45. Crabe
Sous la chaleur lancinante de la fin de l'été, ma valise au bout de mon bras se laisse péniblement traîner. Une roue a lâché à l'aéroport. J'ai toujours dis que les sociétés d'aviations n'avaient aucun respect pour les valises. Un ami s'est fait démolir sa vieille Fender des années 70' à cause d'une compagnie. Même avec l'autocollant fragile, rien n'y a fait. C'est toujours très difficile pour les musiciens de laisser leurs instruments de musiques dans leurs mains, sachant le nombre de pépins qui arrivent durant les vols. Heureusement pour moi, ce n'est que ma valise qui en a subi les conséquences, ma guitare est entière et en sécurité rangée à l'intérieur de sa case de protection, dans mon autre main.
Avant de rentrer chez-moi, j'inspecte la boîte aux lettres où se trouvent un gigantesque tas de factures en tout genre et une lettre de l'hôpital Grays Harbor situé à Aberdeen. Curieux, je dépose mes affaires, l'ouvre et commence à la lire. Ma mère y séjourne actuellement suite à la rechute de son cancer de l'estomac. D'après leurs mots, elle aurait choisi les soins palliatifs et leurs aurait demandé de retrouver mon adresse. A l'intérieur de mon chez-moi, je lâche la lettre sur la petite table du salon et m'assoie en face d'elle. C'est la dernière fois que je pourrai voir ma mère si j'y vais, mais est-ce que j'ai vraiment envie d'aller à sa rencontre. Après quelques minutes de réflexion, je prends mon téléphone dans ma poche et prends un billet d'avion pour Aberdeen.
*
Face à l'énorme bâtiment fait en béton, mon cœur se met à tambouriner dans ma poitrine et ma gorge se serre. Je prends une grosse respiration et m'avance en direction de l'énorme baie vitrée où le nom de l'hôpital est inscrit en grosses lettres noires et bleues. L'intérieur me revient à l'esprit, il n'a pas bougé depuis la dernière fois que j'y suis allé enfant lorsque je m'étais foulé bêtement le poignet à une fête d'anniversaire d'un de mes amis : Des murs blanc immaculé, un sol vert d'eau dépassée. Rien que l'odeur aseptisé du lieu me donne envie de tourner les talons. J'avance vers le guichet et demande à voir ma mère. La femme tape rapidement sur son clavier et me donne un étage ainsi qu'un numéro de chambre avant de pointer du doigt un ascenseur. Je la remercie et suis ses instructions jusqu'à la pièce où se trouve ma génitrice. Après un gros soupir et une bonne dose de courage, je toque et entrouvre la porte. Une petite voix me dit d'entrée, c'est ce que je fais. Ma mère se trouve dans un lit, bien au chaud dans des draps blancs. Elle est reliée à des fils qui vont dans une machine sur laquelle se trouve des poches de médicaments qui se verse dans ses veines par goutte à goutte. La télévision est allumée et des orchidées jaunes trônent sur le large bord de fenêtre. Je me heurte à un petit lavabo, ce qui fait sourire ma mère.
—Ne sois pas si stressé, me dit-elle. Viens t'asseoir.
Je renifle et me gratte la mâchoire en observant autour de moi pour trouver la chaise qui marque la plus grande séparation avec son lit et m'affale.
— Tu as de magnifiques cheveux, lance-t-elle, souriante. Tu les tiens de moi, tu sais.
— Je sais, tu me l'as déjà dit des milliers de fois, répliqué-je d'un ton sévère.
Un blanc se crée progressivement, mais elle ne semble pas avoir envie de le laisser s'installer.
— Je suis contente que tu sois là.
— J'avais pas envie que tu viennes me hanter après ta mort.
Mes paroles sont crues.
— Je suis désolée, Nikki.
— De quoi es-tu désolée ? Parce qu'il y a tellement de choses qu'il faut que tu précises, craché-je, amer.
Ma génitrice ne se démonte pas pour autant devant mes pics.
— J'ai été une mauvaise mère, j'en ai conscience. Tu n'as pas eu une enfance facile et tout ce que tu as dit la dernière fois qu'on s'est vu est vrai.
Elle marque une pause avant de reprendre :
— Même pour la deuxième chance.
— Tu t'attends à quoi ? A ce que je te dise "ok, je te pardonne, tu peux t'en aller tranquillement" ? Non, maman, je ne le ferais pas.
