39. Perdre la raison
Ma clope terminée, je m'engouffre dans une vieille église qui a été transformé en discothèque. Les basses font trembler le bâtiment. Déjà bien entamé par le Whisky, je m'arrête au centre de la piste, au milieu d'une foule entassée, dégoulinant de sueur. Vince me repère assez facilement et me rejoint pour me proposer un verre. J'acquiesce en souriant. Après ma discussion houleuse avec Maddy, j'ai besoin de décompresser, de me laisser aller et de profiter d'un moment avec un ami de longue date, sans prise de tête.
Tandis que Vince essaye d'amadouer un serveur à l'aide d'un billet de vingt dollars, je scrute les alentours. Des néons violets entourent les voûtes sculptées de l'ancienne maison de Dieu. Les vitraux laissent échapper les faisceaux lumineux des spots installés un peu partout autour de l'endroit. Je n'ai jamais compris comment on pouvait changer des lieux pareils en lieux de débauche comme celui-ci. La religion n'est-t-elle pas censé désapprouver l'alcool et l'acte sexuel ?
Une tape amicale dans mon dos me fait sortir de mes pensées, Ethan, visiblement heureux de me voir, s'approche pour me faire un câlin. Mon ami qui est visiblement imbibé d'alcool et tout transpirant, m'attire jusqu'à la table qu'ils squattent depuis le début de la soirée. Lorsque je m'assoie, mes mains constatent avec surprise que la surface est autant collante qu'Ethan. Ma grimace fait sourire Vince qui revient fièrement avec ses consommations. Nous trinquons à notre amitié.
— Mec, sors Ethan en me regardant d'un air accusateur.
— Hum ?
C'est la seule réponse que j'arrive à lui donner alors que j'avale quelques gorgées du cocktail non identifié que Vince m'a ramené.
— J'ai une question, reprend-t-il.
Un ricanement sort de ma bouche.
— Ben, pose-là, qu'est-ce que tu attends ?
— C'est délicat.
Ethan a soudain une mine grave.
— Qu'est-ce que tu trouvais dans la drogue pour la laisser à ce point te démolir ? Je peux comprendre que, occasionnellement, c'est sympa de prendre une dose, histoire de se séparer de la réalité, mais tout le monde sait à quel point elle peut être dangereuse.
Je prends un instant pour réfléchir. Cette question est loin d'être anodine.
— Je n'ai pas réalisé que je tombais dans son engrenage. Je pensais pouvoir m'arrêter quand je voulais.
— Tu étais dans l'extrême quand même, lance Vince. Tu ne t'en ai jamais rendu compte ?
— Je n'étais plus Nikki. C'était comme si un autre moi s'était emparé d'un corps vide que Nikki avait décidé d'abandonner. Comme deux jumeaux qui n'ont aucun point commun.
— Le principal, c'est que ce soit derrière maintenant.
Derrière, je ne sais pas. On ne peut pas éviter ce qu'il va nous arriver et je ne suis pas à l'abris d'une rechute. C'est une fatalité possible et rien ne peut le changer si ça doit se produire pour une quelconque raison. Au vu de mon moral, je ne peux pas dire que je vois où j'en suis, que j'approche du bout du tunnel, mais ce que je sais c'est que je ne peux plus cacher mes cicatrices, mon entourage est au courant, et c'est sûrement mieux comme ça. Mes pieds marchent sur des œufs. Je progresse sur un pont qui, hier encore, j'étais entrain incendié.
Mais je tiens bon. C'est le principal, même si mon combat n'est pas terminé.
La conversation visiblement terminée, Vince et Ethan partent sur un sujet complètement différent que je n'arrive pas à suivre. J'observe autour de moi les fêtards encore présents. Beaucoup sont ivres, comme nous, et profitent de la musique qui sort des haut-parleurs et couvrent nos voix. Les spots lumineux s'affolent sur la piste de danse où les gens se déhanchent en rythme. Mes yeux s'arrêtent sur un couple s'embrassant fougueusement un peu à l'écart. Les mains de l'homme parcourent du bout des doigts la peau de la jeune femme, tatouée de la tête jusqu'au pieds. Le blond se balade maintenant sous son débardeur blanc. Alors qu'ils pivotent sur eux-mêmes, mes yeux manquent de sortir de leurs orbites. Hannah, sourire aux lèvres, se laisse tripoter par ce con. Cette vue provoque en moi un sentiment de jalousie incontrôlable. Mes pieds réagissent tout seul. Une poignée de secondes suffisent pour que je fonce, tête baissée, sur l'homme, pris au dépourvu.
