2. Ce que l'on apprend par voie postale


Régulièrement, un rêve venait le troubler. Une fille venait lui parler et ensuite, ils s'embrassaient longuement. Des paroles, aucuns souvenirs ne survivaient au réveil.La fille ne lui laissait pas non plus une image claire. Une seule chose restait au réveil : un sentiment de vide et de frustration. Le vide, parce qu'il était désespérément célibataire et la frustration parce que le rêve était trop court.

Je ne vais pas devenir un foutu romantique quand même.

Les romantiques croyaient tout connaître de l'amour mais en fait, il n'y comprenait rien, ils voyaient quelque chose de beau et de transcendantal à une simple opération de remplissage. On en écrivait des livres, on en composait des chansons et on farcissait la tête de tout un chacun de poèmes stupides.

Pour Théo, le pragmatisme valait tout.

Du haut, du cinquième étage de sa tour, il pouvait contempler avec objectivité le monde qui l'entourait. Il y avait des matins où il se disait que rien ne tournait vraiment rond ici-bas. L'améliorer demandait trop d'effort, alors il se laissait porter par les masses bienpensantes.

La fainéantise et le conformisme étaient ses croix. En ce début d'automne, sa couette restait envers et contre tout son dernier rempart face au monde. Une nouvelle semaine commençait, son week-end avait été une pause dans la folie citadine, mais cette fois ci, il était de retour comme à chaque naissance d'une semaine. Encore une fois, il irait suivre des cours à la faculté, il apprendrait tous les grands principes du droit et une fois le soleil disparu, il retournerait dans son lit. La fainéantise l'empêchait de prendre un autre chemin. Tout était quand même plus facile lorsque la société vous acceptait.

D'un geste rapide, il s'élança en dehors de son lit. Il manqua de perdre l'équilibre, mais au moment où la chute fatale devenait une certitude, il se reprit.Heureusement personne ne le vit en si fâcheuse posture.

Vêtu simplement d'un boxer Calvin Klein, il traversa son appartement jusqu'à sa salle de bain. Un certain désordre cohabitait avec lui. Des serviettes de bain et des gants de toilettes gisaient çà et là. Pragmatiquement, il lui manquait une petite copine pour ranger tout ce foutoir. Cette pensée ridicule lui tira un sourire.

Il jeta son boxer au sol et s'engouffra dans la douche. Elle se présentait sous la forme d'une cabine en plastique dont le calcaire recouvrait la moindre parcelle.Il ouvrit à fond le robinet d'eau chaude.

Lorsqu'il reçut plusieurs litres d'eau glacé, il poussa un cri de castrat.

« Putain la salope, ce qu'elle est froide ! »

Outre le réveil procuré par une douche, ce divin moment permettait la réflexion. Il repensa à la première fois qu'il avait vu Arthur.

Sa tignasse rousse ne laissait guère indifférent, mais le plus surprenant chez lui était son imprévisibilité et sa folie latente. Ils s'étaient assis à côté une fois et ce con avait construit une tour avec ses stylos et un tube de colle. Les autres étudiants le toisaient avec dédain, mais Théo lui avait parlé.

Il n'en fallut pas plus pour qu'Arthur devienne un ami loyal. Les soirées passées en sa compagnie ne ressemblaient à rien de ce qu'il avait pu vivre. L'alcool coulait à flot, il n'y avait jamais de ligne directrice, on pouvait commencer dans sa chambre de cité U et finir nu comme un ver à la mer. En général, les personnes censées le fuyaient comme la peste.

Arthur était un type honteusement chanceux, il réussissait tout ce qu'il entreprenait, il fraudait le Tramway et le train sans jamais se faire prendre. Il ne redoublait jamais et attirait autour de lui des gens aussi dingues que lui.

Un seul domaine lui résistait, les filles. Il ne s'étalait pas trop mais une sorte d'échec sentimental au lycée lui avait fait perdre toute confiance en lui.Un jour, il avait prononcé le nom d'une certaine Marie avant de se rétracter.

À présent en pleine possession de ses facultés mentales, Théo sortit de la douche et enfila un peignoir. Il se sécha les cheveux et le visage et enfila ses lunettes. Le monde devint plus clair, ce qui n'était à ses yeux que des formes indistinctes se matérialisèrent en meubles. Il mangea rapidement une vielle brioche qu'il trempa dans un vieux café au goût de chaussette.

En voyant l'heure tardive, il s'empressa de s'habiller avant de jeter quelques affaires de cours dans son sac en bandoulière de « la Banque Postale ». Il sauta dans ses chaussures avant de s'enfuir à grandes enjambées de chez lui. Dans les escaliers, il fit mentalement la liste de tout ce qu'il devait ne pas oublier de prendre pour aller en cours.

