25. Rencontre avec Low
Lorsque Ethan et moi rejoignons le groupe dans leur nightliner, ces grands cars de luxe, les membres de Low relèvent la tête de leurs téléphones.
—Salut, dit Ethan en faisant un geste timide de la main.
— Salut ! répond un mec au cheveux longs et blonds. Asseyez-vous !
Il se lève et pousse les objets qui traînent sur le canapé. Je m'affale dedans, surpris du confort qu'il procure. Peu après, Vigo et un homme tiré à quatre épingles entrent dans le bus. Il porte un costard et ses cheveux bruns tirés en arrière sont plaqués au gel. Le mec sort une feuille parfaitement pliée de sa poche et commence sa lecture.
— Je rappelle tout d'abord que les toilettes sont à utiliser qu'en cas d'extrême urgence et uniquement pour uriner. Si quelqu'un doit vomir ou chier, il attendra une aire d'autoroute. On s'arrêtera toutes les deux heures, même la nuit. Si vous n'arrivez pas à attendre - Il sort des emballages plastiques d'un compartiment du bus - Vous le faites là-dedans et vous le gardez jusqu'à la prochaine poubelle que vous rencontrerez, n'est-ce pas, Jesse ?
Le mec aux cheveux blond lui lance un regard :
— Ouais, ouais, ça va, tu ne vas pas remettre ça sur le tapis.
Les autres types se marrent.
— Ensuite, reprend celui qui semble être le manager de Low. Nous allons partir d'ici quelques minutes, une fois que le staff aura rangé le matériel dans la remorque.
Quelques minutes, cela suffit pour que je me fume une dernière cigarette avant de prendre la route, mais l'un des gars de Low en a décidé autrement.
— Venez, je vais vous montrer vos couchettes pour que vous puissiez poser vos affaires.
Merde. Pas de clopes pendant deux heures, mais je me vois mal décliner la proposition.
Nous montons à sa suite et il nous désigne deux lits au fond du bus.
— Voilà, indique-t-il. Faites comme chez-vous, je crois qu'on a du chemin à faire jusqu'à notre première destination.
— C'est laquelle ?
— Ben... Aberdeen.
Fais chier.
Nous redescendons auprès des autres et nous nous installons sur les banquettes, alors que le bus se mets en route, droit vers l'enfer. Ethan remarque mon air sombre et tapote mon épaule avec douceur.
— Ça va ? demande-t-il.
— Ouais, ouais.
Il doit se douter que je n'en mène pas large, mais il n'insiste pas. C'est un truc que je dois quand même reconnaître : Ethan fait toujours attention aux autres. Mon épaule me faisant mal, j'avale deux cachets pour la douleur et me laisse comater, les yeux perdus dans le paysage qui défile devant nous.
Aberdeen.
Vigo a réussi à me faire venir à Aberdeen. S'il y a bien une ville dans laquelle je n'ai absolument pas envie de remettre les pieds, c'est bien celle-ci. Trop de mauvais souvenirs.
Lorsque j'étais petit, ma mère, mon beau-père et moi habitions une vieille bâtisse dont chaque planche de bois pourrissait à vue d'œil. Mon beau-père officiel préférait boire et regarder la télévision à longueur de journée plutôt que de réparer la ruine qu'était notre chez-nous. Des gouttes d'eau s'infiltraient et coulaient sur les murs depuis le plafond de ma chambre, et quand l'hiver approchait, les vieilles fenêtres, manquant cruellement d'isolation laissaient passer l'air gelé. Je me souviens aussi du salon où s'empilait les cadavres de bières que mon beau-père collectionnait alors que ma maternel travaillait dans un bar pour vieux habitués puant le désarroi, plongés dans l'inexistence d'une quelconque vie réelle.
Rose habitait la maison à côté, plus jolie et mieux entretenue, même si elle restait une de ces baraques standards, construites à la pelle à Aberdeen et dans les environs, entourée d'un petit jardin où l'herbe montait jusqu'en haut des grillages métalliques. J'avais pour habitude de les grimper pour rejoindre le jardin et la chambre de Rose, jusqu'au jour où je m'étais coincé un bout du pyjama dans l'un des fils coupés de métal et, dans mon élan, l'avait entièrement déchiré jusqu'au genou. Je m'étais fait terriblement disputer par ma mère quand j'étais rentré, le lendemain. Je préférais largement ces jours où mes tuteurs s'en allaient en me laissant très peu d'argent sur le comptoir de la petite cuisine datant des années quatre-vingt. Peut-être que je me nourrissais uniquement de chips, mais ils n'étaient pas là pour me rabaisser ou pire encore.
*
Ethan et Vigo s'occupent de descendre le matériel de la remorque, alors que les roadies de Low en font de même avec le leur. Comme je ne peux rien porter de lourd, je m'allume une cigarette aux abords du bar et regarde mes amis peiner face aux nombreux kilos à transporter jusqu'à la scène. Une fois tout le monde à l'intérieur, le manager de Low ressort une petite feuille de sa poche.
— Je vous rappelle que le concert de charité débute à vingt-heure avec vous deux.
Il nous pointe du doigt, comme si le nom de notre groupe n'existait plus.
