35. Fous-toi en l'air, qu'ils disent
Au loin, de la lumière accompagne le bruit des vagues et les rires des gens présents au bar de plage. Il est déjà tard quand j'arrive enfin à la fête. Rose m'a laissé sur ce bord de route et s'est barrée. Au début, je pensais qu'elle allait faire marche arrière ou s'arrêter, mais elle ne l'a pas fait, alors j'ai pensé qu'elle allait finir par rebrousser chemin et venir me chercher, mais au bout d'un quart d'heure, j'ai abandonné cette idée et j'ai commencé à faire du stop.
En me rapprochant d'eux, j'entends du vieux Rock sortir des haut-parleurs installés sur des piliers métalliques reliés par des guirlandes lumineuses. Rose est là, installée dans une chaise longue, avec Hannah.
— T'as changé d'avis pour finir ! s'écrie Vigo en venant à ma rencontre.
Je n'ai jamais changé d'avis.
— Je suppose.
Son front se plie, mais visiblement, il n'est pas intéressé à en apprendre plus. Il place un bras par-dessus mes épaules et nous nous avançons vers les autres. Mon arrivée ne fait bouger personne, même pas Hannah, qui, après un regard rapide dans ma direction, reprend sa discussion avec Rose. Ethan, ivre, dort tellement bien dans son hamac qu'il ne ressent même pas les pieds de Vince qui poussent sa couchette provisoire comme une balançoire. Jack me fixe, hésitant. Je suppose qu'il a quelque chose à me dire. Lorsque je rejoins le bar, le blond se lève. Bingo. Il m'énerve déjà.
— Un double whisky, s'il vous plaît.
La main dans la poche, j'en sors un billet et le pose sur le comptoir.
— Ça fait plaisir de te voir, lance Jack en s'accoudant à côté de moi.
Mon cul.
Ma boisson servie et enfin entre mes doigts. Je bois une longue gorgée sans répondre à ce faux rockeur fringué à la mode des années quatre-vingt, ce qui lui fait froncer les sourcils.
— Je sais que nous ne sommes pas en très bon terme tous les deux et que le fait que Rose arrête la musique ne te convient pas.
Je lui lance un regard mauvais qui prierait n'importe qui d'arrêter de parler, mais il continue.
— Etant donné que je participe à la prochaine tournée du groupe, j'aimerai trouver une solution pour qu'on puisse au moins se tolérer.
Décidément, tout le monde cherche des solutions.
Je reprends une gorgée de mon whisky, scrutant les alentours. J'espère qu'il va comprendre que je ne suis pas intéressé.
— Nikki, allô, je te parle.
Je soupire bruyamment. Ma mâchoire se serre sous son air arrogant.
Merde. Au pire, qu'est-ce que j'y perd ? Ce n'est pas comme s'il y avait une autre possibilité. Je devrais de toute manière le supporter.
— Ok, réponds-je d'un ton détaché, en haussant les épaules.
Je finis mon whisky d'une traite et en recommande un.
— Tu en veux un aussi ? demandé-je à Jack, en montrant mon verre.
Il acquiesce en détournant le regard. Il ne doit pas vraiment comprendre ce qu'il se passe. Je fais le geste de deux à la serveuse qui nous apporte nos consommations immédiatement.
— À la tienne ! lancé-je.
Mon verre tape et un doux son aiguë se produit à leur rencontre. Un sourire s'empare du visage de notre futur guitariste. Il est content et du coup, il m'embêtera moins comme ça. Pendant qu'il m'explique ses idées sur les effets qu'il veut donner avec son instrument, mes yeux se posent sur Hannah qui se tient toujours aux côtés de Rose. Elle porte une jolie robe trapèze noir au dos nu. Son maquillage est subtil, comme à son habitude. Instinctivement, ma tête dicte à mes jambes d'aller dans sa direction, laissant Jack parler dans le vide.
Statique devant les deux jeunes femmes, Hannah est la seule à lever la tête vers moi. Durant un instant, on s'observe sans rien se dire.
