37. Célébrer le bonheur

Ma voiture étant toujours au garage, j'arrive chez Hannah en Uber et lui envoie un message pour l'avertir que je suis là. Peu de temps après, la belle brune passe la porte de chez-elle, habillée d'une jolie robe longue blanche au décolleté vertigineux qui lui va à ravir. Ses lèvres, peintes d'un rouge foncé, me sourient.

— Hello, lâche-t-elle avant de me donner un baiser. On va où ?

— T'es trop curieuse, tu verras, lui dis-je, un rictus au coin des lèvres.

Nous reprenons la route jusqu'au petit restaurant de plage où j'ai l'habitude de me rendre avec Rosie. Je paye le chauffeur et nous sortons de la voiture, puis avançons jusqu'à la terrasse où un serveur nous accoste.

— Bonjour, j'ai réservé pour deux.

— Oui, sous quel nom ?

— Miller.

— Très bien, un instant.

Il revient rapidement et nous demande de le suivre. On prend place à une table. La terrasse donne cette impression d'être chez-soi avec une ambiance chaleureuse. De jolies chaises en bambou sont installées par rangées, une table en bois foncé en leur centre. Des centaines de petites ampoules forment une sorte de ciel lumineux au-dessus de nous. Une lanterne rayonne sur chacune des tables.

Hannah se plonge immédiatement dans la carte amenée par le serveur. Elle a vraiment faim, aucun doute là-dessus. Après quelques secondes, elle la pose et me regarde vivement.

— Quoi ?

— Tu as choisis ? demande-t-elle.

— Non.

Elle tire une moue boudeuse.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

— Grouille-toi, j'ai faim, s'impatiente-t-elle.

Ça, je l'avais compris.

Je pose la carte à mon tour, ne voulant pas la faire attendre trop longtemps. Le serveur revient vers nous et se munit de son calepin.

— Je vais prendre les pâtes au citron.

— Pareil, lancé-je. Mettez une bouteille de votre plus bon rouge, s'il vous plaît.

Nous redonnons les cartes.

— Le cadre est très joli, dit-elle en scrutant les alentours.

— Ouais, j'aime beaucoup venir ici, en plus, les plats sont bons.

— Comment as-tu connu cet endroit ? demande-t-elle.

— C'est Rose qui m'y a emmené la première fois, elle l'avait découvert grâce à son petit-ami, je crois.

— D'ailleurs, c'est pour quand ?

— De quoi qui est pour quand ?

— Ben, le bébé, rigole-t-elle.

— Oh... Aucune foutre idée, balancé-je accompagné d'un haussement d'épaule.

Je m'en contrefous autant que le dernier hashtag à la mode.

— Ok.

Après un instant de silence, elle reprend.

— T'as des nouvelles de Vigo ?

— Non. Il était censé m'en donner à propos de la réparation de ma caisse, mais pour l'instant, il ne m'a pas contacté.

Le serveur apporte deux verres et la bouteille de vin qu'il verse méticuleusement.

— Je ne t'ai jamais demandé, mais qu'est-ce que tu fais dans la vie ?

— Je suis étudiante en art plastique.

— C'est pour ça que Roy t'avait demandé de me montrer la pièce remplie de tableaux chez lui ?

— Il me demande toujours de montrer cette pièce parce qu'il en est fier, pas parce que j'étudie l'art, rétorque-t-elle. Ce n'est pas lui qui placerait ce que je fais dans n'importe quelle pièce de son château.

Je sens que j'ai touché un sujet sensible. Je prends le verre devant moi et le lève.

— Santé ?

Mon geste lui arrache un sourire. Elle lève son verre à son tour.

— Tchin !

Nos verres se rejoignent et forment un doux cliquètement, puis j'apporte le doux nectar à mes lèvres. Il est très bon.

— Roy fait partie de ta famille ? continué-je à m'informer.

— C'est mon parrain, ou plutôt ma première source de revenue pour le moment, étant donné que mes parents me détestent à mort.

Je la regarde penaud, ne sachant pas trop quoi lui dire après cette déclaration.

— C'est bon, je n'ai rien à cacher. Ils n'aimaient pas mes fréquentations, ils disaient tout le temps que je me rebellais. Ce qui était vrai, dans le fond. Ils sont un peu trop coincés, tu vois ? explique-t-elle en arquant un sourcil.

— Je vois.

Le serveur apporte nos plats. Après l'avoir remercié, Hannah reprend son histoire.

— Mon ex était plutôt paumé dans la vie, le genre exact que mes parents haïssent.