Mes doigts serrent l'accoudoir de la chaise de toutes leurs forces. Mes paroles sont sans doute cruelles, comme elle l'a été lorsque je n'étais qu'un enfant.
— Non, tu es là parce que ...
J'attends.
— Parce que ?
— Tu sais que je n'ai aucun don pour la musique, c'est ton père qui passait tout son temps libre à jouer, c'est lui qui voulait que tu apprennes le piano.
— Pourquoi tu me dis ça ?
— J'étais aux anges quand j'ai vu que tu n'avais pas arrêter ce merveilleux instrument. Quand tu jouais et chantais sur cette scène, l'espace d'un moment, j'étais la maman la plus fière et la plus heureuse de la planète.
Une larme perle sur sa joue qu'elle frotte sans attendre.
— Tu sais mon fils, si tu es là aujourd'hui, ce n'est pas parce que j'aimerai ton pardon, même si ça me ferait énormément de bien de l'entendre.
Je soupire et baisse la tête. Je ne sais pas si j'y arriverais.
— Nikki, s'il te plaît, écoute-moi, approche.
Je relève la tête. Ma mère tapote de la main une place sur son lit. Je la rejoins en haussant les yeux au ciel. Elle se lance.
— J'ai besoin que tu saches quelque chose qui me bouffe depuis des années... tu dois le savoir.
Sa main, glaciale, gagne la mienne et la serre.
— Ton père est parti, c'est vrai, mais il n'a jamais cessé de penser à toi.
— Qu'est-ce que tu en sais ? T'es devenu divin ?
— Tu peux aller me chercher le tas de paperasse sur le bord vers l'orchidée ?
Je le fais et les lui tends en m'asseyant à nouveau près d'elle.
— Ceci, poursuit-t-elle. Ce sont des lettres que ton père t'a envoyées quand tu étais petit. Au départ, il y en avait pour Noël et ton anniversaire, mais progressivement, ça n'arrivait plus qu'à ton anniversaire.
J'essaye d'intérioriser toutes les émotions qui m'assaille.
—Pourquoi ? articulé-je difficilement, le regard dans le vide. Pourquoi tu ne me les as jamais donnés ?
— Par égoïsme au début et après, j'ai eu l'impression que c'était trop tard, que le mal que j'ai fait en les cachant avait tout détruit.
J'arrache les lettres de ses mains et les ouvre les unes après les autres. La première me demande comment je vais et si j'avais de bonnes notes à l'école, dans la suivante, il s'excuse de ne pas être un père présent et bien que l'envie de lui répondre ne semblait pas là de mon côté, qu'il me demandait de lui écrire. Une autre raconte que cette situation l'affecte énormément et qu'il espérait que tout allait bien dans ma vie.
Une larme stagne sur le bord de mon œil et grandit au fur et à mesure que j'ouvre les lettres que mon père m'a envoyé durant des années. En fonds, j'entends ma mère me répété inlassablement qu'elle est désolée. Soudain, j'arrête de les lire et en lâche une sur le sol. L'une d'elle date de mon adolescence. A l'intérieur, mon père me demande de le rejoindre avec l'argent qui devait se trouver à l'intérieur de l'enveloppe. Son adresse est indiquée. Mes yeux, suppliants, se braquent sur ma mère. Je suis en train de vivre un mauvais rêve, ce n'est pas vrai, je vais me réveiller.
— Pardonnes-moi, Nikki, pleurniche-t-elle.
Je garde ma bouche fermée.
— S'il te plaît, Nikki.
Cette fois-ci, un torrent de larmes se verse sur sa mine fatiguée par la maladie. Elle place ses deux mains sur son visage comme pour se cacher de moi ou de la honte qu'elle s'est infligée elle-même durant toutes ces années.
— Je te pardonne, maman. Je te pardonne.
Je ne sais pas par quel miracle j'ai réussi à prononcer ces mots que je ne pensais jamais pouvoir sortir de ma bouche de toute ma vie mais à cet instant, j'ai l'impression qu'un poids énorme vient de rejoindre les lettres éparpillées sur le sol. Mes mains enlèvent les siennes de sa bouille mouillée par ses pleures inépuisables et les yeux dans les yeux, je répète.
— Je te pardonne, maman.
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