Chapitre 1:

Les paupières d'Europe papillonnaient, s'ouvrant un peu plus à chaque battement comme lorsqu'on se refuse à sortir d'un rêve merveilleux. Une douce brise aux senteurs florales lui effleurait le visage comme une caresse.

Le jeune garçon reprenait lentement conscience du dossier de la chaise en rotin contre lequel il s'appuyait, du coussin moelleux sur lequel il était assis mais ce fut finalement le croassement grave d'un oiseau, brisant l'harmonie des pépiements qui lui parvenaient jusque là aux oreilles, qui lui fit ouvrir totalement les yeux et ramena complètement son esprit dans le petit pavillon en bois.

Il savait très bien qu'il n'avait pas bougé de cette petite pièce, construite au fond du parc et entourée de parterres de fleurs soi-disant sauvages, mais comme à chaque fois il avait l'impression de revenir d'un très long voyage. Depuis qu'il était tout petit les histoires de son grand-père lui faisaient toujours cet effet-là, celui d'un périple mental à travers le temps.

Dépliant ses jambes engourdies d'avoir été gardé repliées sous lui durant l'histoire, il jeta un regard à son grand-père, assis dans son propre fauteuil comme s'il présidait une assemblée de la plus haute importance, le dos bien droit et les mains posées sur les accoudoirs.

Il avait l'air serein et, si ses yeux n'avaient pas été ouverts, on aurait presque pu le croire endormi. Lorsqu'il adressa à son petit-fils un sourire, les rides autour de sa bouche et de son nez se creusèrent, le vieillissant un peu plus même si ses yeux, d'un bleu vif et clair tel un étang gelé, semblaient, eux, avoir conservé toute leur jeunesse.

En les voyant, si brillants, pétillant presque de joie, l'esprit d'Europe ne put s'empêcher de voleter vers des yeux semblables, ceux de sa mère, qui animaient un visage un peu banal pourvu d'un nez trop long et fin, le rendant presque beau.

Au souvenir de ces traits, sa respiration s'accéléra et des larmes commencèrent à couler sur ses joues tandis que sa bouche se tordait, bientôt elle laisserait sortir des gémissements plaintifs.

Baissant la tête par honte de son comportement qu'il qualifia intérieurement de réaction de bébé, il vit quelques gouttes tomber sur ses poings fermés, posés sur ses cuisses.

Au visage de sa mère se mêla celui d'un homme un peu sec et nerveux, bougeant sans cesse de manière peu harmonieuse et faisant des plaisanteries n'amusant que lui mais qui savait mieux que personne comment fabriquer une fusée avec deux morceaux de bois et une ampoule. Son père.

Les deux profils se mêlaient dans son esprit comme deux fantômes, il avait la curieuse impression que chacun de ses souvenirs les concernant était flou, incomplet, comme s'ils dataient tous d'une époque ancienne, et pourtant cela ne faisait que quelques jours qu'ils étaient...

« Seljord ! Mais regarde un peu ce que tu as fait ! Non mais on n'a pas idée de raconter ce genre d'histoires, ce n'est pas du tout le moment de lui rappeler que notre bonne vieille Terre s'est complètement détraquée, nous forçant à fuir ! »

Le vieil homme ouvrit la bouche pour se défendre, argumenter que ce n'était pas la faute de son récit et, aussi, réconforter son petit-fils mais un regard noir, dans tous les sens du terme, et sévère l'empêcha de parler.

« Chut, ça va aller, c'est rien mon lapin. Pleure un bon coup et après ça ira mieux, faut pas avoir honte de pleurer, comme me le disait ma mère. Ça fait du bien et après tout ton chagrin sera parti. Tiens, mouche-toi un peu, mon cœur. »

Europe bafouilla un merci et, après s'être mouché dans un bruit de trompette, s'essuya les yeux et adressa un petit sourire tremblant à Luna qui afficha une moue satisfaite avant de lui tapoter la joue et de lui remettre une de ses mèches de cheveux en place.

