7. Ève
Le réveil sonna à 10 heures, son premier cours débutait à 11 heures et il habitait à dix minutes de la fac. Apparemment, il était seul chez lui, son colocataire se trouvait certainement en TD. Comme tous les matins, Max ne faisait pas de bruit pour ne pas le réveiller.
Des cadavres de bières parsemaient son bureau au milieu des fleurs du mal de Baudelaire et d'un recueil sur les poèmes cannabiques de quelques grands auteurs du XIXe.
Luc émergea pendant une poignée de minutes, il se libéra enfin de son doux lit. Le reste du rituel était connu de tous les étudiants : petit déjeuner, douche, préparation de quelque affaire et fuite à la fac.
L'heure de littérature comparée passa rapidement. À la fin, Sara l'attendait, ils avaient rendez-vous au resto U de Vert bois, celui jouxtant la fac de lettre et la cité universitaire du même nom.
Sara était un des grands échecs de Luc, il l'avait rencontrée depuis un peu plus d'une année. Ils étaient en cours ensemble. Très vite, ils étaient devenus amis. Luc avait tenté d'aller plus loin mais il s'était vu opposer un refus ferme de Sara. Au lieu de dépérir, leur relation s'était solidifiée. Aucun malentendu ne venait ternir la situation, tout était clair et dit.
Pour Luc, Sara était la plus jolie fille des deuxièmes années de lettres modernes : cheveu roux, yeux noisette, silhouette fine et surtout un visage respirant la sincérité et la gentillesse. Sa voix ne faisait qu'accentuer l'aspect doux de sa personne. Elle souriait tout le temps et Luc adorait ça.
« Alors, Luc, tu as des nouvelles de ton ami disparu ?
-La police refuse d'enquêter, la famille n'a pas de nouvelles et Arthur nous entraîne dans un étrange jeu de piste.
-Un jeu de piste ?
-Oui, il a envoyé une lettre à Théo pour lui raconter une sorte d'histoire sur sa disparition. Sauf que l'histoire n'est pas complète, la deuxième partie de la lettre se trouvait dans une consigne automatique de la bibliothèque de droit à Richter, la troisième partie se trouvait sur un blog sur internet.
-Ensuite ? Vous avez trouvé la quatrième partie ?
-Non pas encore. Mais Théo doit la chercher à la fac, apparemment elle se trouverait dans les toilettes. »
Sara sourit, Dieu qu'elle était belle comme ça !
« Oui je sais ça peu paraître étrange, mais c'est l'indice que nous a donné Arthur.
-Et l'histoire qu'est-ce que ça raconte ?
-Arthur nous parle de ses derniers jours sur Montpellier, c'est un peu comme s'il avait prévu de disparaître à l'avance.
-Dis-moi, toi et ton copain Théo, vous ne seriez pas menés en bateau par hasard ? Tout ce que tu me racontes ressemble un peu trop à une blague débile de votre ami Arthur. J'imagine que cette histoire est purement fantaisiste.
-C'est ce que je pensais au début mais certains éléments me paraissent trop étranges pour être des coïncidences.
-Quels genres d'éléments ?
-Je ne préfère pas en parler.
-Vas-y, tu sais que tu peux tout me dire. Nous sommes amis, non ? »
Quelque chose n'allait pas, quelque chose lui disait de se taire. Un sentiment envahissant lui ordonnait de ne pas mêler Sara à toute cette affaire.
« Non vraiment, je ne préfère pas.
-Dans ce cas là... »
Ils mangèrent un plat de pâte avec du bœuf bourguignon, ou plutôt le genre de truc qui s'en rapprochait le plus, ce n'était pas réellement mauvais mais le goût fade ne passait pas très bien. Ils discutèrent de chose et d'autre : des cours, des profs, des camarades d'amphi, du travail...
Ils allèrent à la bibliothèque ensemble, mais Sara quitta Luc car elle devait préparer un exposé avec une copine.
La bibliothèque de lettres se trouvait au cœur de la faculté Paul Valéry. C'était un vieux bâtiment des années 60, avec des vielles tables et des vielles chaises trouées. Luc choisit longuement une place. Partir à la recherche d'une place était un de ses rituels favoris lorsqu'il se rendait à la bibliothèque. Il en trouva une qui donnait sur un superbe décolleté qui n'était visible qu'à travers des rayons de livre, aucune chance de se faire prendre.
Il dormait depuis dix minutes lorsque Sara vint le réveiller. Elle souriait de toutes ses dents comme à l'accoutumée.
« Salut Luc, dit-elle en observant la feuille qu'il avait devant lui, tu bosses la dissert' ou tu dors sur ta table ?
- En fait, j'étais en train de reposer mes neurones. Mais ce n'est pas ce que tu crois. Sinon, ça avance ton exposé ? Tu le fais avec qui déjà ?
- Avec une camarade de classe, je l'ai rencontré en début de semaine en T.D., elle est nouvelle, elle vient du Nord de la France, elle est vraiment calée sur les poètes du XIXe. Tu veux que je te la présente ? »
Un petit sourire malicieux se forma sur la bouche de Sara. La proposition se révélait intéressante. Il n'en fallut pas plus pour sortir Luc de sa torpeur digestive. Évidement, il ne savait pas à quoi elle ressemblerait, mais une fille qui connaissait des choses sur les poètes du XIXe siècle devait être une fille intéressante. Avec un peu de chance, il pourrait avoir une discussion sur la vie décadente de Baudelaire. Il ne se fit pas prier pour rejoindre Sara.
