9. La rentrée

Allongé dans ma couchette, je me laisse bercer par les mouvements du bus qui file à toute allure sur l'autoroute. Par la fenêtre, aucune lumière n'apparaît à part de temps à autre les phares de voitures roulant en sens inverse.

Une petite tête bleue passe le rideau qui mène à l'espace nuit. Sourire aux lèvres, Rose s'affale de tout son long sur le lit d'en face.

— Quoi ? dit-elle d'un air amusé.

— Rien, réponds-je sans cesser de sourire.

— Je peux venir vers toi ?

— Ouais, lancé-je en me décalant pour lui faire de la place.

Sans hésiter, elle vient se blottir dans mes bras.

— Tu sais ... commence-t-elle, ses yeux rivés dans les miens.

— Quoi ?

Je la sens trépigner, elle veut me parler de quelque chose en particulier.

— On se connait depuis tellement longtemps...

— Et ?

Ça va venir, allez Rose.

— Je sais quand tu es déprimé, avoue-t-elle d'un air triste.

— Je ne le suis pas, réponds-je d'une voix à peine audible.

Elle a percé ma bulle. Mon regard fuit le sien.

— Je sais aussi quand tu mens.

Son index posé sur mon menton, elle le presse légèrement afin que je tourne la tête de son côté.

— Tu fuis toujours mon regard lorsque tu mens, ajoute-t-elle.

Je grimace sous ses mots.

— Je t'ai vu pleurer, quand tu étais une épave. Je t'ai vu et je te vois encore fuir tes cauchemars chaque fois que le jour se lève, si tu en as de la chance, et j'étais là quand tu voulais mourir. -Elle marque une pause - Je t'ai soutenu. Je te soutiendrai toujours, Nikki.

Ses mots me bouleversent.

— Ne m'abandonne pas, s'il te plaît, chuchoté-je presque.

— Jamais, dit-elle avec une indéfectible loyauté.

Je me plonge dans ses magnifiques yeux bleus. Son sourire me procure la sécurité que je cherche à tout prix. Alors que sa mèche de cheveux turquoise traverse son visage d'ange, pour la première fois depuis l'annonce de sa grossesse, j'y crois.

Sans que nous n'ajoutions un seul mot, on se laisse apaiser par le bruit du bus. Rose se met à bailler. Sa tête se repose plus fortement sur mon épaule et je la sens s'endormir. Il ne me faut pas beaucoup plus de temps pour rejoindre dans le sommeil.

Étendu de tout mon long sur le bitume froid, des oiseaux noirs criant la mort se ruent sur moi. Ils m'entourent et me brisent les os les uns après les autres à coup de becs et de serres. Bien que ma respiration soit courte, je trouve le moyen de ramper dans une petite ruelle sombre. Ils disparaissent aussi vite qu'ils sont apparus. Quelques jurons sortent de ma bouche, lorsque qu'au fond de l'impasse, j'aperçois un clown rayé de noir et de blanc qui se dresse devant moi, un couteau à la main.

Usant de mes dernières forces, je me relève et me jette sur la première porte que je trouve. J'entre dans ce qui ressemble à un vieux théâtre abandonné. Ma course se poursuit dans un dédale de couloirs qui me mène dans une gigantesque pièce. Une scène sur laquelle se projette des spots lumineux se dresse devant moi. Le clown maléfique se tient au centre sous la lumière des projecteurs. Il lève une main et je me jette derrière une rangée de sièges pour me protéger. Mais en guignant par-dessus le dossier, je constate avec effarement qu'il ne tient plus de couteau mais un haut de forme duquel il fait sortir avec un sourire enfantin un petit lapin blanc.

