chapitre 6

Mon manège à moi (Étienne Daho)

L'assiette présentée devant moi est digne d'un grand chef étoilé. Je n'ose même pas y piquer ma fourchette.

-Vous ne mangez pas ?

Je lève le regard vers Antonio.

-Si. Mais je ne sais pas par où commencer.

Il attrape sa fourchette et d'un air malicieux ajoute en la portant à sa bouche :

-Juste comme ça !

J'examine ses lèvres bouger en silence, puis l'assiette, ainsi que le cadre autour de nous me donnant un aperçu de vacances en Italie. Et enfin, porte la fourchette à mes lèvres.

Ce mélange de parmesan, veau haché aux tomates et aux oignons est tout simplement remarquable.

-Mon dieu c'est une tuerie !

Il fronce les yeux et j'ajoute dans un français un peu plus correct.

-C'est divin Antonio.

Il acquiesce, heureux, que je puisse apprécier sa cuisine.

-Ce sont des Conchiglioni. En français, la signification veut dire : coquillage. Ils viennent de Vénétie.

Il me sert un verre de vin, un rouge qui me semble être un grand cru. J'agrippe le pied entre mes doigts et ajoute un peu moqueuse :

-Je pensais que c'était pâtes et café ?

Il sourit et je porte le cristal à mes lèvres.

En l'écoutant parler, je me rends compte que je ne connais absolument rien de cet homme.
La seule chose que je sais de lui est qu'il habite dans un appartement terrasse digne d'un milliardaire qui surplombe Paris. Qu'il aime cuisiner. Et prendre des photos.

Mais à part cela, que sais-je réellement de lui ? Rien.
Alors je me risque une seconde fois et pose mon verre sur la table.

-Qui êtes-vous réellement Antonio ?

-Un homme, Axelle.

-A part cela !

-Je ne désire pas parler de mon métier avec vous. Je veux juste passer une agréable soirée...

Son visage s'approche du mien, sa main se tend vers une de mes mèches humides. Il l'agrippe entre ses doigts, pour la laisser glisser ensuite.

-Vous me laissez imaginer trop de choses Antonio !

-Dites-moi ?!

-Gangster, mafieux, trafiquant de drogue voire même proxénète.

La commissure de ses lèvres s'étire dans un sourire rempli de promesses.

-Je vous jure sur ma vie que je ne fais aucun de ces métiers.

-Ok ! Je vous crois. Nous allons donc laisser votre profession de côté. Même si ma curiosité me pousse à le savoir.

-Disons que mon métier à tendance à faire fuir les femmes. Et je suis certain que de toute façon vous le découvrirez assez rapidement.

Il baisse la tête et sa mèche frontale glisse au bord de son œil. Mes doigts me démangent de lui attraper pour la replacer à sa place, mais je me ravise et continue ce repas délicieux.

-Je sais au moins une chose Antonio !

-Oui ?

-Vous êtes un passionné de photographie et de cuisine.

-C'est une façon de me détendre Axelle. Pour la cuisine, j'aime créer des saveurs, les mélanger entre elles. Et en ce qui concerne la photo, c'est de capturer des moments insolites. Des sourires. Des visages. Des expressions. Et des corps parfois.

Je dépose ma fourchette au coin de l'assiette, pose mes coudes sur la table et mon menton dans mes mains, je l'écoute me dévoiler quelques-uns de ses secrets. Puis sans que je puisse me contrôler, mes yeux se mettent à scruter cet homme. Ils glissent sur son visage, comme une douce caresse.

Ses traits sont ciselés comme l'aurait fait un sculpteur avec minutie et perfection, et malgré sa barbe de quelques jours, je discerne son menton carré et ses pommettes larges.
Ses lèvres ? Prêtes pour être embrassées.
Je souris bêtement, il fronce les sourcils.

-Arrêtez de me regarder comme ça Axelle ! On a l'impression que vous allez me dévorer.

Je cligne des yeux, troublée, et replonge mon nez dans mon assiette pour continuer à déguster ces Conchiglioni farcies.

-Désolée ! Murmuré-je du bout de mes lèvres.

-Et vous, c'est quoi votre métier ?

Je lève ma tête, interpellée.

-Ce n'est pas juste Antonio. Vous, vous avez le droit de savoir ce que je fais dans la vie ? Mais pas moi !

Il approche son visage du mien et j'inspire son eau de toilette qui me fait tourner la tête.

-Parce que je suis sûr que votre métier est cent fois plus intéressant que le mien.

J'acquiesce, il me sert un autre verre de ce nectar alcoolisé qui, lui aussi, commence à me faire un certain effet. Et je le porte à mes lèvres pour boire deux gorgées.

-J'ai oublié de vous féliciter pour votre vin, c'est un nectar des dieux.

Il rit une fois de plus. De ce rire grave et rauque qui se percute partout en moi.

-J'adore vos expressions Axelle. A vous toute seule, vous êtes une vraie bouffée d'oxygène.

A l'entendre dire, il me donne l'impression de faire un métier qui lui prend énormément de temps. Je pense qu'il désire aller voir si l'herbe est plus verte ailleurs. Alors je me lance dans l'explication de ma passion. En espérant que cela pourra lui faire changer les idées.

