11.Les nuits de Montpellier

L'attente fut longue pour Luc mais le vendredi soir arriva enfin avec toutes ses promesses de fête et d'excès. Les heures de cours parurent interminables. Il ne pouvait s'empêcher de jeter un regard sur Ève toutes les deux minutes. Elle était tellement belle qu'elle en devenait quasiment sacrée. Après être rentré chez lui, il rejoignit Ève et Sara. Cette dernière conduirait et ramènerait tout ce beau monde pour cette sortie. Pour finir la soirée, Luc avait fait l'acquisition d'une bouteille de Whisky : du Chivas. Ève s'occupa de l'herbe : provenance directe de l'Afghanistan, juste avant le déluge de feu.

Pour une soirée d'automne, Ève n'avait pas froid dans sa courte robe blanche qui suggérait autant qu'elle montrait. Ève la portait tellement près du corps que Luc crut la confondre avec sa peau. À côté de cette beauté ultime, Sara avait de quoi être jalouse. Elle n'était pas laide mais à côté d'Ève les autres filles n'existaient plus. En fait Luc ne lui prêtait plus beaucoup d'attention, tous ses regards, tous ses sourires et toutes ses paroles gentilles allaient à Ève.

Ils entrèrent sans aucun problème dans la boite : le Rhum ambré. Le nom de l'endroit ne collait pas avec l'ambiance neutre de la décoration. De plus de l'avis de tout le monde, le nom était stupide et inutile. À l'intérieur, une ambiance festive de fin de semaine régnait. Le plafond invisible resterait couvert de fumé toute la soirée. Des dizaines de personnes dansaient, certaines se retournèrent pour observer Ève. Le DJ surélevé dominait le dance floor comme un gourou. Les adeptes s'exhibaient tel des pantins sans vie. La musique faillit arracher les tympans de Luc qui crut reconnaître l'hymne des lofteurs : Up and Down.

Devant la pauvreté musicale, Luc décida de ne pas danser pour le moment et de prendre un verre. Il commença tranquillement par une bière, Ève le suivit. Sara prit un jus d'orange.

« Boire ou conduire, il faut choisir, se moqua Luc. »

Sara préféra ne pas répondre à de telles paroles. Elle but tranquillement son verre en remarquant que de plus en plus d'homme tournait autour d'Ève. Cette fois, elle sentit la jalousie monter en elle, personne ne la voyait.

Luc continua ses expériences alcoolisées par un rhum flambé. Le liquide lui brûla la gorge mais c'était l'effet voulu. Il enchaîna avec un gin tonic qu'il engloutit cul sec devant un clin d'œil encourageant d'Ève. Le moment de danser étant venu, il emmena sa dulcinée sur la piste. La techno frappait fort, très fort, c'était un des titres d'Embargo. Les corps tout autour de Luc se mouvaient par saccade, le stroboscope tout excité changeait sa perception des choses à moins que ce ne soit l'alcool qui commençait à agir. Des raies de lumières vertes et rouges transperçaient des volutes de fumée. L'air puait le déodorant bon marché, la sueur et la cigarette.

Ève était la plus belle ce soir, tous les regards se tournaient vers elle, les garçons la désiraient, les filles la jalousaient. Luc ne comprit pas le manège. Ce manque de compréhension, il le paya au prix fort. Un homme s'interposa entre lui et Ève. Il fallut à Luc de grand effort pour revoir sa petite amie. La situation devint de plus en plus catastrophique, des groupes de garçon tentaient diverses approches en vue de se retrouver avec Ève.

Luc comprit enfin ce que tout cela signifiait : c'était une bataille. Il devrait donc se battre pour garder Ève. Mais ce ne serrait en aucun cas une bataille où l'on attaquait pour blesser, non ce serait une bataille pour rester près d'Ève. Lorsque Luc saisit cela, il commença les hostilités en bouchant le passage à un petit rouquin. Il attira ensuite Ève dans ses bras ce qui découragea ses assaillants les moins motivés.

Mais ce répit ne dura pas longtemps, d'autres danseurs ré-attaquèrent. Ils bousculèrent Luc qui se défendit en distribuant quelques coups de rein. La situation empira lorsque Luc sentit que son postérieur devenait la cible d'un pervers. Il ne défendait plus seulement Ève mais il devait s'auto défendre. Une sorte de main ferme et masculine se baladait sur son cul.

