14. Les bateaux voguent et pas que sur l'eau

Dehors, il pleut. Après mon orgie de hier soir, mes pieds ont retrouvé le sol, et ma déprime, cinglante, a repris le dessus, encore une fois. Assis devant mon piano, mon index appuie les touches les unes après les autres, abandonnant toute mélodie quelle qu'elle soit. L'averse fait un bruit merveilleux sur le toit. Ça me rappelle les moments quand j'étais petit, couché sur mon lit, à me demander ou était ma mère et si elle allait rentrer un jour.

Mon petit studio est mon repaire, la meilleure pièce de la maison. J'y entrepose quelques amplis de différentes tailles, huit guitares et trois basses de marques différentes, des baffles et mon piano. Mon instrument de prédilection.

Mon sweat à capuche sur la tête, je me sens comme dans un cocon. Mes cheveux en bataille glissant légèrement sur mes yeux perturbent ma vision comme toujours. Du coin de l'œil, je remarque même qu'une mèche fait une vague. Elle me chatouille le nez à chaque léger mouvement. Je la replace derrière mon oreille. J'essaye réellement de composer quelque chose, mais rien ne me vient.

Je n'en demande pas beaucoup, même de la merde m'irait. Un truc qu'on n'enregistrera jamais mais qui, sur le moment, me remonterait le moral, juste assez pour me dire que j'arrive à quelque chose.

Mais actuellement, mon esprit me dit clairement d'aller me faire foutre, que je ne m'en sortirai décidément pas aujourd'hui et que je devrais retourner me coucher. J'abdique.

Je rejoins mon lit, mais la sonnerie me bloque juste avant d'y parvenir. J'ouvre la porte et découvre Rose face à moi, elle a une tête à faire peur. Vêtue entièrement de noir, ses cheveux est la seule touche de couleur. Son visage est vide de maquillage, ce qui la rend beaucoup plus jeune. J'ai l'impression de revoir ma Rosie d'avant, quand nous vivions à Aberdeen.

Elle passe à côté en me bousculant avant de se diriger à la cuisine, droit sur la cuillère crépit de marque de brûlure que j'ai laissé traîner. Brutalement, son visage se durcit et avant que j'aie le temps de sortir une excuse bidon, elle se précipite sur moi et me frappe le torse.

— T'as vraiment un problème.

Je comprends directement qu'elle va me prendre la tête sur ma consommation. Contrairement aux autres du groupe, Rose s'acharne à essayer de me rendre clean.

— Laisse tomber, avancé-je rudement.

Elle secoue la tête avant de croiser les bras.

— Tu fiches tout en l'air, Nik'.

— C'est mon talent numéro un.

— Bordel, tu vas finir par crever, Nik'.

Arrête de répéter mon nom, Rosie, par pitié.

Elle me regarde avec tellement de peine que j'en reste cloué au sol, les bras ballants, la bouche semi-ouverte. Je me sens comme un con décevant au possible.

— Rosie ...

Elle lève les yeux au ciel.

— Je venais pour m'excuser, mais quand Vigo m'a une fois de plus dit que tu avais bader...

Elle prend une expression excédée.

— J'en ai marre de tes bêtises...

— Je sais ... dis-je, penaud.

Elle me fixe avec une intensité qui mettrait mal à l'aise Poutine.

— Tu devrais jeter tout ça.

Pas à pas, je m'approche d'elle et remarque une larme sur sa joue que j'essuie avec mon pouce avant qu'elle ne tombe. Je n'aime pas la rendre triste. Je n'aime pas être celui que je suis quand les larmes de Rosie tracent des sillons sur sa joue par ma faute.

D'un mouvement de tête, j'acquiesce. C'est sûrement mieux après tout.

Je fouille la cuisine et lui tend le reste de ce que le biker m'a donné cette nuit. Après un soupir, elle prend le petit sachet.

— Il ne reste plus que ça ? demande-t-elle.

Ses yeux persistent à me rendre coupable. D'un geste de la tête, je lui réponds positivement, et après un nouveau soupir, elle se dirige à la salle de bain pour y déverser la petite poudre blanche dans les toilettes.

Après avoir tiré la chasse d'eau, elle se retourne et me sors.

— Si tu continues à prendre ce truc, ça ne le fera pas pour mon enfant, ni pour moi.

Un ultimatum. C'est clairement un ultimatum.

— Je peux arrêter quand je veux, de toute manière.

Elle me dévisage, comme si je n'y arriverai pas.

— Vraiment, essayé-je de la convaincre.

—Ok.

Rosie retourne à la cuisine et se prend un verre d'eau du robinet.

—Vince fait une fête ce soir sur la plage, en petit comité, si tu souhaites venir.

— Ouais, je viendrai.

Un sourire timide se place sur mes lèvres, elle me le rend et lance.

— Bien. Alors, à ce soir.

Elle se blottit dans mes bras et me sers de toutes ses forces. Après un rapide bisous sur ma joue, elle reprend la parole :

— Je vais y aller ! On se voit ce soir, alors ?

— Ouais, ce soir. Ça marche.

Elle traverse le salon et ouvre la porte.

— Je t'aime fort !

À la seconde où Rose passe la porte, j'appelle le dealer. Une heure plus tard, il se présente à ma porte et je reprends mes bonnes vieilles habitudes.

Couché au milieu de mon salon, j'observe le plafond. Des formes se dessinent comme sur une feuille de papier vierge. Je m'imagine des bateaux voguant sur l'océan, où pourquoi pas dans le ciel ? Après tout, c'est mon imagination.

Mon téléphone sonne, un message apparaît sur les notifications. C'est Rose qui me demande quand est-ce que je compte venir à la fête. Je regarde rapidement l'heure.

Merde, il est déjà vingt-deux heures.

Je me lève doucement et m'avance vers le meuble d'entrée, mais lorsque je compte prendre mes clés, elles ne sont pas à leur place. Je fouille à la va-vite le salon avant de m'arrêter net. Je tente de faire de l'ordre dans mes idées. Quelques secondes me suffisent pour que je me souvienne.

Elle est au bar. Merde.

En même temps, en y réfléchissant bien, vu mon état, ce serait plus judicieux de prendre un Uber.

Mon téléphone entre les mains, je sors et ferme à double tour. Pensif, je regarde le trottoir qui mène à ma Ford. Je grimace. Je n'ai pas envie de marcher jusque là-bas, même s'il n'y a que dix minutes, mais il n'y a jamais de Uber disponible avant une vingtaine de minutes.

Je lorgne l'application ouvert sur mon écran.

Merde, ma décision est prise, je vais aller la chercher.

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