-Je travaille dans une association où l'on élève des chiens pour guide.

-Expliquez-vous ?

-C'est une fondation pour chien de guide. J'y suis rentrée à cause de ma meilleure amie.

Je me stoppe pour chercher des mots simples.

-Elle a été sourde et son chien, Prisca, l'a aidée dans beaucoup de choses.

Il porte son verre à ses lèvres et je perds subitement le fil de mon histoire.
Sa pomme d'Adam descend et remonte au fur et à mesure que l'alcool coule dans sa gorge. "Mon dieu !"

-Axelle ? M'interpelle Antonio.

-Mmmm !

-La suite.

-Oh oui.

Je me gifle mentalement et reprends mon récit.

-Les chiots que nous élevons sont aussi bien pour des aveugles que pour des handicapés lourds ou plus légers.

-Parlez-moi de votre amie !

-Stéphanie ?

J'hésite un peu. Ce qu'elle vit en ce moment avec Valentin n'est pas très drôle.
Et voilà que de multiples questions me submergent le cerveau.

Est-ce vraiment une rencontre due au hasard, ou cherche-t-il des informations pour faire tomber mon ami Escort Boy ?

-Votre esprit s'imagine encore des choses !

-Ouaip ! Je me demande si vous n'êtes pas un espion de cette... j'avale ma grossièreté. Et j'ajoute...

-Mireille.

-Alors, nous allons clarifier la chose.

Il attrape ma main, la porte à sa bouche, embrasse l'intérieur de mon poignet.

-Je ne suis pas un méchant gars. Je vous ai rencontrée, sur cette route de campagne, en panne. Au début je vous avoue que j'ai hésité. Mais quand je vous ai découverte dans cet état...

Il étire ses lèvres sensuelles et charnues.

-On aurait dit un petit chaton qui cherchait son chemin.

Il redépose ses lèvres sur mon poignet.

-Je me suis arrêté. Et vous êtes là, Axelle, en face de moi, belle comme le jour. Et si vous vous posez d'autres questions du genre "il fait son jeu de séduction à toutes les femmes qu'il rencontre". Ma réponse est non. Et je n'ai d'ailleurs jamais emmené de femmes ici. Vous êtes la première. Cet endroit est mon havre de paix.

-Merci.

-De rien. Rassurée maintenant ?

J'acquiesce.

-Allez, continuez votre histoire, j'aime vous entendre parler.

Il dépose ma main à côté de mon assiette.

-Et comme je vous le disais tout à l'heure, votre métier est cent fois plus intéressant que le mien.

Alors je continue heureuse de pouvoir le divertir. Enfin, d'une certaine façon.

-Les familles d'accueil qui éduquent les chiots ne doivent pas s'attacher. Vous savez, le choix de la personne par rapport à son handicap est très important. Chaque chien a sa personnalité, comme chacun de nous d'ailleurs et il faut que les caractères soient compatibles les uns avec les autres.

-Vous fonctionnez comment ?

-En premier avec énormément de dons. Il y a des stars aussi qui s'investissent, comme une personne du one men show, dont je tairai le nom, bien sûr. Il fait énormément pour les Handicapés. Par exemple, la récolte de bouchons en plastique, de bouteilles de lait, de bouteilles d'eau etc.... cela finance la fabrication de fauteuils roulants.

-Vous avez l'air d'être passionnée !?

J'acquiesce tout en portant ma fourchette à ma bouche.

-Oui j'aime ce que je fais Antonio. Si vous pouviez voir cette complicité qu'il y a avec un accompagnateur et son maître ou sa maîtresse. Cette fidélité et cette dévotion c'est...

Je bouge ma tête de droite à gauche.

-Indescriptible.

-Et votre amie, Stéphanie, elle s'en est donc sortie ?

-Oui grâce à l'amour d'un homme.

Et je me lance dans un autre récit. Celui de Valentin et de Stéphanie. Leur rencontre. Leur histoire réciproque. Et Mireille bien sûr.

-Un Escort Boy ? M'interroge Antonio.

Je souris à ce souvenir déjà bien loin. Et ce gentil piège dans lequel j'avais fait tomber Stéphanie en l'inscrivant sur un site d'agence d'Escort Boys.

Il rit une fois de plus.

-Pourquoi je ne suis pas surpris. Vous êtes une vraie... il cherche son mot.

(1) -Paraninfo !

J'éclate de rire et Antonio se stoppe dans son geste. Son verre reste en suspens au bord de ses lèvres.

Apparemment, je ne suis pas la seule à être troublée dans cette histoire.
Puis nos assiettes se vident, la bouteille aussi et j'avoue que je suis légèrement pompette. Il se lève et mon regard suit son geste.

-J'ai un autre endroit à vous faire découvrir. Je suis sûr qu'il va vous plaire.

Il me tend la main. Je me redresse tout en faisant attention à ce que mon peignoir ne s'ouvre pas et il avance vers cet endroit qui m'a intriguée à mon arrivée ici.

Trois coups dans ses mains et le sol en verre épais glisse sur lui-même en me laissant découvrir ce que jamais je n'aurais pu imaginer voir sur une terrasse parisienne. Une immense piscine.

Traduction.
(1) Marieuse.

A suivre.

A très vite pour la suite. Et bon week-end a tous.

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