Elle le dépassait à peine d'une tête alors qu'il était assis et, alors qu'elle s'activait pour lui remplir un verre d'eau fraîche, le jeune garçon pensa encore une fois qu'elle ressemblait vraiment à une enfant. Mêmes gestes vifs, même pas entre la course et le sautillement, mêmes yeux pétillants, toujours à l'affût, mêmes robes de couleurs vives et mêmes cheveux longs, jamais attachés et volant toujours derrière elle lorsqu'elle se déplaçait comme une sorte de cape. Sauf que les siens étaient d'un blanc très pur et que son visage, bien que toujours joyeux, était aussi ridé qu'une vieille pomme.

« Tiens, mon loulou, bois un peu, elle est bien fraîche. J'ai toujours aimé l'eau bien froide, ma mère me mettait d'ailleurs toujours des bouteilles au frigo même si elle, elle préférait qu'elle soit à température ambiante. Tu veux un autre mouchoir pour te nettoyer un peu les yeux, mon canard ? »

Europe secoua négativement la tête et trempa ses lèvres dans le liquide. Luna avait raison, il se sentait mieux maintenant, même si ses yeux le brûlaient un peu et qu'ils devaient être rouges et gonflés.

« Je suis désolé, je pensais que mon histoire allait te remonter le moral. Tu veux peut-être qu'on rentre ? Ou qu'on aille se promener ? Les jardiniers ont créé un nouvel espace dans le parc avec de nombreux arbres et arbustes fruitiers, on pourrait aller en cueillir, si tu veux. »

Seljord se sentait un peu maladroit, il aimait beaucoup son petit-fils mais avait depuis bien longtemps perdu l'habitude de s'occuper des chagrins d'enfant et ne savait pas très bien quoi dire pour le faire se sentir mieux.

« Non, c'est pas l'histoire. Elle était même très chouette. C'est juste que... Maman... »

Europe détourna le regard et inspira une grande goulée d'air pour chasser ses larmes qui menaçaient de renaître.

Il la revoyait en train de s'activer dans le potager, s'extasiant sur ce qu'elle arrivait à faire pousser elle-même, sans l'aide d'aucune machine. Il se souvenait d'elle, debout dans la cuisine, pestant contre une recette qu'elle ne comprenait pas et finissant par mettre tous les ingrédients dans une machine qui, une petite demi-heure plus tard, avait reproduit à l'identique la recette.

Elle disait en permanence qu'elle l'utilisait pour gagner du temps mais Europe et son père avaient toujours su que c'était pour masquer son incompétence en cuisine.

« Je suis vraiment désolé, mon petit. A moi aussi ta maman me manque beaucoup.

- Pourquoi est-ce qu'il a fallu qu'on déménage ? On était bien dans notre section ! Je... Je suis sûr qu'ils n'ont même pas vérifié que tout était sûr avant de dire aux gens de venir s'installer ! Et puis pourquoi on n'a pas construit Nouvelle Ere plus grande dès le départ, hein ? Comme ça on n'aurait pas eu à faire une nouvelle partie et personne ne serait mort !

- T'as bien raison, gamin, on aurait dû construire cette foutue station deux voire même trois fois plus grande mais qu'est-ce que tu veux ? Les bâtisseurs de Nouvelle Ere n'étaient qu'une bande d'impatients, feignants et aussi vifs d'esprit qu'une putain d'astéroïde. Alors faut pas s'étonner qu'on ait des soucis maintenant, répondit une voix bourrue, légèrement trainante.

- Tu n'aurais pas oublié que tu étais un des ces crétins, Chris ? lui rappela Seljord, légèrement amusé malgré la situation.

- J'ai jamais prétendu être intelligent. »

Europe jeta un regard curieux au vieil homme semblant occuper la moitié du pavillon à lui tout seul tant il était énorme. Grosse tête poupine, pourvue de minuscules billes marron en guise d'yeux, plantée sur un corps de sumotori. Si on avait demandé à Europe de quoi étaient faits les hommes, il aurait certainement répondu : « de chair et de sang », mais si on lui avait demandé ce qui constituait Chris, il aurait sans nul doute répondu : « de graisse ». Au moins, cela lui conférait l'avantage de paraître plus jeune qu'il ne l'était en réalité.

A l'école, on lui avait appris beaucoup de choses sur la construction de Nouvelle Ere mais, comme souvent, la version de l'obèse semblait différer de l'officielle et cela l'intriguait assez pour lui faire oublier sa rancune et sa tristesse.