— Mec ! Tu dégages ! braillé-je.
Dans mon poing se trouve son tee-shirt, et je suis prêt à lui mettre l'autre dans son beau visage de mannequin.
— Oh, calme, je ne savais pas que c'était ta nana, répond-t-il en levant les mains en signe de défaite.
Hors de moi, j'attrape le poignet d'Hannah et la tire loin de ce type, insultant la terre entière au passage. J'entends une plainte inaudible provenant de la jeune femme, mais je continue à la traîner jusqu'au portes qui mènent à l'extérieur de la Sainte-Maison-Du-Calvaire.
— Tu me fais mal, arrête !
Mes doigts se resserrent encore plus sur sa peau déjà endolorie. J'ai perdu la raison. Après quelques secondes, je lui lâche brusquement son bras, qu'elle se met immédiatement à masser.
—Qu'est-ce que tu foutais, putain ? grondé-je, déchaîné.
Son regard noir me prend aux tripes, mais je ne me démonte pas.
— Tu te fous de ma gueule ? crié-je.
Erreur 404. Incapacité à revenir à la raison.
— Je dansais !
Elle se fout de moi.
— T'appelles ça danser ? Je suis sûr que tu voulais te le faire, ouais.
Elle lève les yeux au ciel, comme si je l'ennuyais.
— Je m'amusais, c'est tout, soutient-t-elle dans un soupir.
— Gesticuler comme une putain, c'est ça, s'amuser ? Je ne serai même pas surpris que tu mouilles.
ERROR 404. Reboot system.
— Je pense que tu as oublié notre deal.
Son ton est calme, alors que je bouillonne de l'intérieur.
— Qui consiste en quoi ? craché-je, furieux.
— On était d'accord sur la relation "Copain-Lapin", rappelle-toi, dit-elle d'un ton détendu. Aucune prise de tête.
Est-ce qu'elle est sérieuse ? Mon cerveau vrille. Je dois me calmer, immédiatement. Je prends une grande inspiration avant de reculer de quelques pas. Dans un silence de plomb, j'allume instinctivement une cigarette et tire une longue bouffée que je retiens le plus longtemps possible dans mes poumons et expire.
Ne te laisse pas emporter. Reviens à la raison. Maintenant.
Cette colère qui m'absorbe tout entier n'est pas moi. Mes deux mains dans ma nuque et le souffle court, je lève la tête. Mes pupilles fixent les points lumineux dans l'obscurité, comme si ces étoiles allaient faire office de veilleuse à mon agressivité. Comme si elles pouvaient me sauver de la rage qui fait saturer mon corps et mon esprit tout entier.
On ne pourra jamais être ami, mais je peux encore te baiser.
Soudain, mon corps s'abats sur celui d'Hannah. De tout mon poids, je la pousse contre le mur en brique derrière elle. Mes doigts entourent sa gorge qu'elle s'oblige à tendre. Son regard, craintif, soutient tout de même le mien. Plus les secondes passent et plus son corps semble se disloquer sous ma hargne. Nos souffles sont courts, elle ne cherche pas à se débattre, comme si elle s'était mise sur pause l'histoire d'un instant. J'envoie valser ma cigarette au loin, puis me glisse sous sa jupe. D'abord surprise, elle finit par se laisser faire, écartant légèrement les jambes pour me faire de la place. Son intimité est trempée. J'effleure sa peau avec douceur, comme un caprice que je veux assouvir. Quand un gémissement s'échappe de ses lèvres, un sourire espiègle s'empare de ma bouche. Pendant plusieurs secondes, mon index forme des petits ronds soutenus sur son petit point sensible, avant de glisser jusqu'à son espace détrempé.
Alors qu'elle arrive presque à son orgasme, j'abandonne mes gestes et recule d'un pas. Hannah me regarde avec détresse, se tordant, la bouche ouverte.
— Je ne serai pas une bite de rechange, lancé-je froidement.
Putain, je ne suis pas un objet.
Glacial, j'ajoute :
— Je me casse.
Je tourne les talons et m'empresse de m'éloigner d'elle.
Ne tombes plus jamais amoureux.
— Vas te jeter d'un pont, voir si tu sais voler ! hurle Hannah derrière moi.
Aïe. En plein cœur.
J'envoie un doigt d'honneur par-dessus mon épaule en répartie avant de retourner dans le club vers Ethan et Vince. Je vais me foutre minable.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top