Une matinée d'hiver

Noël. 25 décembre de l'année précédente. L'hiver était particulièrement grisâtre et humide en région parisienne. Le soleil n'apportait que la lumière nécessaire pour voir à travers la brume épaisse et les vestiges de la nuit précédente. J'allais, non sans flâner, chez un proche que je ne voyais que très occasionnellement. Les herbes mortes au bord de la voie ferrée étaient gelées, un décor plutôt figé et dur. Derrière le chemin de fer, un peu plus loin dans la brume, semblaient se trouver des tentes, des « habitations » plus ou moins difformes. Celles-ci contrastaient beaucoup avec les véritables maisons sur le côté opposé. De très grandes bâtisses, parfaitement claires et éclatantes de charme et modernité parisienne. Des haies somptueusement grandes et fournies, des allées royales qui débouchaient sur une ou plusieurs voitures hors de prix. Le numéro 254, inscrit en fer forgé sur la boîte aux lettres attirait particulièrement le regard. En voilà une maison de rêve ! Elle se déployait sur deux étages avec de sublimes balcons typiques de la capitale française ainsi que de grandes baies-vitrées tellement bien entretenues que l'intérieur était parfaitement visible, tout en transparence dans le gel du matin.

Une famille dans leur salon. Les deux enfants étaient au pied d'un sapin illuminé de diverses décorations de Noël. Ils avaient le sourire aux lèvres. Puis il y avait les parents. Ils les regardaient, assis à quelques pas de l'euphorie, prêts à immortaliser chaque instant avec leur caméra. Des paquets colorés dans leurs petites mains, les petits se mettaient vite à genoux pour déchirer le papier cadeau. Voilà le premier qui se levait en brandissant une console de jeu dernier cri. Il avait l'air pourtant très jeune, peut-être 4 ou 5 ans. Il pétillait de joie en élevant dans les airs, avec un peu de mal, la boîte contenant son trésor.

J'esquisse une légère risette tandis qu'un nuage blanchâtre sort de mes lèvres dans un soupir.

Un bruit. Un chien approchait. Il avait l'air à l'affût de quelque chose. Un garçonnet apparaissait quelques instants plus tard. Il était brun, les cheveux désordonnés, pieds nus sur le sol d'hiver. Le petit homme portait sur lui des habits décousus et bien trop grand pour sa taille. Cependant il était jeune, peut-être 10 ans. Il appelait son compagnon en sifflant et avait l'air apeuré. Que cherchait-t-il ? Que faisait-il dans ce quartier ? Le chien lui, était sale, il devait être blanc à l'origine. C'était un chien de berger. Il avançait, langue pendante en longeant les murs. L'enfant cherchait à le faire revenir près de lui comme s'il avait fait une bêtise.

La grosse boule de poil arrivait vite au niveau du numéro 254, le garçon sur ses talons. Le chien s'arrêtait à côté de la poubelle sortie et posée devant l'immense portail. Il regardait partout autour de lui, comme si quelque chose de mal allait lui arriver s'il restait plus longtemps dans ces endroits. Il observa d'abord son compagnon, puis la maison.

Habillée d'un pyjama rose à motifs fleuris, une petite fille, un peu plus âgée que son frère, ouvrait à son tour un cadeau parmi tant d'autres. Celui-ci aussi était conséquent. Elle se dépêchait d'ouvrir le carton coloré. C'était un ordinateur de grande marque. Encore une fois, la petite paraissait trop jeune pour obtenir un tel engin. Elle se mettait à sautiller et on pouvait l'imaginer criant sa joie derrière la vitre.

Pendant ce temps, le garçon dehors avait tout vu, mais il restait là, de marbre, dans l'hiver et l'aigreur. Il reposait alors les yeux sur son chien qui était assis, le regard plongé dans la benne. Son petit maître s'approchait doucement. Il ouvrait le couvercle, se mettait sur la pointe des pieds et tentait d'attraper quelque chose. Il devait avoir faim... et son chien aussi. Trop petit pour atteindre un quelconque déchet, il s'appuyait et grimpait. La poubelle ne tombait pas et ne bougeait pas même d'un pouce. Enfin, il avait réussi à saisir quelque chose et redescendait à pied joint sur le goudron froid. C'était un os à moelle. Le berger remuait la queue, il avait l'air heureux. Le garçonnet lui tendit alors et je pouvais lire sur ses lèvres : « Joyeux Noël ». Il se redressait et levait les yeux, il croisa les miens. Ni une ni deux, ils partirent tous les deux en courant, jusqu'à disparaître dans la brume matinale.

La famille, perchée sur ses deux étages, n'avait rien vu de tout cela. Elle était encore plongée dans l'hystérie de cette matinée de Noël et embaumée dans la chaleur de la fête.

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