« Je ne comprends pas...Pourquoi vous étiez aussi impatients ?

- Pourquoi ? Tu es déjà resté coincé plus d'un an, plus d'une putain d'année dans un vaisseau spatial ? Bah en un sens, oui, puisque t'as grandi ici, même si ça n'a rien de comparable. Après autant de temps passé les uns sur les autres sans pouvoir se moucher sans attirer l'attention de cinquante personnes, tu peux facilement comprendre qu'on avait hâte de s'installer et d'en finir.
- En réalité, c'est bien plus complexe que cela, Europe. La construction du noyau dur de Nouvelle Ere, la station principale, celle qui nous sert de capitale, était déjà finie lorsque nous sommes arrivés. Enfin, tout du moins sa structure. Elle était destinée à accueillir, dans un avenir proche, les personnes les plus riches voulant s'offrir un petit voyage vers les étoiles. Nous nous sommes contentés de construire quatre autres petites stations autour, reliées au centre par de longs couloirs. Après cela, nous en avons construit douze autres, encore plus petites, autour des quatre déjà construites, pour le jour où la population augmenterait. Personne ne pensait à l'époque que cela ne serait pas suffisant et qu'il nous faudrait faire de nouveaux travaux.

- Mais ce qu'il faut surtout retenir, mon cœur, c'est le résultat obtenu ! Pouvoir choisir non seulement son environnement mais aussi son climat, alors que nous sommes en plein milieu de l'espace ! Regarde ici, on se croirait dans une jolie forêt tempérée, comme sur notre bonne vieille Terre ! Et les montagnes de la station deux ! Elles font encore plus vraies que les Alpes ! S'enthousiasma Luna, les yeux brillants, presque sur le point de battre des mains.

- Et ce qui est important, Europe, c'est que tu acceptes le fait que tu n'y sois pour rien dans la destruction du nouveau secteur et que tu n'as pas à te sentir coupable d'être vivant, poursuivit Seljord en lui adressant un sourire qui se voulait réconfortant.

- Mais quand même, fallait être sacrément con pour vouloir construire un secteur entièrement immergé. Ils devaient quand même se douter, ces abrutis d'ingénieurs, qu'une telle quantité d'eau dans un espace clos, ça allait poser un problème ! Mais non, habiter à la campagne ou au bord de la mer ce n'est plus assez chic, maintenant on veut carrément recréer la fosse des Mariannes dans l'espace !

- Papa pensait qu'on serait bien là-bas. Qu'on pourrait voir les poissons de notre salon et même des baleines. Ils venaient juste d'entrer dans la station quand ça s'est passé, moi j'avais juste un peu de retard, je n'arrivais pas à trouver un masque à ma taille pour respirer sous l'eau, argumenta Europe d'une petite voix.

- Eh bien ! Pour une fois, être taillé comme une crevette t'aura servi, le môme. »

Le garçon poussa un petit soupir et, l'air triste, se laissa aller dans son fauteuil. Il ne se souvenait de rien, ses parents s'étaient avancés vers les vitres laissant voir une étendue bleutée et après c'était le vide. Il s'était réveillé dans une chambre toute blanche où un robot à l'air ravi, un tant soit peu qu'une machine puisse avoir des sentiments, lui avait annoncé qu'il avait eu de la chance, que ses blessures n'étaient que superficielles.

Un rayon de soleil lui chatouilla le visage, faisant sécher les larmes qui avaient de nouveau coulé sur ses joues et il essuya son nez avec sa manche, laissant une trace de morve sur le tissu. Cela lui rappelait la maison lorsque, le soir, les champs de blé se transformaient en or sous la lumière du soleil couchant.

Peu de gens aimaient la station une, trouvant la campagne trop banale et lui préférant la montagne ou la mer mais sa mère avait toujours apprécié cet environnement. Elle disait que tous ces champs créaient un véritable patchwork naturel et que le faux ciel y était d'un bleu plus doux et plus pastel que dans les autres stations. Mais cela ne l'avait pas empêchée de sauter de joie à l'idée d'aller habiter les fonds marins. Elle avait passé les trois jours avant le déménagement à poser des questions auxquelles ni Europe ni son père n'avait de réponse et à essayer d'anticiper le moindre événement mais sans jamais envisager la possibilité de mourir avant même d'avoir posé un pied sous l'océan.