Ils traversèrent une partie de la bibliothèque pour aller vers les salles de travail. Quelques étudiants travaillaient mais la plupart venait ici pour s'abriter du froid automnal naissant, les discussions allaient bon train et beaucoup de jeunes gens se baladaient sans raison. Au bout d'un court voyage, Sara ouvrit une porte d'une salle de travail et s'exclama :
« Luc, je te présente Ève. »
Le Temps s'arrêta subitement. Luc eut l'impression d'observer un de ses rêves les plus fous, il refusa la réalité, cette fille ne pouvait exister, elle ne pouvait se tenir devant lui, elle ne pouvait être réelle. Luc observait la plus belle fille au monde, la fille qu'il trouverait la plus belle au monde.
Le Temps reprit ses droits, Luc avait le cœur au bord de l'explosion. Il observa la grâce absolue. Des yeux bleus intenses, des cheveux châtain clair coupés court, une peau douce au regard, une taille un peu petite, un visage fin et indescriptible de beauté, des petites mains que l'on rêverait de prendre, le corps d'Ève était un péché de par son existence. Elle ne ressemblait pas à un mannequin anorexique, mais elle était mince avec peu de seins et de longues jambes.
Luc pensa en la voyant à une apparition angélique, elle semblait avoir l'innocence d'une enfant, d'une enfant que l'on protégerait en la prenant dans ses bras. La beauté fut inventée pour la décrire, Platon aurait parlé d'elle comme d'une idée du monde des idées, elle semblait être tout ce que les autres filles étaient, en mieux.
Luc savait que cette vision ne tarderait pas à disparaître, il voulait qu'elle dure encore un peu, encore un tout petit peu...
S'il te plaît.
Sara tapa sur l'épaule à Luc : « Réveille-toi ! »
Luc se réveilla mais entra dans un autre rêve, toujours plus magnifique.
« Enchantée, dit Ève »
En effet, Luc était enchanté. La voix d'Ève lui paru aussi rafraîchissante que s'il venait d'errer dans un désert d'indifférence pendant toute sa vie. Elle lui caressa les oreilles d'une façon transcendantale.
Luc se perdait dans un océan de sentiment lorsqu'il se noya dans ses yeux bleus. Tout cela lui paraissait irréel, c'était tellement impossible, tellement soudain, tellement beau...
Ève lui sourit, son cœur accéléra encore et encore jusqu'aux limites de l'humainement possible, son estomac se noua, sa langue s'assécha, une goutte de sueur perla sur son front, sa vue lui joua des tours il lui sembla voir des étoiles voler autour de sa tête, ses sens le trahissaient un à un. Il s'assit sur une chaise sans quitter Ève du regard. Il ne pouvait agir, il était comme scotché sur la chaise. Ève prit la parole.
« Tu es en lettres modernes d'après ce que m'a dit Sara. »
Il lui fallut un certain temps pour pouvoir essayer de répondre et ce fut grâce à un effort insensé qu'il réussit à reprendre ses esprits pour pouvoir dire :
« Oui, oui. »
Visiblement satisfaite, Ève continua le questionnaire.
« Tu viens de la Réunion, c'est une belle île n'est-ce pas ?
- Oui, oui, répéta stupidement Luc.
- On m'a dit que tu avais un talent littéraire, j'aimerais voir ça...
- Je crois que j'ai trouvé ma muse. »
Ève sourit encore une fois, les traces d'une gêne commencèrent à apparaître. Luc reprit la situation en main.
« Et toi d'où viens-tu ?
- Je viens d'un petit village perdu en Normandie. Il n'y a rien de spécial à en dire.
- Tu viens voir le soleil dans le Sud...
- Oui mais pour l'instant il ne fait pas très beau, mais ça doit être normal pour un début novembre.
- Avec tout le soleil qui m'illumine, je crois que je vais devenir aveugle, tu m'éblouis. »
Ève commença à devenir écarlate, à présent elle souriait timidement en essayant de détourner l'attention d'elle. Luc observait ses mimiques et la trouva encore plus mignonne que la seconde précédente.
« J'espère que je ne te gêne pas.
- Non, non ne t'inquiète pas, sembla s'excuser Ève.
- C'est que euh... tu es tellement... enfin non ce que je voulais dire c'était que... »
Luc ne finissait pas sa phrase, Ève le regarda avec insistance comme pour lui demander d'exprimer son idée. Après quelques secondes de réflexion, Luc dit :
« Ta beauté m'impressionne. »
Cette fois-ci c'est Luc qui rougit. Mais il avait enfin réussi à exprimer ce qu'il pensait au plus profond de son être. Il n'avait pas l'habitude d'utiliser des manières si cavalière. C'était comme si la jeune femme lui donnait des ailes tout d'un coup.
« Je peux partir si je vous dérange, proposa Sara non sans une pointe de sarcasme.
- Excuse-moi, se reprit Luc, c'est moi qui vais repartir pour finir ma dissertation. Heureux de t'avoir rencontrée Ève... »
Il aurait voulu prendre son numéro de téléphone, il rêvait de la revoir, mais il fut comme paralysé, il ne pouvait rien lui proposer, il était effrayé à l'idée d'un refus, et si elle l'avait trouvé un peu lourd, et si elle ne voulait plus le revoir, et si... Les théories sans fondement affluaient dans son esprit. Il doutait de lui et de son célèbre charme. Il ne voulait pas qu'elle disparaisse. C'est lui qui allait disparaître ce serait beaucoup mieux. Il commençait à se diriger vers la porte, lorsque Ève l'interrompit :
« Attend si tu veux, on peut se revoir... »
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