Qu'est-ce qu'ils diraient de moi ? Perdu, drogué, dépressif et paranoïaque. Le combo de rêve.

— Ils me voyaient avec un avocat, pas un artiste, explique-t-elle en tournant ses spaghettis dans sa cuillère.

Je suis un artiste, semblerait-il.

— Et mon ex peint. Il adorait créer toutes sortes de peinture, même osée, ça n'allait vraiment pas avec la façon d'être de mes parents.

Attends, t'as dit osée ? Hannah...

— Bref, voilà, finit-elle. Et toi ? C'est aussi compliqué ?

— Moi ? Non. Ils n'existent pas, dis-je en amenant la fourchette à mes lèvres.

— Comment ça ?

Je ne veux vraiment pas en parler. Épargne-moi ça.

— Ils n'existent pas, répété-je, la bouche pleine.

— D'accord.

Elle semble avoir compris.

— Et du coup, tes études ? Comment t'as fait pour nous suivre sur une tournée entière, reprends-je, une fois ma bouchée avalée.

— En ce moment, par manque de motivation, j'ai un peu lâché le cursus... du coup, j'en profite pour connaître un peu mieux mon oncle.

— Comme une année sabbatique ?

— C'est exactement ça, répond-elle, souriante. C'est comme ça que j'ai finis à la soirée sur la plage où t'étais complètement défoncé.

— J'ai vraiment du mal à me rappeler de cette soirée, mise à part que tu as été super mauvaise avec moi.

Hannah part en éclat de rire.

— Tu retiens que les mauvaises choses.

— Ce n'est pas vrai, répliqué-je, irrité.

— Oui, Monsieur Miller, et ça ne sert à rien de bouder. Raconte-moi un truc positif.

— On s'est envoyé en l'air avant et c'était la meilleure baise du siècle !

La bouche en coin, elle me regarde en prenant un air dubitatif.

— C'est vrai qu'elle n'était pas trop mal.

— Pas trop mal, c'est tout ?

— D'accord, Nikki, vraiment pas mal, reprend-t-elle en riant.

Cette soirée, pleine de légèreté, me fait un bien fou. Être avec Hannah dans ce restaurant me donne cette impression de m'éloigner encore plus du précipice dans lequel j'étais prêt à me jeter. Soudainement, je n'ai pas envie d'insérer de mensonge.

Le pilote quant à lui, a effectivement redressé l'avion. Mon vol se présente enfin sans turbulence. C'est drôle de dire ça, mais j'ai envie d'avancer, d'empoigner la vie et de simplement profiter. J'ai enfin une forte motivation dans une autre direction que la drogue, et ça me fait me sentir vivant.

Une fois nos plats terminés, le serveur nous les retire et nous apporte la carte de desserts qu'Hannah laisse sur la table sans la regarder.

— Tu ne veux pas de desserts ? demandé-je.

— Je n'aime pas trop le sucre.

— Ouais, t'as raison, ce n'est pas bien.

J'abandonne à mon tour la carte sur le côté de la table. L'homme le remarque directement et revient à notre table.

— Pas de dessert ? lance-t-il, visiblement déçu de notre choix.

— Non, merci, répond Hannah, joviale.

— Peut-être un thé, un café ? continue-t-il.

— Pas pour moi, et toi ?

— Non plus, réponds-je. Volontiers l'addition, s'il vous plaît.

— Bien, sort le serveur avant de disparaître.

Quelques instants plus tard, il revient, un bout de papier dans ses mains. Je lui demande de payer par carte, il apporte le lecteur rapidement. Je règle la note en laissant un pourboire et nous partons.

Sur la rue pavée, je reluque Hannah qui me devance. Le tissu blanc de sa robe fait des vagues à chacun de ses pas, glissant subtilement sur ses fesses rebondies.

Est-ce qu'elle peut vraiment être à moi ?

— C'était très bon, merci, dit Hannah en se retournant.

— Je sais.

Elle s'approche en plantant son regard dans le mien, puis place sa main sur mon ventre. Ses grands yeux ne décrochent plus des miens et m'embrasse tendrement. Quand elle met fin à notre baiser, je ne peux m'empêcher de sourire bêtement.

— Qu'est-ce qu'il y a ? lance-t-elle, timidement.

— Rien, dis-je.

D'un geste, elle me pousse sans trop de conviction.

— T'es nul à sourire comme un crétin, je vais finir par croire que tu as un vrai faible pour moi.

—Et si c'était le cas ?

Merde, je crois que je rougis.