— Ensuite, reprend-t-il. Les soundchecks doivent être fait d'ici une heure pour laisser place à Low. Notre ingénieur son s'occupera de votre son, comme inscrit sur le contrat au préalablement lu et approuvé.
Approuvé, approuvé, c'est vite dit. Si ça ne tenait qu'à moi, je ne serais pas là.
— Pour conclure, on a beaucoup de boulot, alors sortez-vous les pouces du cul.
C'est dit si gentiment.
Low et leur manager sortent du bar en nous laissant le soin d'apporter les affaires sur scène. Vigo s'énerve contre son collègue pendant une dizaine de minutes sans discontinuer, alors qu'on place les mètres de câbles, branchons les amplis et le synthétiseur.
Je regarde autour de moi et constate que le bar est atypique. Le plafond en pierre forme une voûte, ce qui nous donne l'impression d'être dans une cave. L'élément du bar est en bois massif et possède des sculptures en forme de croix. Les tabourets et les chaises sont en velours pourpre. Des lustres projettent des lueurs tamisées dans le lieu ce qui lui donne un côté rustique et chaleureux à la fois.
Le temps passe et les réglages sont faits. Nous sommes prêts à laisser la place à Low, qui sont en train de boire une bière au bar. Il faudrait que quelqu'un leur rappelle que nous ne sommes pas leurs assistants.
Alors qu'ils se mettent enfin à jouer, je me place au bar avec Ethan et Vigo. Quand la serveuse arrive pour prendre nos commandes, sa voix s'étrangle subitement au plein milieu de sa phrase :
— Salut les gars qu'est-ce que je vous ...
Je sens son regard vriller sur moi. Je me retourne vers elle pour savoir ce qu'elle me veut et je me fige. Ses longs cheveux noirs parsemés de mèches grises sont noués en queue de cheval et lui tombent jusqu'au bas des reins. Elle est très peu maquillée et des cernes trahissent ses longues journées sans repos.
— Nikki ? balbutie-t-elle sans me lâcher des yeux.
Je comprends soudain ce qui la rend si nerveuse à ma vue.
C'est ma mère.
Je me lève d'un bond si soudain que mon tabouret tombe dans un bruit sec. Je tremble de tous mes membres alors que je recule instinctivement vers la porte. Vigo se redresse à son tour.
— Ça va ?
Je ne prends pas le temps de lui répondre et cours vers la sortie. Une seule idée m'obsède : Je dois quitter cet endroit le plus vite possible et ne plus jamais y revenir.
À l'extérieur, je m'allume nerveusement une cigarette. Vigo me rejoint.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? On dirait que tu as vu un fantôme...
Si seulement c'était un fantôme, pourtant, elle paraissait bien réelle.
— C'est ...
Je tire une longue latte de ma cigarette. Mon manager me fixe, attendant une réponse de ma part.
— C'est ma ... mère.
— Oh, fait-il simplement. Je vois...
Il a l'air soudain très gêné par la situation dans laquelle il nous a fourré.
— Je l'ignorais...
— Quoi ? répliqué-je abruptement. Tu ne savais pas que ma mère habitait encore Aberdeen ? Ne me fais pas rire !
— Je ne savais pas qu'elle bossait dans le bar dans lequel tu allais te produire, corrige-t-il.
— Ouais, ben c'est mort ! craché-je. Il est hors de question que je remette un pied dans ce bar ! Si je me retrouve dans la même pièce qu'elle, je...je ne sais pas.
Je sais plus. Ma tête est complètement vide.
— Je suis désolé, je verrai ce que je peux faire.
Je le regarde avec reconnaissance. Il me sourit d'un air confiant qui me réconforte. Il retourne dans le bar pour chercher le manager de Low et en ressors aussitôt avec lui, qui semble hors de lui.
— C'est quoi ces conneries, Miller ? m'invective-t-il.
— Je ne peux pas jouer. Je regrette mais ...
Je cherche désespérément le soutien de Vigo, qui reprend ma phrase :
— Il ne peut pas jouer, son épaule le fait souffrir.
— Ça ne marche pas avec moi, siffle-t-il. Tu n'as pas mal aux cordes vocales, vous avez signé, et en plus, c'est pour une œuvre de charité ! Ça ne se fait pas !
Il reprend son souffle, avant de continuer.
— Si vous ne jouez pas ce soir, je vous vire de la tournée. C'est compris ?
Je le regarde, penaud. Je ne m'attendais pas à un tel ultimatum.
— Est-ce que c'est compris ? répète-t-il en me pointant du doigt.
— Ouais.
— Ok, alors maintenant on rentre dans ce bar et plus vite que ça. Et que je n'entende plus parler de prestations annulées !
On rejoint Ethan qui n'a pas bougé de son siège. Ma mère n'est plus derrière le bar, ce qui me pousse à jeter des coups d'œil partout et me rend parano. Est-ce qu'elle me guette ? Est-ce qu'elle est partie ? Est-ce qu'elle m'attend dans un coin pour me sauter dessus ? Étonnamment, je suis encore plus nerveux de ne plus l'avoir dans mon champ de vision. Low a fini leurs soundchecks et nous retournons dans le bus. Je m'engouffre dans le véhicule, monte directement dans ma couchette et tire le rideau.
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