Il s'arrêta lorsqu'il passa devant sa boîte aux lettres. Habituellement cette dernière croulait sous les publicités indésirables, mais aujourd'hui, une vraie lettre dépassait du lot. Il la prit et regarda l'adresse. Sans hésiter une seule seconde, il reconnut la sale écriture de son ami Arthur. Le cachet de la Poste indiquait le 2 novembre. Nous étions le 5. La lettre devait être depuis samedi dans la boite. En rentrant la veille au soir, il n'y avait pas prêté vraiment d'attention.

Tout en continuant sa route, Théo s'acharna sur son ouverture. Après avoir vaincu l'enveloppe, il en sortit les quelques feuilles et commença la lecture. Il avait une sorte appréhension au fond de sa gorge. Ceci n'était pas normal.Qui envoyait encore des lettres à l'époque des SMS ?

« J'étais ignorant. Il y a quelques jours encore, je pensais que le monde détenait une certaine logique. Je vivais comme ces milliards d'humains. Un voile d'ignorance cachait ma vraie vision.

À présent Théo, tu as le choix,soit tu cherches à savoir la vérité au risque de ta vie et de ta santé mentale, soit tu détruis cette lettre.

P.S. : Si tu reçois cette lettre c'est qu'il m'est arrivé malheur. Personnellement, je pense que tu peux m'aider, mais les autres ne partagent pas cet avis. J'ai le sentiment que l'amitié est ce qui nous sauvera tous, n'oublie jamais cela. »

Ce fut comme de prendre un coup à l'estomac, Arthur avait des problèmes, mais quant à savoir lesquels... Le ton de l'introduction posait les base pour de sombres et troublantes révélations. Sans plus attendre, il continua la lecture du courrier de son ami.

« Tout commença, le lundi 29octobre 2001, je rentrais chez moi après une journée de cours à la faculté de droit de Montpellier. Comme tu le sais, je suis en seconde année de droit, mon passage a surpris plusieurs personnes,moi le premier. J'habite à Boutonnet dans la cité U, au 4e étage du bâtiment G. De ma chambre on aperçoit une bonne partie du centre de Montpellier. Ce lundi-là, je vis de loin une sorte d'attroupement devant le bâtiment F. Curieux je m'approchais rapidement. J'aperçus des voitures, certaines de la police d'autres du SAMU. Plusieurs étudiants badauds s'arrachaient les miettes du drame qui venaient de se dérouler.

En me rapprochant, je reconnus un de mes voisins, un Marocain bien sympathique qui dormait plus souvent la journée que la nuit. J'engageais la conversation.

« Que se passe-t-il?

-Une fille s'est jetée du 3èmeétage et on l'a retrouvée en bas en bouillie, j'ai entendu dire qu'on l'avait jetée de la fenêtre.

-Qui l'a jetée ?

-J'en sais rien, me répondit-il,peut être un voisin jaloux ou un tueur psychopathe qui traînerait dans le coin...

-Pourquoi pas ? Lançais-je avec une pointe d'ironie. »


Je décidais de rentrer chez moi,j'avais du travail. Le soir, je mangeais au restaurant universitaire de Boutonnet avec vous deux Théo et Luc.

Ce soir-là au resto U tout le monde ne parlait que de la mort de cette pauvre fille. Les spéculations allaient bon train. On pouvait entendre qu'elle était dépressive, voire suicidaire ou qu'on l'avait assassinée après l'avoir volée ou encore violée...

Je lançais une discussion sur cet incident :

« Tout à l'heure, quand je suis rentré chez moi, il y avait la police et une ambulance devant le bâtiment F. Une fille est tombée du 3e étage, il parait qu'on l'a poussée.

-C'est bizarre, dit Luc, ce genre de truc arrive rarement.

-Non au contraire dans les cités U on avait déjà eu des vols, des viols, des agressions et maintenant on a un meurtre, lui répondis-je, moi je dis qu'il faut plus de sécurité.

-Je ne pense pas que ce soit la meilleure des solutions, on risque de tomber dans une sorte de micro société Orwellienne, dit Théo, le meurtre de tout à l'heure c'est un cas isolé, non ? C'est le premier.

-Attendez, reprit Luc, on ne sait pas si c'est un meurtre il se peut que ce ne soit qu'un suicide.

-Je n'en sais rien, commençais-je,mais il se peut qu'il se passe des choses étranges pendant la nuit,par exemple je connais quelqu'un qui a fait tomber son téléphone portable par sa fenêtre un soir et on l'a retrouvé à une vingtaine de kilomètre d'ici dans les mains d'un gitan.

-Ta copine ce ne serait pas Assia ?demanda Théo.

-Oui.

-Elle ne serait pas en fac de lettre.

-Oui.