Le carillon à l'entrée du pavillon tinta et, même s'il n'était pas venu voir son grand-père depuis longtemps, Europe savait ce que cela signifiait : c'était l'heure du goûter.

Une jeune bénévole qui ne devait pas avoir plus de vingt ans entra. La totalité de la maison de retraite fonctionnait grâce à des machines. Elles faisaient la cuisine, le ménage et s'occupaient même du suivi médical des patients locataires mais quelques années auparavant on avait jugé que la présence de vraies personnes serait bénéfique pour les pensionnaires. Depuis, on engageait des bénévoles qui leur faisaient la conversation, jouaient avec eux et leur tenaient compagnie.

La jeune femme posa sur la table basse vitrée une théière ainsi que des tasses et un plateau contenant diverses mignardises et petits gâteaux. Elle leur proposa ensuite le journal en version papier, un petit luxe revenu à la mode depuis quelques temps. La plupart des gens trouvaient que cela faisait particulièrement chic et cultivé de lire sur un support papier. Et pas seulement le journal, on avait enregistré chaque jour une hausse des ventes de livres imprimés. Comme souvent, l'ancien était en train de redevenir à la mode.

Après avoir bavardé un instant, s'assurant qu'ils ne manquaient de rien, la bénévole repartit en leur faisant un petit geste de la main.

« Tiens, Europe, mange ça. Comme me disait ma chère maman : « seule une bonne tasse de thé et des scones font un vrai goûter ! » Quel dommage qu'il n'y ait pas de cottage cheese, ma mère affirmait que c'est avec ça que les scones sont les meilleurs. Enfin bon, avec de la confiture ça ne devrait pas être mauvais. »

Chris lança un regard exaspéré à Europe et Seljord qui eut un petit sourire. Citer des phrases de sa mère comme d'autres citent de grands penseurs était un passe-temps favori de la vieille femme. Même enfant elle avait toujours eu la manie de commencer presque chacune de ses phrases en disant : « d'après ma mère... » ou « maman pense que... » ou encore « maman m'a dit que... ».

Alors qu'elle continuait de s'agiter en tout sens, babillant comme une enfant sans se soucier de si on lui prêtait attention et garnissant bien plus de scones que nécessaire, Chris lisait en diagonale, tournant les pages avec tant de brusquerie qu'Europe était étonné que le papier ne se soit pas déjà déchiré.

Ses gestes étaient toujours emprunts de cette brutalité, ses propos aussi, d'ailleurs, et souvent Europe se disait que, si Chris avait pu quitter son fauteuil et forcer son incroyable masse à se tenir debout, même sa marche aurait traduit ce trait de caractère. Il imaginait de grands pas décidés avec le ventre en avant, comme prêt à renverser toute personne ayant le culot de marcher sur le même chemin que lui. Mais le vieil homme ne pouvait pas se lever, et encore moins esquisser un pas, alors il se contentait de rouler doucement et c'était la seule trace de douceur chez lui.

Un reniflement dédaigneux tira le garçon de sa réflexion.

« L'application de leur putain de loi de l'enfant unique a été mise en vigueur aujourd'hui ! J'en connais qui doivent se frotter les mains, à la capitale, d'puis l'temps qu'ils voulaient réguler les naissances. Et hop ! Un nouveau pas de plus vers la dictature ! Ils feraient mieux de buter toutes les vieilles loques dans notre genre qui refusent d'aller bouffer les pissenlits par la racine plutôt que d'construire à tout-va des nouvelles stations qui s'cassent la gueule et d'la jouer version Mao.

- C'est qui ? »

La question venait d'Europe et était un peu étouffée par les deux biscuits au miel qu'il avait réussi tant bien que mal à rentrer dans sa bouche.

« Un ancien dirigeant d'un pays de la Terre qui s'appelait Chine, mon caneton, répondit Luna en lui fourrant un gâteau dans chaque main.

- Et tu y es déjà allée ?

