19. Vulnérable

J'écarquille les yeux dans le noir puis je les referme brusquement avant de les ouvrir de nouveau. Aveuglé par les petits points blancs qui étincellent, je cligne, je roule, je fixe. Impossible de regarder devant moi. Je les referme, mais une lumière artificielle apparaît sous mes paupières. J'ai l'impression que mes cils se ratatinent. Et le soleil, brutal, fait son entrée. Alors, c'est ça, de ne pas voir l'extérieur depuis cinq jours.

— Allez, Nikki, sors de ce lit, lance Rose, les bras croisés sur son ventre.

— Non.

— Nikki, ajoute-t-elle en prenant une voix grave. Tu vas prendre l'air, c'est un ordre.

Elle arrache la couverture et la jette sur le sol.

— Putain, tu fais chier.

— Bouge-toi. Il y a un petit festival sur le bord de la plage, ça te fera du bien.

— Non, je n'ai vraiment pas envie.

Rose me regarde d'un air sadique alors qu'elle rejoint mon armoire. Elle en sort un tee-shirt et un jeans skinny noir, de toute façon, je n'achète que ça. Même si mes habits se rapprochent dangereusement de moi, je tente de reformer mon lit douillet en tirant sur mon duvet.

— Laisse-ça ! Maintenant tu te lèves, s'exclame-t-elle.

— Non, mais non, je ne veux pas.

En tailleur au milieu du matelas, je fais une moue boudeuse. Un énorme soupir accompagne le tout.

Je ne suis vraiment pas bien.

— Tu n'arriveras pas à me faire changer d'avis.

Ni une, ni deux, mon amie me tire hors du lit. Les bras levés, elle glisse le tee-shirt avant de faire passer ma tête dans le trou prévu. Avec hâte, elle me pousse dans le lit.

— Je croyais qu'on devait y aller, plaisanté-je.

Ses yeux collés dans les miens, elle souffle sur une de ses mèches bleues qui s'aventure sur son visage exaspéré. Ensuite, elle enfile mes jambes dans les ouvertures du jeans. Maintenant habillé, elle me tend une boite d'analgésique.

— Vigo m'a dit que ça pouvait aider. Mets-la dans ta poche.

Rose ramasse les clés de ma voiture sur le meuble d'entrée et nous y allons. Après quelques kilomètres, un besoin de vomir m'accable.

— Stop !

— Quoi ? dit Rose.

Trop tard, je me détache et j'ouvre la fenêtre. Dans un spasme, je vomis l'intégralité de mon estomac qui n'est pas bien plein. La voiture blanche derrière nous, klaxonne sans relâche, alors que j'arrive enfin à m'arrêter. Rose finit par prendre une sortie et se parque sur le bord de la route.

— Ça va ? demande Rose.

Elle sort un mouchoir de son sac et me le tend. Je m'essuie la bouche.

— Non, je veux retourner dans mon lit.

Je suis malade comme un chien et le fait de bouger autant ne m'aide pas. Bien qu'elle voie mon état, Rose reprend la route et nous arrivons à l'endroit où se trouve l'événement.

Sur la plage, au loin, un énorme panneau avec le nom du festival est indiqué. Ma meilleure amie trace vers l'entrée alors que je traîne les pieds. Le soleil tape. Je ne vais pas survivre. Quand j'arrive enfin, Rose a déjà pris nos billets, et nous passons ensemble la sécurité. À l'intérieur de l'enceinte, un petit stand sert des boissons et de la nourriture. Rien que l'odeur me donne la nausée. En face, une scène de taille moyenne trône avec à ses abords le merchandising des groupes de la journée. Des artistes sont déjà présents et font leur linecheck.

Alors que Rose salue des gens, je me rue sur le bar et commande un whisky. Une fois servi, je n'attends pas avant d'en recommander un, et avec celui que j'ai déjà, je l'accompagne d'un comprimé. J'ai l'impression que ça m'aide un peu.

Rose me rejoint et me fusille du regard.

— Tu n'as pas besoin de ça, Nikki, peste-t-elle.

— Si.

Elle grimace mais la musique qui jaillit soudainement des haut-parleurs la fait abandonner, me sauvant d'une énième réprimande.

Le groupe qui joue est bon, je m'approche de la scène pour mieux observer, mais je m'attarde plus sur le pogo qui se déroule sous mes yeux que sur le concert. Si je n'avais pas été dans un état si déplorable, j'aurais sérieusement pensé à rejoindre ces gars qui sautent frénétiquement dans tous les sens, en plus, leurs gestes ne semblent pas trop violents à côté de ceux que j'ai pu déjà voir. Certains ont même des gobelets de bière, et par miracle, ils ne se vident pas dans les copeaux de bois, mais le groupe entame un Break très brutal. Le son des guitares qui atteint mes oreilles est autant lourd et violent qu'une plaque de métal s'écrasant sur la tête de quelqu'un. Comme dans un accès de rage, les mecs se bousculent à présent plus rudement. Leurs cheveux volent dans tous les sens, alors qu'ils basculent leurs têtes d'avant en arrière avec furie. Les bières volent, accompagnées de leurs tee-shirts en direction de la scène.

