5. La descente
La descente signifie : Fatigue, déprime, une sorte de gueule de bois, au final, mais avec plus d'intensité. L'effet s'estompe et mon existence bascule dans une énorme brume épaisse. La vie parfaite inscrite dans mon esprit a trépassé. Comme une fleur fanée, je ne suis plus que la moitié de ce que j'étais. J'attends à l'égale d'un de ces chiens battus, errant sous les panneaux de signalisation, que quelqu'un vienne le sauver.
Focalisé sur la moquette du bus, je n'entends que mon propre battement de cœur cogner dans ma poitrine et dans mes oreilles.
Un claquement de doigt parfaitement aligné à mes yeux me permet de réintégrer la réalité.
- Rose a quelque chose à nous dire, nous interpelle Vigo.
Vince attache ses cheveux blonds en chignon rapide et se repose correctement sur la banquette.
- Laquelle ? demande-t-il, surpris.
Ethan se fait soudain distant, remettant sa mèche sur le côté. Il bidouille sur son ordinateur, l'air de rien. Rose nous sourit
- Je suis enceinte, annonce-t-elle subitement.
- Tu quoi ? s'écrit Vince, interloqué.
- J'ai découvert hier soir que j'étais enceinte, répète-t-elle plus clairement.
- Comment t'as su ?
- J'ai fait un test de grossesse, idiot.
Vince sort sa moue la plus boudeuse, tirant une tête d'enterrement.
Ethan est le seul qui semble ne pas être étonné. Derrière l'écran de son ordinateur, il pose ses feuilles de papier et se lève.
- Il faut qu'on fête ça ! déclare-t-il.
Il ouvre le petit frigo et sort une bouteille de champagne. Rose décline immédiatement, mais Ethan s'approche, la bouteille bien en main.
Cette bouteille... est... sans alcool.
Réellement ? Il se fout de moi. Je veux une bière, maintenant, mais je suis trop abattu, je n'ai vraiment pas envie de bouger et m'enfonce encore plus dans ma banquette.
Oh non, pas de bouteille sans alcool.
- Quand est-ce que tu as pris le temps d'aller acheter ça ? lui demande Rose, sourire aux lèvres.
- Ben... parfois, j'aime bien ce truc, balbutie-t-il.
Ses yeux fuient le contact avec nous. Il reprend.
- On boit toujours de l'alcool, alors ...
Vince laisse échapper un rire moqueur et lance d'une voix claire :
- Alors toutes ces fois où tu voulais faire ta diva avec du champagne, c'était du non-alcoolisé ?
Les mots semblent manquer à notre bassiste qui se résigne à s'asseoir et à ouvrir la bouteille. Il a l'air d'apprécier les deux extrêmes ; boire jusqu'à s'en rendre malade, ou rester sobre.
Notre manager prend la parole avec sérieux.
- J'ai déjà appelé un musicien de studio pour te remplacer demain soir. J'ai eu confirmation, quand nous étions à l'arrêt.
Un musicien de studio est en quelque sorte un mercenaire, pouvant intégrer dans sa mémoire un set entier d'un groupe en moins de vingt-quatre heures. Un héros, quoi.
- Tu le savais depuis quand ? demande Vince avec étonnement.
- Rose me l'a dit hier soir, mais j'ai préféré que ce soit elle ...
- Je ne savais pas quand le dire et quand Nikki a fait de la merde... le coupe-t-elle en se tournant vers moi.
Elle ajoute d'une voix émue.
- Je suis désolée Nikki, mais tu n'as clairement pas assuré, alors j'ai encore plus flippé, mais comme je ne peux pas jouer demain soir ... Il fallait que vous soyez au courant de ma situation.
- Il est de Tom ? ricane Vince.
Pourquoi il ne serait pas de son fiancé ? Ce n'est pas comme si elle était avec depuis beaucoup trop d'années déjà.
- Bien sûr ! réponds Rose sur le ton de l'évidence.
- Moi, j'aurai choisi Nikki, l'étalon sauvage, ajoute-t-il.
- Je veux savoir pourquoi tu choisirais l'esprit de la forêt, s'enquête Vigo.
- Eh, regardez-le.
Les quatre paires de yeux de mes amis se posent immédiatement sur moi, maintenant complètement ratatiné dans ma banquette. Je détourne le regard pour ne pas prendre part à cette discussion qui me rend de plus en plus mal à l'aise.
- Il a un nez fin et droit, déjà. C'est super rare de l'avoir fin et droit en même temps.
Il se lève et s'approche de moi, puis il continue dans sa lancée :
- Et regardez ses yeux.
