27. Pieds et mains liés

J'ai l'impression que le ciel vient de me tomber sur la tête. Ma mère, mon poison, me regarde. Ses yeux sont remplis de larmes. Les bras ballants, elle semble prendre conscience de la gravité de la situation dans laquelle nous sommes qu'à cet instant. Toute notion du temps a soudainement disparu alors que mes pieds, collés au sol, m'empêchent de sortir de cette cage invisible dans laquelle je me trouve. Sous la chaleur étouffante de la pièce, ma main frotte mon front humide, puis l'arrête de mon nez accompagné d'un petit reniflement. Je prends une grande inspiration, prenant mon courage à deux mains.

— Bonsoir.

Mes doigts picotent et des fourmillements font leur apparition dans mes bras.

— Comment tu vas ? dit-elle d'une petite voix.

Mal. Très mal. Je jure.

— Bien.

Hésitante, elle s'approche de quelques centimètres, tandis que j'ai le reflex de reculer à chacun de ses pas dans ma direction. Ses yeux froncent sur mon corps, scannant sans vergogne ma peau imbibée d'encre. Avec maladresse, j'enfile le tee-shirt noir que Vigo a laissé. D'un geste rapide, mais tout autant désagréable que le précédent, je replace mes cheveux derrière mes oreilles. Mes mains moites réunies, elles se frottent légèrement entre-elles. Mon cerveau n'a toujours pas capté que je dois absolument décamper d'ici, ou peut-être que c'est mon corps qui ne réagit pas.

— Tu as beaucoup changé, bredouille-t-elle

Elle fait pitié.

— Ouais...

— Tes cheveux sont si longs.

Et tu es si vieille.

— Hum.

— Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu, poursuit-t-elle, statique à l'encadrement de la porte.

La dernière fois, c'est quand t'as ramassé toutes mes affaires pour les mettre dans des sacs poubelles, derrière la porte d'entrée.

J'acquiesce de la tête.

— Tu habites où, maintenant ?

Qu'est-ce que ça peut te foutre ?

— Californie.

Elle hoche la tête tout en prenant une grande respiration.

— Hum, je vois. Loin d'ici.

Si je m'étais écouté, je serais parti encore plus loin, vieille bique.

— Ouais.

Il y a un silence qui se forme, mais ma mère ne semble pas vouloir le laisser prendre le dessus.

— Tu as un groupe qui marche bien, à ce qu'en dit mon patron.

Tu m'emmerdes avec tes questions, vraiment.

— Je suppose ?

Est-ce que tu penses à moi, parfois ? Ce sujet est nul.

— J'ai beaucoup aimé t'entendre chanter.

Ça me fait bien chier que tu m'ais entendu.

— Ouais, ben, merci.

Pourquoi je garde mon calme ?

— Alors comme ça, tu n'as pas arrêté de jouer du piano.

Un petit sourire timide se forme sur ses fines lèvres légèrement ridées.

— Non.

Ta gueule, par pitié. Casse-toi.

Mon corps tout entier bouillit sous ses airs faux. C'est une discussion bidon qui essaye de laisser derrière nous les promesses brisées d'une enfance merdique.

— Je suis contente que tu fasses toujours du piano.

Sa voix est hésitante. Je ne trouve rien de mieux que de lui dire, "Ok, cool" tout en me grattant l'arrière de la nuque. Quand est-ce que ça va s'arrêter ? Mes nerfs sont réellement prêts à exploser.

— Tu sais, Nikki ... reprend-t-elle après un long soupir.

Dans un déchirement qui vient du fond de mes entrailles, le son de ma voix la coupe.

— Non, tu ne sais pas, tu ne peux même pas prétendre savoir.

Ma mère est surprise du ton que j'emploie.

Mes cordes vocales filent dans les aiguës, mais les mots affluent à l'égal de l'air circulant dans le sang, pour que je puisse enfin respirer.

— Tu n'as absolument aucun droit de te présenter devant moi, ni même de m'appeler par mon prénom. Tu n'es qu'un fantôme, rien de plus, rien de moins, craché-je avidement.

—Je t'ai éduqué, lance-t-elle.

— Comme si cette excuse te donnait un laisser passer sur tout le reste.

Mes muscles se contractent, me tirant sur mon épaule. Un instant, une grimace s'empare de mon visage mais elle est vite effacée par la prise de la réponse de ma mère.

— Je comprends que tu vois la situation différemment.

— Ah bon ? Parce que toi, tu la vois comment, cette situation ? me récrié-je, furieux.