-C'est bien connu les étudiants à la fac de lettre ont une grosse imagination et en plus la plus par tsont des drogués, se moqua Théo.

-C'est bizarre mais pour un étudiant en droit tu es rempli d'a priori ! S'exclama Luc,j'imagine que c'est la mode chez vous de raconter tout et n'importe quoi. »

La discussion se poursuivit ensuite sur la quinzaine d'heures de cours des étudiants en lettres avant de déboucher sur le programme de la soirée de mercredi, en effet se déroulerait le premier grand rendez-vous de l'année :Halloween et il fallait fêter ça.

Vers 21h00 je rentrais chez moi, je m'apprêtais à passer une soirée tranquille lorsqu'un quart d'heure plus tard on tapa à ma porte. J'accourais vers le judas et j'aperçus Assia, je la fis rentrer. C'était une fille grande et assez mince. Elle n'était pas très belle, plutôt laide avec un visage enfoncé et des dents en avant. Elle avait raté trois fois sa première année de droit et était cette année en A.E.S. à la fac de lettre. Assia était particulièrement "futile" comme personnage. Elle ne pensait qu'à apprendre les potins plus ou moins en rapport avec le sexe, de la fac de droit. Elle passait des nuits entières à me parler de la vie sexuelle de sa voisine qu'elle entendait tard le soir. La frustration transpirait de chacune de ses paroles, elle désirait plus que tout un petit copain, mais je ne donnais pas dans le social.

Assia tout comme moi habitait à Boutonnet au rez-de-chaussée du bâtiment F chambre 12.

Je fis donc entrer Assia ce soir-là dans ma chambre.

« Tu as vu ce qui s'est passé tout à l'heure dans mon bâtiment ? Commença-t-elle.

-J'imagine que tu veux parler du cadavre.

-Oui, oui, c'est bien ça c'est super excitant, tu ne trouves pas ?

-Moyennement une fille s'éclate par terre et tu trouves ceci excitant.

-Mais cette fille était en fac de Droit l'année dernière, elle a raté son année et elle est venue en AES.

-Comme toi !

-Oui comme moi ! Et alors c'est quoi le problème ?

-Il n'y en a pas, c'est juste que ce ne soit pas donné à tout le monde d'être bon en droit, lui lançais-je ironiquement. »

Assia me fixa sombrement du regard,je sentis que sa main lui démangeait de me coller une baffe. Il fallait que je change de sujet au plus vite.

« Tu la connaissais la fille qui est tombée ?

-Seulement de vue, elle s'appelait Sylvia, elle n'avait pas de copain, et sa meilleure amie est à la fac de droit en première année elle s'appelle Cindy, Cindy Martin... »

Assia fit une pause tout en me lançant un regard inquisiteur :

« Tu la connais, n'est-ce pas? »

Je la connaissais en effet, nous étions dans les mêmes travaux dirigés l'an dernier elle était insolente, orgueilleuse et hautaine, je détestais ce genre de personne. C'était une petite blonde, aux yeux bleus et à l'allure faussement bourgeoise. Les rumeurs les plus folles courraient surelle. Il paraîtrait qu'elle aurait couché avec Monsieur Carsé célèbre et aimé professeur de droit civil. Cependant, Cindy avaitre doublé.

Je me souviens du jour des résultats, elle était entrée dans une colère noire, insultant tous ceux qui avaient réussi, ce qui avait posé certains problèmes.

« Je connais le personnage en effet, répondis-je à Assia.

-Tu sais ce qu'elle a fait était légitime. C'était une sorte de vengeance contre le système.

-Une vengeance ! Mon cul tu veux plutôt dire qu'elle est devenue hystérique à cause de son ignorance et de son échec... »

Je fus coupé dans mon élan de haine envers Cindy par un bruit à ma porte quelqu'un y tapait. Je n'attendais personne de précis, mais il n'était pas rare que mes voisins me demandent divers services allant du prêt de balais à la cession de papier toilette. Je me levais de mon lit où j'étais assis et j'allais voir dans le judas. À ma grande surprise,j'aperçus Cindy. Avec beaucoup d'hésitation, j'ouvris la porte,c'était la moindre des politesses...

Cindy m'offrit un sourire forcé,elle me haïssait presque autant que moi je la haïssais. La première seconde de surprise passa avec une lenteur pesante. Elle prit la parole, sa voix n'était pas naturelle, certaine de ses intonations vinrent me caresser les oreilles avec une certaine perversité malsaine :

« Mon cher Arthur Cobit, comment va-tu ? »

Cette question me surprit fortement comme la personne qui me la posait. Je gardais le silence pendant quelques secondes avant de lui répondre :

« Ça, ça va plutôt bien,jusqu'à ton arrivée, mais que tu fous... enfin non, euh...Qu'est-ce qui t'amène chez moi ?