Son doigt s'approche dangereusement de mon orbite droite. J'ai l'impression d'être un animal dans un boxe, confronté aux potentiels acheteurs.
- De petits yeux verts en amende.
Ensuite, il s'en prend à ma bouche en la tirant sur les côtés, créant un faux sourire coincé.
- Fines lèvres, commente-t-il d'un ton pseudo scientifique. Magnifique dentition, même s'il est fumeur.
Je commence à en avoir marre.
- Et ces cheveux ...
Quand il s'apprête à prendre une de mes mèches, je repousse son bras avec vigueur.
- Ok, ok ! J'ai compris, rigole Vince, suivit des autres. C'est qu'il mordrait... Ou pas.
Ce geste a enlevé mon dernier regain d'énergie, et il l'a compris.
Ethan, qui a fini de remplir les verres de ce faux champagne, nous les apporte. Nous allons trinquer à la grossesse de Rose qui est arrivée comme une bombe potentiellement mortelle pour le groupe, mais personne n'a l'air de comprendre que c'est le cas.
À part moi.
- À Rose et à son futur morveux ! lance Vigo.
Je n'ai pas la force de lever mon verre, encore moins de l'amener à mes lèvres. Je suis une loque humaine, merde.
Mon regard se perd sur mon amie d'enfance. Ses cheveux bleu turquoise, qu'elle a coupé récemment à la hauteur de ses épaules, sont décoiffés du voyage. Comme à son habitude, elle porte son perfecto en similicuir et ses Dr. Martens Vegan. Je ne sais pas comment elle fera quand son ventre sera énorme, cette veste n'aura jamais sa place dans le placard, même le temps des derniers mois de grossesse.
Ses prunelles bleues croisent les miens. Elle me lance un sourire gêné avant de reprendre sa conversation avec Vigo. Je vais la perdre. Notre mode de vie est impossible avec un bébé. Je parle de la route, des longues semaines sans rentrer chez soi, l'excès d'alcool, de la drogue et des bêtises immatures.
Je n'arrive pas à éprouver de la joie pour elle-même si je le voulais. Bientôt, elle ne sera plus là et lorsque qu'elle ne sera plus à mes côtés, en me connaissant, je risque de creuser au plus profond de ces abus.
Le conducteur informe Vigo que nous arrivons à l'hôtel. Quelques minutes plus tard, un bâtiment fait de briques rouges et d'un toit plat et blanc apparaît. D'après l'insigne, il se nomme "Acosta". Des larges palmiers embellissent la façade, alors qu'une dizaine de voitures sont parquées en ligne dans la cour.
Une fois le bus à l'arrêt, nous sortons. Mes articulations me font un mal de chien. Ma tête va exploser et du sable doit remplacer le liquide de mes yeux.
- Arrête d'avoir ce regard de merlan frit, balance Vigo en ouvrant le compartiment au-dessous du bus.
Bâtard.
Une fois nos valises récupérées, je suis le groupe avec peine jusqu'au hall de réception.
L'ambiance qui règne à l'intérieur se rapproche des années quatre-vingt, autant par le parfum qui s'en dégage que par la décoration qui semble inchangée depuis.
Le sol est fait de carrés de marbre blanc. À ma droite se trouve deux canapés au design de l'époque. Une plante verte poussiéreuse trône de chaque côté du petit salon. Le luminaire date de l'ère de ma grand-mère, rond et en dentelles.
Tout au fond, se trouve les escaliers menus d'un chemin de tapis rouge au centre des marches, grimpant dans les étages. Je suis surpris de voir qu'il y a un ascenseur, certes petit, mais il y en a un.
Vigos'approche du vieux réceptionniste derrière le comptoir d'accueil.
- Bonsoir, j'ai réservé cinq chambres pour cette nuit.
L'homme grisonnant fait une recherche rapide dans le programme de son ordinateur.
- Effectivement, confirme-t-il. Je vais vous chercher les clés.
Ils ne sont pas encore à l'air des cartes magnétiques ?
- Et voilà, reprend-t-il. Les cinq chambres se situent au deuxième étage. Le petit-déjeuner est servi entre six heures et dix heures trente juste là-bas, explique-t-il en pointant du doigt une porte vitrée.
- Ok, merci, dit Vigo en récupérant les clés.
- Si vous avez besoin de quoi que ce soit, il y un service d'étage vingt-quatre heure sur vingt-quatre, conclut le réceptionniste.
Vigo nous tend à chacun une clé et nous rejoignons rapidement nos chambres.
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