12. T'es trop raide
J'ouvre un œil, puis le deuxième. Après un bâillement de fainéantisme, je remarque qu'il n'y a plus aucun bruit dans la maison, et bien que ce soit surprenant, je suis dans mon lit. Un mal de crâne me prend d'un coup, comme si un marteau piqueur martelait ma tête endolorie par l'abus de la veille.
Je me redresse en grimaçant, puis me lève. Sur mes deux jambes, une douleur intense au cerveau m'oblige à m'asseoir à nouveau. Je me frotte les paupières et réitère mon geste. Cette fois bien debout, je me dirige vers la salle de bain où je me dévêtis. Le miroir en face de moi renvoie une tête d'enterrement.
Parfait pour le shooting photo de cette fin de matinée.
Je prends un cachet contre ma gueule de bois, passe sous la douche et je m'habille rapidement d'un tee-shirt et d'un jeans skinny noir. Je me démêle les cheveux, mets du déodorant et je profite d'ajouter un peu de parfum.
Je prends mon téléphone, mes clés et m'empresse de rejoindre ma voiture, déjà à la bourre. J'indique à mon GPS le lieu exact où j'ai rendez-vous et me mets en route.
Sur le tableau de bord, un signal m'avertit d'un appel. Grâce au système mains libre, je réponds. C'est Vigo.
— Salut ! Ça va ?
Il m'appelle pour être sûr que je n'ai pas oublié le shooting photo.
— Ça va, et toi, Vigo ? dis-je en accentuant sur son prénom.
— Ça va, merci. T'as pas oublié ton rendez-vous, j'espère.
— Non, Vigo, lancé-je d'un ton moqueur. Je suis sur le chemin.
Il a un rire bas.
— Bien, je te laisse dans ce cas.
J'acquiesce bêtement ; il ne risque pas de le voir.
— Ok, bye.
J'arrive à ma destination, un ancien entrepôt. Je me parque et coupe le moteur. Mon mal de tête est toujours présent et j'ai l'impression que le cachet n'a servi à rien. Je grimace à chaque décharge lancinante dans mon crâne, mais je prends mon courage à deux mains. Je sors de l'habitacle et m'empresse de retrouver l'entrée de l'immeuble. Je monte les marches quatre à quatre jusqu'à entendre des voix venant de l'étage où je dois m'arrêter. Le groupe entier est déjà présent. Vince pose alors que Rose et Ethan sont assis dans un coin de la pièce.
À peine rejoint, une fille agitée me fonce dessus en mode boulet de canon :
— Vous êtes en retard !
Elle m'agrippe par le bras et m'amène vers une jolie métisse aux cheveux frisés noirs. La jeune femme me sourit, tandis que l'autre me lâche le poignet.
— Bougez-vous ! gronde-t-elle dans un spasme nerveux.
Après quelques minutes à tenter de cacher en vain mes cernes bleuâtres et ma gueule de bois, la maquilleuse me laisse rejoindre mes amis.
— Salut, Nikki, disent-t-ils tous en cœur.
— Pas trop dur le réveil ? avance Ethan d'un ton moqueur.
Je les salue de la main. Sans répondre à mon bassiste, je me poser à côté de Rose qui arbore un magnifique maquillage pailleté du même bleu que ses cheveux. Ensuite, le photographe nous propose une photo de groupe. Je reste en retrait, laissant mes amis se poser sur le fond noir, mais quelques secondes suffisent au photographe pour remarquer que je manque à l'appel, et comme pour me punir, il me place au centre du cadre.
Mal à l'aise, je reste statique sur mes jambes, le bras gauche le long du corps, alors que ma main droite tient celui-ci.
Après avoir bougé quelques éléments du plateau et changé le fond, c'est au tour de Rose et moi d'avancer dans le décor.
Rose ne bouge pas sa tête, restant statique comme une statue alors que le photographe nous explique ces instructions. Après quelques secondes, nous commençons à poser. Rose sourit, se tourne, se déhanche facilement dans son perfecto et jeans noir. Petit à petit, je me sens plus à l'aise, décrochant même un sourire à mon acolyte de toujours.
— T'es trop raide, me réprimande le photographe.
Rose me donne un rapide coup de coude, avant de faire une moue boudeuse au photographe, accentuant son déhancher.
— C'est bon, décrète-t-il.
Ethan rejoint la lumière des projecteurs, alors que nous la quittons. La fille agitée d'avant déboule au même moment, un café entre les mains.
— Vous voulez ? demande-t-elle.
— Ouais, merci.
Elle me tend le gobelet fumant et s'éloigne aussi vite qu'elle est arrivée.
— J'ai rendez-vous pour ma première échographie, demain.
— C'est cool, ça, lancé-je, jovial.
— Oui, je suis pressée, mais j'ai une certaine appréhension, aussi.
Rose baisse les yeux, je tente de la rassurer comme je peux.
— Ça va bien se passer et tu verras ce petit bout, qu'il y a là-dedans.
Je pointe du doigt son ventre. C'est vraiment difficile de se dire qu'il y a un petit être à l'intérieur, plat comme il est. Rose lève les yeux vers moi, puis décroche un petit rictus.
— Merci, Nikki.
Je pose ma main sur sa joue, puis embrasse son front. Vince nous rejoint, suivit d'Ethan et du photographe.
— On a fini. J'enverrai les photos à Vigo.
— Ok, dit Vince en lui serrant la main.
Il nous salue rapidement avant de commencer à démonter le matériel. Nous prenons nos affaires et sortons du bâtiment.
— Tu veux que je te ramène, Rose ? demande Vince, déclenchant le "bip" d'ouverture de sa voiture.
Le regard de Rose suffit à ce que j'accepte sa demande.