Un coup puissant porté dans me dos me propulse en avant. Sans que je comprenne ce qu'il vient de se passer, je me retrouve dans l'agitation de la foule. Je tente d'en ressortir mais un viking aux cheveux blonds baraqué me fonce dessus et comme une feuille au vent, je virevolte jusqu'à recevoir l'intégralité d'une boisson très fraîche sur moi. Je suis trempé d'un liquide collant. Nous sommes tous les uns contre les autres, sauf qu'ils ont un avantage, même le mec taillé comme une brindille : je suis tellement faible, vulnérable.

Dans un dernier regain d'énergie, j'arrive à jouer des coudes et me sors finalement de là. Je m'assieds par terre, exténué. Alors que je reprends doucement mes esprits, un vieux labrador s'approche en bougeant la queue. Une fois vers moi, il me lèche la main avant de s'asseoir contre moi. Je le gratte derrière l'oreille, mais quand je l'appelle à me regarder, il ne se retourne pas. Il a l'air vraiment sourd, en même temps, il est dans la fosse d'un concert de métal, les haut-parleurs sûrement poussé plus fort que les décibels initialement autorisés.

— Comment tu t'appelles ? dis-je, même s'il ne me répondra pas.

Je regarde son collier et remarque une médaille. Je la prends entre les doigts « Alice » y est gravé.

—Alors comme ça, tu t'appelles Alice.

La chienne me regarde d'un air rempli d'amour.

— Nikki ! T'es là ! hurle Rose, faisant fuir ma nouvelle amie.

— Je suis là.

— Je ne te trouvais pas, lance-t-elle dans un soupir de soulagement. Viens avec moi, j'aimerai te présenter à quelqu'un.

Je grimace, qu'on me foute la paix, putain.

Elle me tire par le bras jusque vers le bar. Un homme aux longs cheveux frisés ébouriffé noirs nous sourit. Son style tout droit sorti des années quatre-vingts me rappelle celui des Kiss.

— Salut, annonce-t-il, un sourire aux lèvres.

— Salut.

— Nikki, je te présente Jack, lance Rose, excitée.

— Le fameux Nikki qui joue dans ton groupe ? demande-t-il.

— C'est ça, rétorqué-je avant ma meilleure amie.

— Jack est un très bon guitariste que je connais depuis ... - Elle lance un regard au mec - Depuis combien de temps déjà ?

Il réfléchit un instant.

— Quatre ans, je crois.

— Ouais, je dirai aussi ça, ajoute-t-elle en acquiesçant de la tête.

— Vous prenez quelque chose à boire ? demande Jack.

— Un whisky.

— Bien, et toi Rose ?

— De l'eau plate, s'il te plait.

Le mec se retourne vers le bar pour commander nos boissons.

— Qu'est-ce que tu fous ? chuchoté-je à Rose.

— Rien ...

— Je sais très bien quand tu complotes quelque chose, dis-je en la pointant du doigt.

Sa bouche en forme de cœur, elle hésite un moment mais finit par se lancer.

— Il serait parfait comme musicien pour me remplacer !

Dans un soupir bruyant, je lève les yeux au ciel.

— Je te jure qu'il serait parfait ! reprend-t-elle. Il adore le groupe ... et de toute façon, je lui ai déjà dit que vous cherchiez un guitariste pour me remplacer.

— Rose Barnes !

— S'il te plait, Nikki, écoute sa proposition.

— Ah parce qu'en plus, il a une proposition ?

Rose trépigne sur place, soudainement, elle semble avoir les nerfs.

— Nikki. Vince et Ethan ont accepté.

— Ok ! dis-je en levant les mains en signe de défaite.

Jack revient au même moment, il nous tend nos commandes. Il n'attend pas plus longtemps avant d'aborder le sujet.

— Rose m'a dit que vous cherchiez un guitariste pour la remplacer.

Il semblerait.

— Ouais.

— Avec mon groupe actuel, nous faisons des reprises de vieux rock des années quatre-vingt.

Sans blague ?

—Nous jouons samedi dans une énorme villa pour une soirée privée. Le mec qui y vit est un taré, mais ses fêtes valent la peine, et ça sera une occasion pour que tu entendes ce que je fais.

Je dois juger son jeu sur des reprises, il déconne ?

— Ouais, euh, je ne sais pas, je ...

Rose me coupe.

— Oui, il viendra.

— Ok, je viendrai.

Fais chier.

— J'ose te poser une question ? reprend-t-il.

Non, je ne veux pas.

— Ouais ?

— Comment est-ce que tu arrives à écrire des paroles si poignantes ?

— Je m'assieds et j'attends que les idées viennent d'elles-mêmes.

Jack lance un simple "ok" un peu déçu. Mes paroles ne sont pas poignantes. On dit souvent qu'un artiste doit baigner en permanence dans la tragédie pour s'exprimer. Je n'en suis pas un et quand je parle à la première personne dans une de mes chansons, cela ne veut pas dire qu'il s'agisse de moi. Je suis en quelque sorte un conteur. Les mots n'ont pas la même signification pour tout le monde.

Mais il n'a pas besoin de connaître mon point de vue. Et je veux juste rentrer, maintenant, enfin, après mon whisky. Ou peut-être que je ne vais pas finir mon whisky. Mon estomac fait un bruit bizarre. Je crois qu'il  va remonter. Un instant et mes entrailles finissent sur le tee-shirt de Jack, son visage est empli de dégoût.

Il y a de quoi, merde.

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