— Comme une deuxième chance qui s'offre à nous.

Un rire nerveux s'échappe de mes lèvres, alors que le doux visage rond de ma mère se durcit.

— Je t'attendais pendant des heures, reprené-je d'une voix grêle.

— Quoi ? fait-elle, frappée par ma phrase.

— Tu partais pendant des jours.

— Tu n'as jamais manqué de rien.

— D'une mère...

Ma voix est à peine audible. Je ne pense pas qu'elle l'a compris, mais j'avais besoin de l'entendre résonner ailleurs que dans ma tête.

Le traumatisme que j'ai subi, je n'ai jamais été certains de pouvoir le surpasser, et pourtant, je suis là, confrontant mon pire cauchemar. Mon caractère s'est forgé à cause de ces multiples situations dans laquelle elle m'a laissé. Je n'aurais certainement pas été la personne que je suis à ce jour, mais ce n'est pas pour autant que je vais la remercier de n'avoir pas pris son rôle de mère à cœur.

— Ton père t'a abandonné, lui. Et je ne parle pas que de quelques jours, dit-elle, devenant légèrement agressive.

Sous cette suite de mots à en vomir, je sens une boule de colère monter en moi, j'ai chaud et mon cœur bat rapidement. Je compte dans ma tête, mais je n'arrive pas à dix comme recommandé, c'est plus fort que moi.

Pourtant, je m'étais calmé.

— Mon père ...

Soudain, elle s'emporte.

— Ton père ne t'a jamais offert de cadeaux, ton père ne ta jamais souhaité ton anniversaire, ton père ne t'a jamais téléphoné pour prendre de tes nouvelles, ni ne t'a donné le moindre centime pour vivre.

Là, elle marque un point.

Mon père s'est barré lorsque j'avais cinq ans, quelques mois avant que nous déménagions dans ce fameux immeuble à Seattle. Ma mère n'avait pas mis beaucoup de temps à retrouver quelqu'un pour oublier mon paternel. À l'époque, je ne savais pas ce que cela signifiait réellement, mais lorsque j'ai eu l'âge de comprendre, ma mère m'avait expliqué qu'il était parti du jour au lendemain comme un voleur, sans me dire au revoir. Suite à ses révélations, j'avais décidé de le placer dans un coin de ma tête que je nomme "le placard des souvenirs désastreux".

Il n'a jamais cherché à me contacter, et moi non plus d'ailleurs. Ce n'est sûrement pas plus mal. Je l'imagine bien avec une nouvelle famille, dans un endroit chaleureux, rempli d'amour. Si c'est comme ça que je le vois, c'est parce que j'ai vécu le contraire, une maison vide, terne, emplie de colère. J'avais peur que ma mère décide de ne plus rentrer de ses longs voyages qui n'en finissaient jamais. J'étais désespérément seul lorsque je ne pouvais pas aller me réfugier chez Rose. Petit, je ne pouvais pas m'empêcher de me demander ce que j'avais fait pour que maman me tourne le dos aussi cruellement.

Est-ce que c'était la douleur qui était gravé dans mes yeux qui la faisaient fuir ? En tout cas, à ce moment présent, c'est loin d'être le cas. Son visage ne marque aucun sourire. Pourtant, j'ai cette foutue impression qu'elle est contente de m'avoir perturbé à ce point. Aucun mot ne peut sortir de ma bouche. Statique sur mes deux pieds, je la fixe, comme si j'attendais un quelconque coup fatal. Elle ne veut pas nous donner une seconde chance comme elle vient de le prétendre.

Comme par magie, Hannah débarque, chargé comme une mule.

— Oups, je dérange ? dit-elle dans un sursaut à côté de ma mère.

Je ne lui réponds pas, mon regard haineux toujours posé sur ma maternel, elle reprend distinctement.

—Ok... Je pose juste ça là.

En passant à côté de moi, ses yeux verts plongent dans les miens. Remplis de questions, je peux lire aussi une envie de pouvoir faire quelque chose pour m'aider. Avec un sourire malin, elle dégaine son téléphone et le porte à l'oreille, alors que je me frotte le menton, nerveux de devoir continuer cette conversation avec le démon.

— Allo ? Oui, Vigo, oui. Je le lui dis tout de suite !

Elle vient vers moi.

— Vigo a besoin de nous immédiatement, enfin, surtout de toi. Il ...

— Ok ! Allons-y, la coupé-je.

Je regarde ma mère avec haine, puis je quitte enfin cette pièce avec Hannah.

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