— Est-ce qu'on peut parler ? demandé-je, les mains dans les poches.
Hannah s'excuse auprès de Rose, se lève et s'éloigne. Je la suis jusqu'à atteindre le bord de la plage, là où les vagues se terminent. J'agrippe son poignet avant qu'elle continue à longer l'océan.
— Je crois qu'on est assez loin, là.
Elle hausse les épaules, reprenant possession de son bras, le regard baissé.
— Il fait bon, ce soir, noté-je.
L'horizon est distinct et la lune est clair, déversant sa lumière dans l'eau salé qui nous fait face. Hésitant, je m'approche d'elle et écarte ses cheveux de son épaule, faisant glisser le bout de mes doigts sur sa peau si douce, mais son corps s'écarte à ce contact.
— Désolé, m'excusé-je en détournant le regard.
— Tu veux parler de quoi, Nikki ?
— De toi ... de moi.
Son visage reste impassible.
— J'ai merdé, je sais, reprends-je.
Ses bras se croisent sur son buste. Ses joues s'empourprent progressivement.
— C'est tout ? constate-t-elle d'une voix ferme.
— Je suis désolé ? fais-je d'un air de chien battu.
Elle se crispe sous mes mots.
— Tu te fiches de moi, hausse-t-elle le ton.
Je baisse les yeux. Mes poings se serrent.
— Je n'avais vraiment pas l'intention de te faire du mal.
— Qu'est-ce que ça change, puisque tu l'as fait ?
— J'ai arrêté. Je le jure.
Hannah lève les yeux au ciel. Visiblement, elle ne me croit plus elle non plus.
— Alors, c'est notre baise qui t'a donné envie d'en reprendre ?
Je secoue la tête doucement et après un grand soupir, lance.
— Non, je ...
Sûrement pas.
Soudain irritée, elle sort le paquet de cigarette de son sac et en allume une. Moi, je reste là, silencieux, à tirer une mine déconfite.
— Tu t'enfonces, dit-elle en arquant un sourcil.
Je serre les dents et secoue la tête à nouveau.
— J'ai vu ce petit sachet et ...
— Et tu t'es dit que ça serait le pied après une bonne baise ? me coupe-t-elle. Ou une mauvaise, qui sait ?
— Non !
D'un geste énervé, je tire mes cheveux en arrière.
— Je l'ai juste vu et je n'ai rien pu faire, reprend-je, soudain conscient à quel point je suis coincé dans ce cercle vicieux.
Son regard se braque sur moi, puis elle balance froidement.
— T'as vraiment un problème, ma parole.
Peut-être.
En ricanant, elle ajoute :
— Tu n'as juste rien pu faire. T'as aucune volonté plutôt. Tu es un crétin qui arrive à croire en ses propres mensonges.
Ça me met hors de moi. Je marmonne.
— Je suis calme, je suis calme.
— Pourquoi tu réagis comme ça ? Ce n'est pas moi qui suis en tort. C'est toi qui as fait le con ! Et tu le fais encore, comme si tu n'arrivais jamais à t'arrêter !
— Je t'ai dit que j'avais merdé. Je te l'ai dit putain, que j'avais merdé, tu veux quoi de plus ?
Hannah me regarde, penaude. Elle semble déjà avoir pris une décision. Persuadé qu'elle va me quitter, je hurle.
— Ok, j'ai compris ! Je me casse.
Je trace dans une direction inconnue en tirant sur la longueur de mes cheveux, mais Hannah n'est pas décidée à me laisser partir.
— Tu te fous de ma gueule ! braille-t-elle à pleins poumons. Tu ne vas pas te barrer comme ça !
Hannah agrippe mon coude au vol et me force à lui faire face.
— J'ai tout explosé, alors à quoi bon ? C'est fini ! Je le sais !