- Bien sûr que non, je suis née dans l'espace, moi, mon chou, comme toi. Mais ma mère m'en parlait de temps en temps. Elle me mettait une carte de la Terre sous le nez, me demandait de désigner un pays et elle me racontait des choses dessus.

- Et dictature ? C'est quoi ?

- Un système politique réduisant la liberté à néant souvent par la violence. A l'inverse, Nouvelle Ere est une démocratie. Chaque station élit un conseil, puis un représentant qui fera partie du Grand Conseil à la capitale et l'on demande l'avis de tous avant de faire passer une loi. D'ailleurs, c'est ce qui a été fait. Soixante et onze pour cent des gens, si je me souviens bien, on d'ailleurs répondu qu'ils étaient pour cette loi, expliqua Seljord d'une voix calme. »

Europe fronça le nez, un enfant par foyer c'était bien beau mais certaines choses le perturbaient.

« Et si une dame était déjà enceinte avant la loi et qu'elle a déjà un enfant, comment ils vont faire ? Ils vont donner le bébé à une famille sans bébé ? Et pour les familles avec déjà plusieurs enfants ? Ils vont garder lequel ? Le plus grand ou le plus petit ?

- Ne dis pas de bêtises. On ne va pas retirer des enfants à leurs parents. Non, la loi commence aujourd'hui, alors si une femme était déjà enceinte avant de son deuxième enfant, cela ne compte pas comme un délit, ni si une famille avait déjà eu des enfants, répondit son grand-père.

- Et puis un seul enfant par famille ce n'est pas si mal. Les parents s'occuperont plus de lui, ça sera meilleur pour son développement, il sera plus heureux ! Et en plus ça réglera, à long terme, le problème de surpopulation et au bout de quelques générations les gens seront tellement habitués à n'avoir qu'un enfant que cela leur paraîtra naturel ! s'enthousiasma Luna.

- Conneries ! Tu parles comme une pub de propagande ! Mais d'un côté t'as raison, dans vingt ou trente ans on ne sera plus qu'une bande de moutons bêlant, suivant le troupeau et le gouvernement sera déguisé en berger ! Et ça nous paraîtra normal, tellement normal qu'personne dira rien. Ouvrez un peu les yeux, putain ! Une école seulement obligatoire jusqu'à quinze ans, pas d'métier, les robots font tout ou presque, on est en train de décérébraliser toute une putain de génération ! »

Il aurait sans doute continué ainsi sa tirade haineuse durant de longues minutes si le regard noir de Seljord et le discret mouvement de tête de Luna vers Europe ne l'avaient pas coupé. Le garçon l'observait les yeux ronds, cherchant sans doute à donner un sens à ces paroles et, sans nul doute cherchant des exemples prouvant que ce que venait de dire le vieillard était vrai.

Cela lui rappelait l'histoire des robots. Pour rire, il lui avait un jour parlé de ces multiples livres où les robots contrôlent l'espèce humaine sans qu'elle ne se s'en rende compte et, du jour au lendemain, Europe était devenu partisan de cette théorie. Chaque fois qu'il venait voir son grand-père, il rapportait à Chris de nouvelles preuves que Nouvelle Ere était bien contrôlée par des robots. Cette petite lubie n'avait duré que quelques mois mais depuis le vieil homme évitait de présenter des théories à l'enfant. Juste au cas où.

Un silence plana durant quelques minutes dans le pavillon, symbole de la gêne soudaine de Chris et de la colère à peine dissimulée de Luna et Seljord devant ses propos.

Le nez dans sa tasse de thé, Europe observait les adultes du coin de l'œil. Il n'avait pas vraiment compris les paroles qui venaient d'être prononcées mais pressentait que cela allait encore être un sujet de discorde. Il savait très bien que son grand-père n'aimait pas Nouvelle Ere, qu'ici tout lui paraissait factice et de mauvaise foi, mais il ne tenait que rarement des propos agressifs comme ceux de Chris.