— Ne dis pas de conneries, lance-t-elle d'un ton plus froid.

Elle fait quelques pas sur le trottoir à côté du sable chaud, puis elle s'installe sur un petit muret qui sépare le bitume des minuscules grains jaunes. Je la rejoins et m'assoie à ses côtés.

— Pourquoi tu ne veux pas me parler de tes parents ? lâche-t-elle subitement comme si ça avait une importance capitale.

Cette question a l'effet d'une bombe. Pourquoi revient-elle sur le sujet ? Surtout qu'elle vient clairement de me mettre un vent.

— Parce qu'ils ne sont rien pour moi, craché-je, glacial.

— Je t'ai parlé des miens, s'exclame-t-elle, agacée. Et ce sont pas des perles.

Le regard porté sur le sol, les poings et la mâchoire serrées, je me résous à lui parler.

— Ma mère est cette vieille...

— Quelle vieille ? me coupe-t-elle.

— Tu sais, au concert... reprends-je en grattant nerveusement l'arrête de mon nez.

— Celle qui était avec toi dans la pièce ?

— Ouais.

La nouvelle est tombée.

— Oh, fait-elle, surprise.

— Voilà, dis-je en me râclant la gorge.

Avachi, les coudes sur les genoux, je me frotte les mains. Je n'aurai jamais dû en parler, c'est évident. Hannah reste silencieuse de son côté, visiblement mal à l'aise face à moi.

— Mon père est parti quand j'étais petit, il ne m'a plus jamais donné de nouvelle depuis sa dernière engueulade avec ma mère.

— Je suis désolée, fait-elle.

Je prends une grande inspiration.

— Il n'y a pas à l'être. T'es ni mon père, ni ma mère, donc tu me dois aucune excuse, rigolé-je nerveusement.

Hannah reste pantoise à mes côtés, regardant devant elle.

— Pourquoi tu n'as pas essayé de renouer avec ta mère ce soir-là ?

— Sûrement parce que c'est cassé depuis trop longtemps maintenant. Elle ne s'est jamais préoccupée de moi. Môme, j'étais livré à moi-même. J'ai grandi avec l'aide de Rose et de ses parents.

— Elle est merveilleuse.

— Ouais, approuvé-je en hochant la tête.

— Merci d'avoir partagé tout ça avec moi.

Elle me lance un sourire mesquin avant d'enlever ses escarpins et de courir dans le sable en direction de la mer. Je ramasse ses chaussures et pars à sa poursuite. Alors qu'elle est prise d'un fou rire, je la rattrape facilement et l'attrape par la taille. Nous tournoyons sur nous-même et chutons dans le sable chaud. Hannah s'écroule sur moi en faisant une grimace.

— Merde, je t'écrase, lance-t-elle, soucieuse.

Essoufflé, sur le point d'être aplati, un mal de dos se fait ressentir, mais tout ce que j'arrive à faire, c'est de lui sourire de toutes mes dents d'un air bête.

— Non.

Hannah est piquée par un fou rire. Rapidement, elle se redresse et place ses jambes à califourchon, ce qui me permets de me mettre sur mes coudes. Sans que je m'y attende, elle m'embrasse avec tendresse, puis elle approfondit le baiser, frottant son bassin légèrement contre mes hanches.

Cette fille est comme une emprunte dans du ciment encore humide. Elle m'a touché en plein cœur et c'est permanent, je n'ai plus aucun doute là-dessus, je crois, je suis même sûr que je tombe amoureux.

Lorsqu'elle met fin à notre baiser, mes yeux s'ouvrent, plongeant dans les siens, délicats. Pendant quelques secondes, j'ai l'impression d'être plus qu'une simple romance pour elle, mais je redescends vite de mon nuage en me souvenant de son ton glaçant qu'elle a utilisé plus tôt.

Je sais plus quoi penser.

— Nikki ?

L'appel de mon prénom me sort de mes pensées.

— Il se fait tard, reprend-t-elle quand elle a toute mon attention.

— Euh, ouais.

Elle s'assoie à mes côtés et replace une de ses mèches derrière son oreille.

— Je vais commander un Uber.

— Merci, dit-elle en me souriant.

Le Uber met peu de temps à arriver et une fois chez Hannah, elle me fait un doux baiser sur la joue et me souhaite une bonne nuit avant de sortir de la voiture. Alors qu'elle marche jusqu'à sa porte, ma tête ne cesse de l'appeler « petite amie ».

« Vas-y, vole, petit oiseau. Je ne te retiendrai pas, c'est promis. »

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