-Je fais une fête mercredi soir chez un ami de la fac, si je t'invite, tu viens ? »

Ma surprise venait d'atteindre son paroxysme. Je repris au plus vite mes esprits pour pouvoir mieux refuser son invitation.

« Tu rêves, moi venir à une de tes fêtes ? Si c'est pour te voir, je préfère encore la compagnie d'une bouteille de whisky ! »

Nos regards se croisèrent, ses yeux plongèrent dans les miens, quelque chose d'immatériel rentra dans mon esprit pour mieux l'asservir. Le temps se suspendit, ma volonté fut jetée à bas je n'étais plus qu'un pantin entre ses mains, elle montra pourquoi je devais l'écouter, elle me fit accepter le fait qu'on aurait pu être ami si je n'avais pas été aussi bête. À présent elle m'offrait une deuxième chance de me racheter, je me sentis donc obligé d'accepter. Je ne pris conscience d'avoir été manipulé que bien plus tard, pour l'instant j'étais un enfant qui venait de faire une bêtise. Un adulte me grondait, Cindy.

« Va-tu venir à ma fête ? »

Une petite voix à l'intérieur de moi grandissait en me commandant : "Accepte"

« Oui, répondis-je enfin avec conviction.

-Très bien, tes amis pourront venir aussi »

Sans dire un mot Assia observa la scène, lorsque Cindy fut partie elle se rapprocha de moi et me demanda si tout allait bien.

« Oui tout va bien,répondis-je, maintenant peux-tu me laisser, s'il te plaît.

-Attends j'ai un autre truc à te...

-Sort tout de suite, crie-je »

Assia sortit en vitesse sans protestation. Je m'assis sur mon lit avec l'impression d'avoir été lobotomisé. Une grosse migraine me fit rapidement sombrer dans le sommeil. »

Théo ne savait que penser de cette histoire. Il se souvenait du soir où on avait retrouvé cette fille.La cité U était en émoi, mais quel était le rapport avec la disparition d'Arthur. Qui plus est la manière dont Cindy persuada Arthur semblait plus que douteuse. En fait ce texte était tellement subjectif qu'il en devenait impossible à croire.

Sylvia était le nom de la jeune fille. Théo se souvenait d'un mémorial improvisé. Tous ceux qui la connaissaient avaient apporté des fleurs. Certains avaient laissé un petit mot pour la famille. Les médias locaux reprenaient l'histoire dans leurs diverses interventions.

Comment une fille qui réussissait tout avait-elle pu se suicider ?

Ça et là on chuchotait le mot de meurtre, Arthur le précisait dans son texte. Cependant, la police ne penchait pas pour cette thèse. Le dossier ne tarderait pas à être classé.

Assia connaissait le problème, elle avait certainement la réponse à de nombreuses questions. Théo ne la portait pas vraiment dans son cœur et dire ceci n'était pas un euphémisme. Loin de la franche hostilité, régnait entre eux deux une relation basée sur l'indifférence. Au-delà de sa laideur (somme toute naturelle), il exécrait par-dessus tout son sale caractère. Pour lui, cette fille passait son temps à profiter de son ami Arthur. Dès qu'elle le pouvait, elle lui demandait un service, il y avait toujours des courses à porter, des histoires à la con à écouter et des copines à supporter. À chaque fois,Arthur se faisait manipuler, il tombait tellement souvent dans le panneau que Théo ne les comptait plus. Le jeune homme préférait se tenir le plus loin de cette Assia. Il avait déjà fait part de son aversion à Arthur.

Cette fois ci, son cher ami était dans la mélasse jusqu'au cou. Son intuition lui hurlait que tout ceci n'était que le début d'ennui encore plus grand. Théo ne détruisit pas la lettre, Luc la lirait avec plaisir.

Lorsqu'il remit la lettre dans l'enveloppe, Théo ne pu s'empêcher de remarquer une petite feuille volante. Sans chercher plus d'explication, il la tira et la lut avidement.

« Mon âge est le numéro du casier, ma date de naissance est le code, le tout se trouve au temple de la recherche juridique dans une consigne automatique. »

Le code n'était pas très recherché, mais il avait le mérite d'être efficace. Seuls quelques personnes connaissant Arthur pourrait le déchiffrer. Il avait vu le jour le 8 octobre 1982 et avait donc 19 ans. Enfin, la bibliothèque flambant neuve de Richter représentait le temple du savoir juridique.

Il devait avertir Luc des dernières avancées de leur petite enquête, Assia serait interrogée et enfin la consigne automatique numéro 19 de la bibliothèque révélerait ses secrets.

Mais avant tout, Théo avait un cours de droit civil.

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