.
— Tu as vraiment une imagination galopante, gamin.
— Comment... ?
— C'est très simple. Je travail sur un projet Ultra Super Secret de télépathie ayant pour but de contrôler l'esprit de chacun des citoyens de Nouvelle Ere. Mais maintenant tu en sais trop alors je vais devoir... »
Elle glissa sa main à l'intérieur de sa veste cintrée, provoquant le hurlement d'Europe qui, dans un geste désespéré pour sauver sa vie, se roula en boule et brandit un coussin à bout de bras. Malheureusement pour lui, ce piètre rempart lui fut arraché et, dans un dernier espoir pour paraître brave, il releva le menton, prêt à affronter les yeux emplis de froideur de sa future meurtrière.
Mais se fut un visage radieux et des yeux pétillants de malice que son regard croisa et un rire frappa ses oreilles au moment même où il se rendit compte qu'il avait été dupé.
« Alors toi ! Tu es vraiment crédule, tu le sais ça ? Même pour un môme ! »
Elle lui ébouriffa les cheveux et s'affala de nouveau dans son fauteuil en continuant de rire, ce qui agaça Europe.
« Vous n'êtes pas là pour m'aider normalement et vous assurer que je vais bien, siffla-t-il.
— Normalement si, mais là il faut reconnaître que tu m'as tendu une sacrée perche ! Ah et si tu veux vraiment tout savoir, je travaille sur un modèle de robot équipé de capteurs lui permettant de reconnaître et de donner une réponse appropriée à une foultitude d'émotions humaines. Ces modèles existent déjà mais ils sont encore trop imprécis et sujets à des erreurs d'interprétation.»
Elle s'esclaffa encore une fois avant de reprendre son sérieux et d'enchaîner sur des questions de routine. Et Europe dut reconnaître qu'elle n'avait pas tort : ne pas devoir subir un regard scrutateur lorsqu'il parlait l'aidait beaucoup à se livrer. Il lui avoua notamment que sa technique anti-tristesse avait marché mais qu'il n'avait pu la mettre en marche une seconde fois. Cela ne parut pas inquiéter son interlocutrice qui lui donna quelques autres trucs, précisant au passage qu'elle ne garantissait pas leur efficacité.
« Bon, je crois qu'on a fait le tour... Tu as encore des choses à dire ? Des points que tu voudrais aborder ou des questions ?
— Non... Enfin, je ne crois pas.
— Très bien. Ah, oui, j'oubliais, l'interview de demain ! Si tu veux, je peux venir, pour éviter que ce gros lourdaud de robot pose des questions trop indiscrètes.
— Si vous voulez. Dites ?
— Oui ?
— C'est à ça que serviront vos robots ?
— Oui, et à plein d'autres choses. On pourra aussi s'en servir dans le domaine de la santé mais aussi dans les établissements comme celui où vit ton grand-père. Bien sûr, ça ne remplacera jamais un contact humain mais ça sera une grande avancée ! A demain ! »
Elle lui planta un baiser au parfum de fruit rouge sur la joue et partit. Elle ne l'avait sans doute pas fait exprès, les cosmétiques fruitées faisaient fureur en ce moment, mais elle venait de lui rappeler sa mère. Elle aussi aimait ce genre de rouge à lèvres, même si elle préférait celui à la cannelle et à la pomme.
La tristesse d'Europe refit surface. Elle avait toujours été là mais, comme la marée, elle était en train de remonter doucement. Il sentit une boule se former dans sa gorge et les larmes perler au coin de ses yeux.
« Parfois, il n'y a rien à faire d'autre que de se laisser aller. »
« Comme disait ma maman, pleurer un bon coup ça fait parfois du bien ! »
Deux fois le même conseil, un signe ? Peut-être.
Il laissa les perles d'eau salée couler le long de ses joues, sans se forcer, et avança vers la porte-fenêtre donnant sur le jardin. Dehors, il faisait maintenant nuit, il entendait même un hibou ululer dans les arbres.
Il l'ouvrit, accueillant l'air frais de la nuit dans un frisson, et avança sur la terrasse avant de descendre pieds nus dans l'herbe. Il aimait beaucoup ce jardin et cette maison. Bien sûr, c'était petit mais loin d'être exiguë grâce à cette loi donnant la superficie exacte que devait faire une habitation selon le nombre de personnes y vivant pour que chacun puisse s'épanouir.
Europe leva la tête et contempla le ciel nocturne et étoilé. Son grand-père lui avait un jour raconté que les étoiles étaient des fenêtres d'où les morts pouvaient veiller sur ceux qu'ils aimaient. Et à ce moment-là le jeune garçon se demanda si le fait que ça ne soit pas des étoiles mais de vulgaires lumières artificielles avait de l'importance.
En s'allongeant dans l'herbe tendre de la même couleur que le ciel, il décida que non.
Hop, introduction du dernier personnage important de ce roman terminée!
Elle repointera le bout de son nez dans le prochain chapitre alors j'espère que vous l'avez appréciée! :)
J'en profite aussi pour enjoindre les lecteurs fantômes, s'il y en a, à laisser un petit commentaire ;)
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