La musique changea, on passait au moment Kitsch de la soirée avec une Tata Yo-yo très électronique. Le pervers derrière Luc continuait ses frottements. Lentement, Luc sentit la colère monter en lui. Peu à peu il perdit la compréhension qu'il avait des choses, il s'apprêtait à partir en croisade pour sauver sa bien aimée. Il se retourna tellement rapidement que le pervers eu un geste de recul.

Luc voyait deux solutions : 1) il discutait calmement de leur différant d'ordre sexuel (Luc voulait demeurer hétéro), 2) il lui cassait la gueule tout de suite.

Le problème de Luc était que son taux d'alcoolémie montait dangereusement, il se croyait donc invincible et très malin, il ne ferait qu'une seule bouchée de ce gros con.

Le pervers le regardait d'un air interrogateur lorsqu'il s'écrasa au sol en déclenchant un début d'affolement général. Luc regarda son poing en s'étonnant de la puissance de son coup.

Malheureusement pour lui, le pervers se releva et rendit à Luc son coup de poing. Le pauvre Luc s'écrasa sur une table. Une bouteille de vodka tomba au sol déversant ainsi son précieux liquide au sol. L'alcool atténua la douleur du coup.

Ce fut à ce moment précis alors qu'il se remettait difficilement debout que Luc se souvint d'Ève. Cette idée introduisit en lui un tourbillon d'émotions contraires et illogiques : avant toute chose il devait la retrouver. Un regard sur le champ de bataille qu'était devenue la piste, ne lui apprit rien.

Les videurs se jetèrent dans la mêlée en frappant quelques clients ivres, la confusion ne cessait grandir, des gens courraient chaotiquement dans tous les sens, des verres et des bouteilles se brisaient, les cris de paniques furent bientôt plus puissants que la musique. Les diverses odeurs d'alcool embrumèrent l'esprit de Luc qui remarqua que le pervers le chargeait. Lorsque les deux corps se rencontrèrent Luc fut soulevé du sol et il crut planer pendant un instant. Il ne sentait plus vraiment son corps. Mais lorsque l'homme le jeta par-dessus le bar tout ne fut que douleur et ténèbres.

Je suis mort ?

Ses yeux s'ouvrirent et il revint en enfer. Le pervers passa au-dessus du bar et alla s'écraser sur la réserve de bouteille, il avait été pour ainsi dire projeté par une étrange force, comme s'il n'était qu'un simple caillou. Luc ne cherchait plus à comprendre ce qu'il voyait, ça ne servait à rien. Un mégot de cigarette s'écrasa sur l'homme imbibé d'alcool, il devint en un instant une torche vivante. Ses mouvements décousus ne suffirent qu'à répandre le feu. À travers le chaos, les cris, les bris de verre et la musique agonisante, il l'entendit, il entendit la voix de celle dont il ne pouvait plus se passer.

« Luc ! Viens vite ! »

L'appel venait de l'autre côté du bar, Luc se leva et sauta en s'aidant des mains par-dessus le bar. Sur la piste de danse le combat faisait rage, la frénésie s'emparait de tout le monde. Les videurs semblaient acculés.

Luc vit que Sara leur faisait de grands signes, elle les attendait à côté de la sortie. La fumée du feu se densifiait, mais cela ne gêna pas la fuite des trois étudiants. À l'extérieur le désordre régnait aussi. Des ex-danseurs se dirigeaient vers leurs voitures. Sara entra avec précipitation dans sa voiture, elle mit le contact, recula puis accéléra. À l'arrière Ève enlaçait déjà Luc qui n'attendait plus que ça. La voiture de Sara faillit écraser le petit rouquin. L'adolescent roula sur le pare-choc et se rattrapa au sol. Luc lui trouva une certaine ressemblance avec Arthur.

Devant l'excitation de la scène, Ève s'écria :

« Putain, on s'éclate vraiment dans le Sud.

- Cette boite est vraiment chaude, mais je ne crois pas y revenir un jour. »

Derrière eux des colonnes de flammes léchaient avidement le bâtiment, tout brûlait allègrement, un moment on se serait cru le jour de la saint-Jean. La sombre fumée cacha pendant un instant les étoiles et la lune. Tandis que la voiture s'éloignait, le brasier rétrécissait, à la fin ce ne fut plus qu'un lointain point lumineux perdu au milieu d'une nuit de poix.