— Non, je rentre avec Nikki.
— Pas de problème, à plus !
Ethan en profite pour se glisser dans la Tesla grise de Vince qui laisse s'échapper quelques mots vulgaires à l'encontre du profiteur.
Je ne suis absolument pas sur la même longueur d'ondes avec lui sur les voitures. La mienne, une Ford Mustang Fastback des années soixante de couleur noir créait mon bonheur. Son moteur V8 fait que je consomme pour Vince et moi réunis, ou même peut-être un peu plus.
Rose s'engouffre dans l'habitacle de la même couleur que l'extérieur, tandis que je m'installe du côté conducteur en glissant mon téléphone vers le coin des vitesses. Prêt, je mets les clés et enclenche le moteur.
La musique de Rose qui sort des enceintes de la voiture couvre un silence lourd. À plusieurs reprises, je remarque que mon amie essaye d'entamer un sujet, mais se ravise. Pour finir, regardant dans ma direction, elle sort :
— Nikki ...
— Quoi ?
Je lui jette un regard rapide avant de reposer mes yeux sur la route, un sourire aux lèvres. Ce même silence règne à nouveau.
— Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ? répété-je.
— Ecoute Nikki, c'est délicat.
— Tu sais que tu peux tout me dire sans passer par quatre chemins.
Je jette un coup d'œil dans sa direction, son air est grave. Elle fixe devant elle, les mots martelant son esprit. Elle m'inquiète.
— Je quitte le groupe.
Sa voix est presque inaudible, tremblante.
— Tu te fous de moi ? grondé-je.
— Je ne pourrai plus faire autant de dates qu'avant.
— On en fera moins dans ce cas, dis-je simplement.
Elle soupire, puis reprend.
— Je ne pourrai plus faire de dates du tout.
— Juste pour un temps, on avisera, tenté-je.
— Je ne sais pas si je voudrais repartir en tournée.
— Pourquoi tu ne voudrais pas repartir en tournée ? - Je hausse les épaules - Tu adores être sur la route.
— Ma vie va changer, Nikki, dit-elle d'un ton tranchant.
— Alors tu ne tiens pas ta promesse.
Ma voix est monotone, même si je bouillonne à l'intérieur. Les choses sont comme elles sont, et je savais que ça allait se passer comme ça. J'ai juste été trop bête d'y croire.
— Nikki ... Je serai là à côté du groupe.
La meilleure amie que j'ai à côté de moi ne sera plus qu'une photo dans un cadre d'ici une année. Cette nouvelle a fait l'effet d'un coup de poing.
— Non, tu ne seras pas là. Je ne serai pas un fardeau.
— Tu ne seras jamais un fardeau, dit-elle en plaçant sa main sur mon épaule.
— Je le serai. Je le sais. Je finis toujours par être un fardeau.
D'un geste brusque, je bouge mon bras pour qu'elle arrête de me toucher. Je veux juste poser mon véhicule et sortir, mais elle a choisi l'autoroute pour m'annoncer la nouvelle.
Je veux fuir.
— Tu fais partie de ma vie, continue-t-elle.
— Je ferai partie du passé.
— Jamais.
La colère que j'abrite finit par sortir.
— Arrête de parler !
— Comment tu peux penser ça de moi, gros naze ? réplique-t-elle, fâchée. Je t'aime, Nikki, on se connait depuis qu'on est gosse !
— Tais-toi, bon sang.
— Pourquoi tu réagis comme ça ? Je quitte le groupe, pas ta vie, objecte-t-elle. Tu n'as pas à être désagréable avec moi.
— Putain, je sais que tu le feras.
Je monte le son, elle comprend que je ne veux pas poursuivre la discussion.
Durant le reste du trajet, je tente d'ignorer le nœud dans mon estomac. Rose ne cesse de m'adresser des regards bizarres que j'évite. Je fixe la route avec beaucoup de concentration. Une fois parqué, je sors de la voiture en trombe, allumant une cigarette aussi vite que possible.
— Arrête de faire le con, c'est méprisant ! s'énerve Rose, les bras croisés.
— Moi je suis méprisant ? Tu me laisses sur le bas-côté de la route, comme un déchet, crié-je en donnant un coup de pieds dans l'un des pneus.
Les poings serrés, je prends une certaine distance. Je ne la supplierai pas de rester. Est-ce le cas, à rager comme je le fais ?
— Nikki ?
Je me contente de lever la main vers elle, signe qu'elle ne doit pas s'approcher. Elle ne le comprend pas et continue dans ma direction à petit pas. Plus elle élimine de la distance et plus je grince des dents, contractant ma mâchoire à m'en faire mal. Les sourcils froncés, je lui lance un regard meurtrier.
— Nikki, s'il te plait.
Je fais un pas dans sa direction, je tremble de colère.
— Tu...
— Je ? Je quoi ?
Ses yeux brillent d'une inquiétude qu'elle ne peut cacher.
— Tu n'es pas mieux que Maddy. Une connasse d'égoïste.
Sous mes mots, elle devient livide. Je continue d'avancer dans sa direction, menaçant.
— Une putain de connasse égocent...
Je n'ai pas le temps de finir ma phrase que du revers de sa main, elle me gifle. Larmoyante, elle se précipite vers l'entrée de sa maison sans se retourner.
"Promets-moi que tu ne me laisseras pas. Promets-moi que toi et moi, on rira encore de nos conneries quand nous serons vieux. Promets-moi de ne jamais m'oublier. Promets-moi d'être présent dans les bons et les mauvais moments", nous nous étions engagés tous les deux à une époque. Une sorte de sermon récité par deux mômes inséparables.
Jusqu'à maintenant.
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