Soudain, une corde descend du haut de la scène. A son bout, un nœud de pendu a été créé. Le clown, l'air à nouveau triste, passe celle-ci autour de son cou. Dans un calme plat, une trappe s'ouvre et mon démon disparaît à l'intérieur. Quelques secondes plus tard, c'est à mon tour de le suivre, tombant dans une ouverture sous mes pieds. Je m'écrase dans une pièce blanche, sphérique. Le souffle coupé, je cherche à reprendre mes esprits. J'ai froid, tellement froid. Je grelotte.

Agenouillé, une larme s'échappe et roule sur ma joue, mais un bruit de détonation me fait sursauter. Traversant le brouillard qui survole le haut de la pièce, des cadavres de personnes s'écrasent avec fracas autour de moi. Je reconnais celui d'Ethan, de Vigo, ou encore de Rose. Mais quand arrive le tour de celui de ma mère, sans pouvoir me contrôler, un hurlement s'échappe de mes lèvres, déchirant ma gorge et mon âme tout entière.

Je me réveille brusquement. Rose me secoue, paniquée. Autour de moi, Vigo, Ethan et Vince me dévisagent avec inquiétude. Je comprends vite que mon hurlement n'était pas que dans mon rêve.

— Est-ce que ça va ? demande Rose.

Je tremble de tout mon être. Dans l'incapacité de lui répondre, Rose insiste :

— Nikki, est-ce que ça va ?

Ma bouche s'entrouvre, je peux le faire. Dans un murmure et avec beaucoup de peine, j'articule un « ouais » étouffé.

— Tu m'as fait tellement peur ! J'ai cru que tu te faisais attaquer par ton oreiller, s'exclame Vigo en levant les yeux au ciel.

Après une rapide tape sur l'épaule en signe de réconfort, Vince, accompagné d'Ethan, rejoignent notre manager et descendent les marches. Je prends mon téléphone entre les mains et allume l'écran : cinq heures. Il nous reste à peu plus d'une heure de trajet avant d'arriver à Santa Rosa, la ville où nous habitons. Dans un soupir, je repose mon téléphone et me recouche sur le dos.

— Tu veux me raconter ton cauchemar ? demande Rose.

Je fixe la couchette du dessus d'un air détaché, comme si j'étais encore perdu au plus profond de mes pensées noires.

— D'accord, conclut-t-elle. Je ne veux pas te forcer.

Je me lève et lui souris.

— Que fais-tu ?

— Je vais ranger mes affaires, nous arrivons bientôt.

Rose forme un rond avec sa bouche, puis place sa main devant. Ses yeux globuleux s'ouvrent alors qu'elle arque un sourcil d'étonnement.

— Tu ne me laisses pas ce plaisir ?

— Il faut que je grandisse, blagué-je en prenant mon sac à dos.

— C'est vrai, à vingt-trois ans il n'est jamais trop tard.

— T'es pas cool, Rosie, remarqué-je en rigolant.

Tout à coup, en pliant un de mes jeans, je sens une boule dans la poche. J'y glisse mes doigts et en ressors un petit sachet. À l'intérieur, un peu de poudre blanche réconfortante, tombée à point nommé, attends que je la sniffe. Sans hésiter, je prétexte une envie pressante à mon amie pour aller m'enfermer dans les toilettes. Une fois la porte verouillée, je me précipite sur le plastique, tente de l'ouvrir mais mes mains tremblent tellement d'impatience que je l'arrache à coup de dents. Quelques précieuses particules s'échappent et tombent par terre, me rendant fou de colère. J'ingère la drogue en quelques profondes inspirations et me laisse tomber sur le couvercle des toilettes.

Des picotements parcourent mon corps, l'envahissent. Une forte odeur de vinaigre traverse mes narines et une extrême envie de vomir m'assène, m'obligeant à me vider entièrement dans la poubelle.

Et le bien-être, enfin, comme si je me réveillais d'unrêve avant de replonger dans un autre. Une vague de chaleur me transperce. Jeperds la notion du temps et lorsque je rejoins Vigo et les autres à l'avant dubus, je fais mine de rien en m'asseyant sur la banquette.

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