Sara ramena les tourtereaux chez Luc. Elle rentra ensuite se coucher en regrettant un moment les chances qu'elle avait laissées passer. Le passé demeurerait le passé mais si elle pouvait changer certains éléments, elle le ferait avec plaisir.

Luc ouvrit la porte de l'appartement et Ève rentra. Elle jaugea rapidement la décoration avant de remarquer la bouteille de whisky qui se dressait de manière obscène sur une table basse en plastique. Les murs était remplis de poster de musiciens : Mogwaï, Muse, Placebo, mais aussi de films : Lost highway, Battle Royale, Transpotting...L'appartement était vide, le colocataire philosophe de Luc ne se trouvait pas ici. Les quartiers libérés, la vraie fête pouvait commencer.

Luc alla chercher des verres pendant qu'Ève roulait un pétard : scène de décadence étudiante habituelle...

Luc posa les longs verres près de la bouteille de Chivas. Il retourna vers le frigo qui était dans une minuscule cuisine. Une plaque chauffante et un minuscule four était les deux modes de cuisson que Luc utilisait.

« Alors... dit-il, pour couper, on a du coca, de l'orange et... »

Luc souleva une bouteille d'un air interrogateur. Il secoua le liquide jaune foncé. En voyant que rien ne se passait, il ouvrit le bouchon et sentit la bouteille, il sourit.

« Oh du jus de pomme ! »

Ève qui mouillait le papier lui répondit :

« On le prend pur, je préfère.

- Pur, mais c'est de la folie.

- Si tu veux, tu peux le couper, si tu ne t'en sens pas capable. »

Non, Luc refusait que sa copine boive plus que lui, on n'avait jamais vu une fille boire plus que lui, ce n'était pas une mauviette.

Ève savait trouver les mots qu'il fallait pour piquer l'orgueil des hommes, surtout de celui-là.

« Je te suivrai. J'ai l'habitude de toute manière, je suis super résistant à toute forme de produit stupéfiant, alors un peu de whisky c'est une blague pour moi, j'ai été élevé au rhum. »

Luc servit un verre à Ève, puis hésita avant de se servir. Mais devant un regard inquisiteur d'Ève, il s'exécuta sans un mot. Le liquide marron translucide coula dans son verre avec une certaine finesse de 10 ans d'âge. Ils trinquèrent :

« À notre futur, proposa Luc.

- Au présent, répondit Ève. »

Luc réfléchit une seconde, c'est lui qui aurait dû trinquer au présent, sans le vouloir cette fille changeait totalement sa vision de la vie. Il voulait un avenir avec elle, il voulait construire une relation à l'épreuve du temps.

Pendant un instant, il se vit vieux à la terrasse d'une maison au bord de la plage. Il tenait la main d'Ève que le temps avait épargnée. Ils racontaient à leurs cinq petits enfants cette soirée-là Il voyait une pièce remplie de photo et de prix qu'ils avaient eu ensemble. Posé sur un énorme buffet, une photo de mariage embellissait toute la maison. Il tenait Ève qui portait une longue robe blanche. Elle ressemblait à un ange.

Luc se posa une question au fond de son cœur : C'est donc ça l'amour ?

Ève but cul sec sans autre forme de préliminaire. Surpris mais décidé, Luc la suivit, sa gorge chauffa, il sentit que des milliers de bactéries mourraient sur le passage de l'alcool. Son visage fit une horrible grimace, mais il évita de tousser. La sensation de chaleur passa lentement. L'alcool ne faisait pas encore son effet mais ça ne tarderait pas.

Ève alluma le joint en souriant, elle en tira quelques bouffées qui s'envolèrent en formant des volutes. La fenêtre était fermée et la pièce serait bientôt transformée en aquarium. Luc reconnu l'odeur si particulière du cannabis. Son tour allait venir.

« C'est vraiment de la bonne herbe, ça va te défoncer rapidement.

