Chapitre 18 : Victor
Elle est là. Elle est dans ce coffret en bois qui est joliment poli, vernis avec soin. Elle est là, parmi nous, elle surplombe l'assemblée en silence.
Les gens ont déposé quelques gerbes de fleurs, certaines plus grandes que d'autres. Une jolie plaque se dresse sur le milieu, elle est en pierre, un petit oiseau fait mine de s'envoler. Les fines lettres noires en italique rajoutées sur le dessus forment: "A ma fille". La pierre est grise, parsemée de petits grains noirs. Elle n'est ni carré, ni ronde. Les bords sont courbés sans pour autant former un angle rond. Les fleurs sont tristes. Elle gardent en elles le secret du message qu'elles transmettent. Ce sont presque toutes les mêmes, de funestes chrysanthèmes que l'on retrouve, chaque année, dans la vitre triste des fleuristes durant la période de la Toussaint. Tous les ans, elle criait de rage devant ces bouquets qu'elle trouvait hideux. Je me demande comment elle réagit en ce moment.
Est-ce qu'elle pense, tout simplement ?
Si c'est le cas, le seul bouquet illuminé par la raie discrète que produit le plus grand vitrail de l'église, doit lui redonner un peu de joie. Olle, Emile, Rose-Evi et moi, ou enfin nos parents, nous sommes cotisés pour lui acheter une fleur de chaque sorte, chez la fleuriste, installée à l'angle de la rue où se trouve le lycée. Il est grand, c'est le plus coloré et le plus gros. C'est notre marque, notre baiser.Je me souviens de la vendeuse décontenancée lorsqu'on le lui a demandé. Elle voulait ajouter quelques feuilles et ne garder que deux ou trois variétés afin de rester "unis". Nous avons refusé avec force et elle s'est résignée à le former, sans demander pourquoi.
Elle est là, allongée dans ce coffret de bois. La corps sagement étendu sur une planche pour toujours. Ses jambes maigres seront à jamais posées l'une contre l'autre comme le croque-mort l'a fait avec attention, je l'espère.
Je n'entends pas le prêtre énoncer les quelques prières d'adieu. Je ne vois pas Emile se tendre à côté de moi, car mes yeux sont rivés sur le cercueil, sur les fleurs et la raie de lumière qui est émise par le ciel qui pleure quelques paillettes givrées, renvoyant les rayons du soleil qui se fichent bien de savoir si Elyhna est toujours en vie, ou non. La seule chose qui lui importe est la quantité d'hydrogène ou d'oxygène qui se trouve autour de lui. Mais nous, en tant que petites fourmis habitant sur un petit rocher pollué en gravitation dans l'espace, nous ne sommes rien. Rien d'autre que de petits grains de poussières d'étoiles en mouvement. Et, de notre naissance à notre mort, nous ne serons jamais rien d'autre.
Et elle est là, et je pleure à l'idée qu'elle se trouve ici dans cette boîte à me demander ce qu'elle pense tout en sachant qu'elle est simplement inerte et dépourvue de réactions chimiques qui, autrefois, la faisaient vivre.
Aujourd'hui, elle n'est plus rien. Elle redevient la poussière qu'elle a été. Et toutes ces pensées me font pleurer parce que personne, sur cette planète, ne peut se prévaloir d'être quelqu'un. Il fait froid, soudain, dans l'église, tout comme à l'intérieur de mon coeur. Le mélange amer de la tristesse et de la colère se loge dans mon ventre.
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