41. Tu veux faire quoi plus tard ? Etre mort.

Les gens normaux ne sont pas accroupis, nu, au milieu de leur salon avec une aiguille plantée dans le bras, regardant l'avenir qui n'existe définitivement pas, coaguler dans une cuillère noircie par les flammes du briquet.

Parfois, j'ai l'impression d'avoir la mort en face de moi et j'aime rire d'elle, puisqu'elle se détourne toujours de moi et de ma peine. J'ai finalement une confession à faire : Je me fais du mal juste pour m'amuser.

Enivré par le produit qui se répand comme une trainée de poudre dans mes veines, je me laisse partir en arrière et m'allonge de tout mon long. Le plafond devient sombre et flou. Mes pensées me rendent tellement triste, mais je suis à court de larmes depuis cette fameuse nuit avec Hannah. Je ne peux pas me retenir, je passe mon temps à perdre le contrôle et ça se retourne contre moi.

Un vide béant s'est créé. Le néant est lourd à supporter. J'ai une fois de plus trébucher du rebord qui me maintenait hors de tout ça. Je suis désespérant et tellement défoncé. Tout le monde sait ce que c'est d'être seul, tout le monde l'a été une fois dans sa vie et quand c'est constant, le sol finit par se creuser autour de soi. Au final, on reste sur un pic de désespoir que plus personne n'arrive à atteindre. J'ai un état d'esprit tragiquement dépressif, suicidaire et violent et pourtant je vis ou plutôt j'essaye, du moins, mon subconscient s'en charge. Il est l'ultime barrière contre le non-retour. Son envie d'avancer est tellement présente que j'ai été obligé de faire un pacte avec lui. Il se base sur : Un jour après l'autre, et j'avoue que cela me va. Je ne veux pas spécialement mourir, j'aborde juste le sujet d'une façon différente. Si ça arrive, c'est tant pis pour sa gueule.

Alors que je me morfonds, j'entends d'abord une voix, puis un tapement assez fort sur la vitre de la fenêtre. Je n'ai pas le temps de revenir de mon voyage au cœur des lamentations que la porte d'entrée s'ouvre brusquement. Une tête blonde aux fringues douteux fait son apparition et fonce sur moi. Ses mains me redressent d'un bond et me mettent en position assise. Il jure comme un Chartier lorsqu'il remarque l'aiguille et délicatement, la retire et la pose sur le petit meuble en face de lui, puis, Jack me balance d'un ton sarcastique.

— Tu pues vraiment, mon gars.

Ses sourcils se relèvent lorsque ses orbites disproportionnées, sûrement à cause de la situation, se plantent sur moi. Cela ne l'empêche pas de continuer.

— Et pourquoi tu es tout nu au milieu de ton salon ? C'est un nouveau trip ? Je ne juge pas, c'est juste, ça me paraît un peu bizarre mais après tout, on fait ce que l'on veut chez soi, dit-il en haussant les épaules.

Tu ne vas pas me parler de l'aiguille dans mon bras ?

Jack fait quelques pas en direction de la cuisine avant de se stopper net et de se retourner.

— T'as pas une bière qui traîne quelque part ? Dans ton frigo se serait le mieux mais je ne t'en voudrais pas si elle ne l'est pas.

Visiblement, t'es mal à l'aise, pas parce que je suis nu, mais parce que tu m'as retiré une putain d'aiguille du bras.

Le blond continue :

— Ou alors si tu as de quoi faire un fixe, ça me va aussi, peut-être que je comprendrais comment tu en es arrivé à être... Nu, là, puant la vieille merde décomposée.

Ah. Tu n'es pas mal à l'aise, tu veux juste participer. Voilà ...

Désorienté, j'arrive quand même à pointer du doigt la table du salon. De ce que je me souviens, c'est là que trône mon matos anti-suicide.

Jack s'en prépare et s'injecte un grain. Il devient immédiatement tout rouge, puis très pâle. Il s'assit sur le canapé, sans force.

— Putain.

— Quoi ?

Ma voix, rauque, me semble rester dans ma tête.

— Il n'y a aucun risque, ajouté-je, penaud.

Soudain, ses lèvres gonflent comme s'il venait de recevoir un coup de poing. Je ne sais pas si c'est ma tête qui l'invente ou si c'est vraiment vrai. Je devrais peut-être m'inquiéter.

— J'ai tellement mal à la tête, putain, lance-t-il en se levant.

Il marche de long en large et en travers.

Mais non, il va bien. J'imagine qu'il est parti dans un délire que je ne peux pas suivre. Sans m'en soucier davantage, je me recouche sur le sol. Quelques temps plus tard, Jack allume une lampe et m'y rejoint. Je comprends qu'à l'instant qu'il fait nuit dehors.

— Arrête de bouger, me sors-t-il avec sérieux. Ne me quitte pas des yeux et arrête de bouger !

Je m'exécute sans broncher.

— T'es une sorcière, Nikki.

Avec mes cheveux sales et hirsutes et les ombres de la lampe qui dansent sur mon visage, il est persuadé que je suis une méchante sorcière. Il a l'air si convaincu que j'ai l'impression d'être le moins fou des deux, mais de peu car j'attends, couché, immobile, depuis une bonne heure, qu'il revienne à la raison.

Soudain, il me demande.

— Ça te fait aussi ça ?

Il ne semble à nouveau pas bien.

— Quoi ?

— Comme si ton sang s'était mis subitement à coaguler et que tu ressentais tes veines se boucher littéralement ?

— Non, je ne crois pas.

— Hum.

— T'inquiète, Jack, je t'aurais fourré sous une douche froide si tu t'étais évanoui, bleu comme un schtroumpf.