- J'ai l'habitude, à la Réunion on a le Zamal, quand on a connu ça plus rien n'est impossible. »

Ce devait être l'alcool qui agissait enfin, il se sentait totalement invincible et ce ne serait pas un petit pétard qui remettrait cette affirmation en doute. Ce soir tout lui serait permis, il avait enfin trouvé l'amour, il voulait voir comment ça faisait d'être amoureux défoncé ou bourré, l'expérience pourrait se révéler intéressante.

Ève lui passa enfin le cône encore tout fumant, un passeport pour d'autre état de conscience, une porte vers l'onirisme, un ascenseur pour les étoiles. Avec une impatience fébrile, il prit en douceur l'objet de ses fantasmes. Il porta la chose à ses lèvres et invita la fumée à entrer dans son corps. Des dizaines de substances chimiques entrèrent dans ses poumons. Certaines en ressortiraient d'autres y resteraient. Dans une de ses dernières pensées logiques, Luc remarqua la puissance du pétard. Soudain, il se mit à tousser, la fumée repartit chaotiquement de ses poumons. Il se savait un peu idiot de tousser à la première bouffée.

Merde, je suis en fac de lettre quand même.

Sa tête tournait, à un moment elle sembla même vouloir tomber en arrière. Il reprit ses esprits et reporta le pétard à sa bouche. Mécaniquement, il répéta l'action trois fois. Avec une grande difficulté il passa le joint à Ève. Sa gorge le brûlait affreusement, comme s'il avait mangé de la braise. Il s'allongea en ricanant stupidement. Son lit était plus doux et plus moelleux que dans ses souvenirs.

Luc n'allait pas mal, il se sentait bien, il volait, il planait allongé sur son lit.

« Tiens boit ça, Luc. »

Ève lui tendit un verre, il se releva et sans un regard pour le liquide il but le verre d'un trait. Il ne ressentit pas la moindre sensation. Il riait toujours sans raison, mais faut-il une raison pour rire ?

Il tomba comme une masse sur son lit, son regard fixé sur le plafond, il réfléchissait à son futur. Mais sa démarche certes originale n'aboutit à rien. En effet, il confondait passé et futur, il voyait comme futur un retour à la maternelle. Sa réflexion illogique fut violemment stoppée lorsque Ève pénétra dans son champ de vision. Elle souriait étrangement et commença à l'embrasser délicatement. Ses yeux bleus contenaient mille et une émotion, les mots étaient inutiles pour décrire sa beauté et sa grâce. Sa douce main descendit le long de la poitrine de Luc. La peau du jeune homme vibrait sous les assauts voluptueux de la jeune femme. La main descendit encore en caressant le ventre de Luc. Ses sens marchaient à l'envers et de façon décalée. La sensation de bien-être dominait toutes les autres. Plus rien ne comptait en dehors de la chaleur du corps d'Ève et du sentiment de plénitude, pour la première fois Luc savait ce qu'était la joie. Le bonheur descendait le long de son ventre et le couvrait de fins baisers.

Le plaisir atteignait des sommets lorsque Luc aperçut que son plafond bougeait. La seconde suivante Ève disparut de son champ de vision. Il ne la suivit pas des yeux, le plafond l'hypnotisait trop pour lui permettre le moindre mouvement. Ève devait être en train de défaire son pantalon mais ça ne l'intéressait pas.

Le plafond se mouvait en formant des vagues comme s'il était fait d'eau et qu'on y avait lancé une pierre. Luc n'avait pas peur, rien ne pouvait obscurcir son bonheur. Au centre quelque chose apparut, ce fut d'abord des doigts puis ces doigts formèrent une main.

Impossible.

Luc n'en croyait pas ses yeux, la main l'appelait. Son corps se mit à monter en flottant dans les airs, la gravité disparaissait. Luc leva son bras pour attraper la main. L'effort lui parut inhumain, c'était comme si sa main avait été lestée de poids de plusieurs kilos. Mais au final, il réussit à attraper cette main. Les doigts le serrèrent et d'un coup sec la main le tira vers le mur avec une vitalité inouïe. Son bras pénétra dans le mur en formant de nouvelles vagues. Sa tête suivit.

Le décor devint tout noir, il aperçut le visage d'Arthur qui le regardait sévèrement. Ses yeux verts brillaient avec intensité. Devant cette vision impossible, Luc se débattit et lâcha la main. Les lèvres d'Arthur bougeaient, mais aucun son ne sortait.

Pour Luc, tout devint ténèbres.


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