La soirée

Il y a les boissons, les bonbons et les repas. Ce sont mille et une tentations auxquelles je ne céderai point. J'ai déjà fait tellement de chemin. Je vois enfin un corps qui ressemble à quelque chose, il n'est pas encore beau mais il le deviendra ; je ne laisserai pas mourir mes efforts dans mes jambes trop lourdes. Voilà quelques semaines que j'ai commencé le jeu qu'Emile m'a présenté. J'ai compris les règles, mais le site ne me plaisait pas tellement, je ne me sentais pas comme ceux qui étaient là, qui participaient activement. Alors j'ai créé mes propres règles, elles me conviennent et chaque étape est un accomplissement fabuleux. Elles me rapprochent toujours plus de mon objectif final. C'est compliqué de tenir, ça me met en rogne. J'en veux au monde entier de me poser de la nourriture sous les yeux, et même si je feins de ne pas avoir faim, mon ventre hurle qu'il a besoin de quelque chose. Mais je le fais taire avec des sourires et des verres d'eau. J'ai ma longue liste de mensonges tout faits, certaines habitudes que j'ai prises pour leur cacher la vérité, leur cacher que je ne mange pas et que je m'épuise à faire du sport. C'est mon jeu, mes règles et je suis la seule à savoir ce qu'il faut faire pour y arriver.

Ce soir, je suis en colère. Je regarde les bonbons sur la table, je voudrais les dévorer mais je sais que je n'aurai aucun plaisir en les mangeant. Ce plaisir, celui de remplir mon estomac, me semble tellement sale, comparé à celui qui vient lorsque je n'ai pas mangé.

Fatiguée par cette lutte, je retire mes chaussures et commence à danser pour oublier que j'ai mal, que je ne vais pas bien. Je veux oubllier que 100g de ces petites choses représente au minimum 371 calories. Soit l'équivalent de ce que j'ai mangé aujourd'hui. Je ne veux pas tout gâcher avec, seulement, une bouchée. Alors je danse tristement, en défoulant toute ma rage dans mes mouvements. Je sais qu'ils me regardent et qu'Olle va venir me rejoindre. Mais, pour le moment, je dépense toutes les calories que j'ai avalées aujourd'hui en dansant ; pendant que le monde autour de moi tourne comme un manège infernal. Je ferme les yeux et me concentre sur la musique pour oublier les abeilles qui sussurent à mon oreilles des chants ennivrants. Je jette une jambe, balance un bras sans me demander qui me regarde.

Ce soir je veux être heureuse. Je veux oublier le jeu et tous les regrets qu'il m'apporte lorsque je céde lâchement à ces délicieuses tentations qui ne me font aucun effet. J'ai déjà perdu, j'en suis à la dixième étape et le bonheur que cela me procure frôle l'interdit. C'est ça en fait. C'est un plaisir interdit. Mais j'aime ça ! Même si je pleure parfois, parce que j'ai faim. Je meurs de faim mais je dirai à tout le monde que j'ai trop mangé ce midi ou que je suis nauséeuse. Mais tout doit sortir de ma tête pour le moment, car, lorsque mon ventre crie trop à la faim, je hurle sur les gens parce que c'est la seule chose qui calme cette boule de colère qui est en moi. Je ne sais pas comment la calmer autrement, car elle me mange de l'intérieur. Alors, ce soir, je danse et j'accepte qu'Olle m'embrasse devant les autres car ce soir, j'ai besoin de vivre, juste pour un jour. J'ai besoin d'être quelque chose parmi ces constellations d'étoiles.

Donc, je bouge mon corps pour échapper à cette colère qui me dévore tout entière.