Soudain, elle s'emporte, folle de rage. Elle me frappe le torse, me pousse, m'insulte, me frappe à nouveau. Une vraie furie. Aussi vite que ça a commencé, elle s'arrête. Son regard noir me fixe, ses cheveux sont en bataille et sa respiration, haletante, ressemble à celle que je connais si bien, mais là, ce n'est clairement pas cette Hannah que j'ai devant moi.
Le silence plane maintenant entre nous. Ses joues sont rouges de colère et sa frange est en bataille. Une main sur ma nuque, mes yeux fuient son regard et se plantent sur les milliers de petits grains de sable dont certains ont pris possession de mes chaussures.
— Je tiens à toi, Nikki. Je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose.
Sous ses mots, je relève la tête pour joindre mes iris aux siens, embuées. D'un geste rapide, ses doigts sèchent l'eau salée qui s'est emparée de ses pommettes. J'aimerai l'approcher, la rassurer, mais je ne sais pas du tout comment j'ai fait pour rester vivant jusqu'à maintenant. Hannah est le dernier rempart avant de foncer droit dans le mur. Elle est le peu de stabilité qu'il me reste, mais est-ce que j'ai vraiment envie de prendre le risque de la prendre avec ? Si je continue mes bêtises, autant qu'elle ne soit plus à mes côtés. Mon cœur se serre dans ma poitrine sous mes pensées tortueuses.
— Je ne peux pas, chuchoté-je presque.
Ma trachée se serre, des fourmillements me prennent dans les bras, les mains puis, atteignent mes doigts. Mes poumons manquent d'air.
—Hannah ...débuté-je avant de reprendre mon souffle. Est-ce que tu crois qu'il y a un âge pour mourir ?
Elle jette un coup d'œil dans ma direction, dubitative, pendant que je détourne le regard sur l'eau.
—Non, pourquoi ? lance-t-elle la voix tremblante.
— Parce que je n'y arrive pas, capitulé -je en lui faisant face.
Ses yeux verts braqués sur moi sont remplis d'incertitudes.
— Tu n'arrives pas à quoi, Nikki ? Je ne suis pas sûre de comprendre.
— À mourir.
Je pense que ma voix est couverte par les vagues et n'est pas arrivée à ses oreilles, mais quelques secondes plus tard, dans un léger soupir, je la sens s'approcher de moi. Son parfum sucré m'arrive aux narines et me calme de ma possible crise d'angoisse à moitié maîtrisée. Sa main droite frôle ma clavicule, avant de descendre sur mon bras, puis elle glisse ses doigts entre les miens. Au tour de la deuxième de suivre une trajectoire sur mon t-shirt, passant par mon abdomen, s'attardant sur mon ventre.
Je la prends dans mes bras. Nos nez se touchent, nos lèvres se rejoignent et elle me donne un doux baiser. Dans le besoin de l'avoir encore plus proche de moi, je resserre mon étreinte.
— J'ai besoin de toi, chuchoté-je dans le creux de son cou.
— Je suis ici. Je te soutiendrai, Nikki, tu m'entends ?
Elle quitte mon étreinte pour me faire face, répétant encore une fois.
— Tu m'entends ? Nous irons bien. Je ferai face au monde avec toi. Je te soutiens.
J'entoure mon corps de mes bras, empêchant Hannah de me prendre à nouveau dans les siens et de pouvoir me réconforter, me calmer. Alors que des larmes de crocodiles envahissent mon visage, je me casse en deux. Le buste penché en avant, je me serre encore plus fort au niveau de l'estomac. Je veux arrêter de ressentir ces fourmillements dans mes membres, je veux pouvoir souffler librement, que mes poumons expirent et inspirent sans effort, que la vie soit facile. Tandis que ma respiration est continuellement étouffée par des sanglots qui ne s'arrêtent pas, j'essaye malgré tout de reprendre le dessus sur ma crise d'angoisse non-maîtrisée, mais mon corps semble lâcher totalement, et puis, je réalise qu'il se laisse aller pour une autre raison que la peur qui me ronge.
Le soulagement de pouvoir à nouveau compter sur quelqu'un.
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