Hum, je crois. J'espère.

Jack s'emporte subitement. Sa colère est imprévisible et incompréhensible. C'est lui qui voulait se shooter.

— Eh, tu dois accepter de prendre des risques quand tu te cames. Tout le monde ne réagit pas pareil, j'ai préféré ne pas t'en parler. Je ne savais pas que c'était ta première.

— Non, ça ne l'était pas.

— Bien, dans ce cas, je ne sais pas pourquoi tu gueules.

Je me redresse sur mes coudes.

Merde, je suis encore nu.

Mes yeux se lèvent au plafond. Je ne suis qu'un idiot. Un profond soupir me prend. Dans un ultime geste, mon corps se redresse. Maintenant assis, mes muscles me font un mal de chien. Quelle vie de merde, quel gâchis.

— T'as pas l'impression de t'effacer ? s'interroge Jack tandis que je grimace de douleur.

— Tu veux dire quoi par "s'effacer" ?

J'attrape à bout de bras une couverture sur le canapé et m'entoure la taille avec peine.

— Disparaître de la vie des gens.

Je lui tire un regard d'incompréhension total.

— Rose ne te parle plus depuis des semaines.

— Elle a fait un choix. Elle m'a menti. Elle n'arrêtait pas de me dire qu'elle n'avait aucune décision à prendre, qu'elle serait présente pour moi même avec l'arrivée du bébé, et regardes, le morveux n'est même pas encore là qu'elle est déjà à des milliards d'années lumières.

Les sourcils de Jack se plient, je sens un pic prêt à me tomber dessus, gratuitement.

— Dit le mec qui se fixe dans sa maison, nu. T'as préféré la drogue à elle. Je n'arrive toujours pas à capter comment t'en es arrivé là.

Merde, c'est vrai.

— C'est ton amie d'enfance, reprend Jack. Est-ce que la drogue vaut une amitié tel que la vôtre ?

Je me braque.

— Non, dis-je, froid.

— Alors pourquoi te refugier là-dedans ? T'as pas une vie pourrie. T'as une maison, des amis, un groupe qui va partir en tournée, un manager mère poule. T'avais une meilleure amie.

— Des fois, c'est des choses qui arrivent.

— Tu ne peux pas mettre tout ça sur le fruit du hasard.

Tout en tenant le plaid autour de mes hanches, je me relève. Chancelant, je me retiens au mur devant moi. Je ne sais plus quand était la dernière fois que j'ai mangé, ni même si j'ai une seule fois dormi ces derniers temps ou si ce n'était que des hallucinations.

— Je ne mets rien sur le compte du hasard. C'est juste beaucoup plus facile avec elle.

— Tu vas finir par te droguer uniquement pour éviter d'être malade.

C'est vrai. Ça enlève les symptômes de l'abstinence, les maux divers et je crois qu'il a raison. Je prends de l'héroïne uniquement pour ne plus sentir la souffrance que j'éprouve au quotidien, même si je ne suis pas sûr que ça fonctionne réellement.

Je n'objecte pas et vais dans ma chambre. Je sors des fringues de l'armoire et repasse devant Jack qui me regarde faire. Je m'enferme dans la salle de bain et prends une douche.

Quand je ressors de la pièce, j'entends de la musique venant de mon repère. Je m'y rends, prêt à engueuler Jack pour y avoir été sans moi mais lorsque j'ouvre la porte, Vince et Ethan sont là, eux aussi. Ils rejouent le son que j'ai entendu avant d'entrer.

— Tu peux chanter ça, lance Vince avant de sortir une mélodie joyeuse de sa bouche.

Je le suis sur un "Hu-nah-na-nuh-nuh"

Il se retourne sur le programme musical qu'il a installé sur son ordinateur et trafique quelques pistes avec sa souris avant de lancer cette même mélodie.

— Ce n'est clairement pas naturel, s'exclame Ethan depuis l'énorme pouf dans un coin de la pièce. C'est mort.

— J'ai raison, tu as tort. C'est kiffant et je veux le garder comme ça, exige Vince.

— Je ne veux pas voir ce riff dans une de nos chansons, répète Ethan.

— J'aime bien, dit Jack au fond de la pièce.

Mes doigts frôlent les touches de mon clavier en refaisant un air qui y ressemble. Mes amis m'accompagnent. Les yeux dans le vide, j'articule quelques phrases qui ne veulent rien dire.

— Je ne devrais pas voir ces choses, je ne les comprends pas. Elles me mettent en colère, me font peur. Si tu penses que Dieu a créé Adam et Eve, tu sais que Dieu les a créé.

— Je ne crois pas en Dieu, braille Ethan.

Je m'arrête immédiatement de jouer.

— Pas sûr. C'est un peu trop dur comme message, ajoute Vince.

— Ok. Peut-être ... - Mes mains se remettent à glisser sur le clavier - La fin est arrivée, nous ne pouvons pas te sauver, c'est une guerre que tu as déclenchée, alors qu'on te lançait des signaux d'alarmes.

— Je pense que nous devrions plutôt avoir un message positif, qu'on peut y arriver, reprend Vince.

— Arriver à quoi ? demande Ethan.

Je soupire sur mon tabouret. Jack ricane.

— C'est vraiment un dialogue de sourd.

— Vous me saoulez.

Je me lève et fonce chercher mes cigarettes, que je retrouve sur la table basse du salon. J'en allume une et tire une longue bouffé avant de me masser énergiquement les tempes. Je n'ai vraiment plus envie de voir, de parler aux personnes, de gérer une relation, un contact humain. J'attrape les clés de voiture de Jack et sors dans l'allée. J'embarque et mets le contact avant de partir comme Fangio.

À toute allure.

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