En réalité, Europe avait l'intime conviction que, au fond, son grand-père se retenait de cracher sur Nouvelle Ere car il savait que, malgré tous ses défauts, sans elle l'Homme serait sans doute encore en train d'errer dans le vide de l'espace à la recherche d'une terre habitable. Mais Chris, lui, semblait se moquer éperdument de devoir sa vie à cet assemblage de métal et de technologie et prenait un plaisir immense à critiquer chaque parcelle de la station. Et souvent le jeune garçon se demandait s'il était déjà ainsi avant de quitter la Terre.

Voulant à tout prix briser le silence qui pesait comme une chape de plomb sur ses épaules, il prononça du bout des lèvres la première chose qui lui passa par la tête :

« On va m'interviewer et me mettre en première page du journal. Ils disent que je suis un survivant et que c'est exceptionnel. On m'a dit que tout le monde était très impatient de lire ce que j'avais à dire.
- Et toi, Europe ? Est-ce que tu as envie de le faire ? C'est une machine qui va te poser des questions, elle ne prendra pas en compte ta tristesse et elle insistera jusqu'à avoir une réponse.»

Le jeune garçon eut l'air un peu perdu puis haussa les épaules, signifiant qu'il n'en savait rien.

« Moi j'trouve que t'as d'la chance, gamin. Moi, je n'ai jamais eu ma tête en première page d'un feuille de chou après l'Accident. Pourtant j'étais l'seul en vie, ça tu peux m'croire !

- Comment ça ? »

Europe fronça les sourcils, il avait bien entendu la majuscule dans le mot « accident » mais n'avait aucune idée de quoi pouvait bien parler le vieil homme.

« La collision de l'Amérique et de l'Océanie. Enfin plutôt des vaisseaux contenant les populations américaines et océaniennes. Ça s'est passé environ deux mois après notre départ de la Terre et encore aujourd'hui personne ne sait comment s'est arrivé, expliqua Seljord.

- Et comment tu as fait pour t'en sortir ?

- Eh bien, vois-tu...

- Non ! Mais vous êtes fous ? Lui raconter comment la Terre est devenu un enfer passe encore, mais ça ? Ah non ! Vous allez finir par lui donner des cauchemars, à ce pauvre canard ! s'offusqua Luna en claquant bruyamment la théière sur la table, projetant des gouttelettes sur le verre qui la recouvrait.

- Mais j'ai envie d'entendre, moi...

- Mais... ! Oh et puis fais comme tu veux ! Mais je ne veux pas te voir chouiner ni faire des cauchemars ! Et si c'est le cas, tu ne t'en prendras qu'à toi ! »

Elle se cala dans le fond d'un fauteuil et croisa les bras en affichant une moue de petite fille boudeuse.

« Ne te mets pas dans ces états, Luna, cette histoire n'est pas seulement celle de l'Accident mais aussi celle de notre première rencontre à Chris et à moi.

- C'est vrai ! Oh, vous pouvez me raconter ça aussi ! s'exclama Europe en bondissant sur ses jambes.

- Bah... Si ça t'fais plaisir, le môme. Repose tes fesses sur ton siège et attache-toi, nous partons très loin. Et c'est ton grand-père qui commence. Moi, j'finis ma tasse. »

Les yeux écarquillés au maximum, même s'il n'y avait rien à voir, l'oreille tendue à tel point qu'il sentait presque vibrer son tympan et les doigts fermement agrippés aux bords de son fauteuil, Europe attendait le début de l'histoire et sa formule rituelle.

« Oublions Nouvelle Ère, rendons-nous sur notre vieille Terre, ou plutôt devrais-je dire, rendons-nous dans l'espace, quelque part entre un satellite et un champ d'astéroïdes. »

Un petit chapitre d'exposition pour présenter les personnages où il ne se passe pas grand chose mais bon, on ne peut pas de suite attaquer dans le vif de l'action XD

Quoi d'autre? Ah, oui, je posterais un chapitre chaque lundi, donc rendez vous dans une semaine pour un chapitre à la deuxième personne!!

On m'a également conseillé de couper mes chapitres en deux, pour rendre la lecture plus agréable mais je n'ai trouvé aucun endroit où le faire ici... On verra ça dans le prochain!!

Sinon j'enjoins les lecteurs fantômes, oui! vous là qui lisez sans commenter, à venir laisser un pitit mot, je n'ai jamais mordu personne :)

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