Attente (1ère partie)
Je me conformais aux prescriptions du Professeur. « Laissez-le agir à sa guise », avait-il dit. Bon, je le laissais. J'évoluais à ses côtés en gardant le sourire. Je n'évoquais plus le passé. Je me tenais à sa disposition comme un fruit sur un arbre qui attend d'être cueilli. J'espérais juste que sa « guise » ne mettrait pas vingt ans pour procéder à la cueillette.
Un soir, notre fixe sonna. Je décrochai et entendis une voix familière demander à parler à Damien. Je connaissais cette voix mais je ne la reconnaissais pas.
— C'est de la part ?
— Olivier.
— Olivier ?! Ça alors, quelle surprise ! Comment as-tu eu notre numéro ?
Ma question n'avait strictement aucun intérêt. Nous étions dans l'annuaire.
— J'ai croisé ta belle-mère au marché qui m'a raconté, Damien, son accident, sa mémoire... Elle m'a suggéré de l'appeler pour l'aider...
Une suggestion de belle-maman ! Je ne sais pourquoi, mes voyants Alerte passèrent au rouge.
Olivier avait été le meilleur ami de Damien lorsqu'ils étaient adolescents. Compagnons des quatre cent coups, leur amitié était solide et semblait éternelle. Pourtant, elle avait fini par s'effilocher. Le responsable ? Ma relation avec Damien. Il n'y avait pas eu de rupture brutale entre eux. Simplement, leurs liens s'étaient effrités : le temps réservé à notre couple avait de plus en plus empiété sur le temps consacré à leur tandem. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus l'espace suffisant à la culture d'une amitié.
Avant de sortir avec Damien, j'avais bien aimé Olivier. Il possédait, comme Damien, cet air du jeune fauve n'aimant rien tant que chasser. Il circonscrivait sa future proie de regards pleins de certitude sur l'issue de la partie. Des regards magnétiques. De ceux qui m'ont toujours fait frémir. Ô la puissance de certains regards d'homme ! Capables de me ravir, de me faire chavirer, d'irradier toute ma chair d'ondes et de frissons ! Capables d'aspirer le monde et de le réduire dans deux prunelles ! Capables de figer les alentours et d'être les seuls réceptacles de la vie, de son intensité !
Olivier avait aussi en commun avec Damien une bouche aux contours et au volume faits pour la tentation de les baiser. Et cette tentation maintes fois je l'avais eue : venir effleurer ces lèvres, les butiner, les mordiller, les mignoter, les savourer... J'étais sûre qu'il devait bien embrasser. Pas comme ce garçon, avant Damien, qui me raclait littéralement les amygdales avec sa grosse langue balourde. Ni comme cet autre qui, une fois nos bouches entrouvertes, jouait les tambours de machine à laver. Beurk ! Ces deux flirts-là n'avaient pas duré plus que quelques minutes. Impossible de faire autrement. Allez proposer à un amateur de vins fins du gros rouge qui tâche, il préférera s'abstenir de boire. Idem pour moi : le baiser relevait des délices les plus raffinés, j'aimais en explorer toutes les nuances, des plus délicates aux plus fougueuses. Pas question de laisser un sagouin me saboter ces instants de pur plaisir.
Aussi, est-ce sans réticence particulière que je passai le combiné à Damien. « C'est Olivier, ton grand copain d'adolescence », lui précisai-je, ne sachant pas si Olivier faisait partie ou non des oubliés, comme moi. Damien s'empara du téléphone avec une joie manifeste. Cela faisait longtemps que je ne lui avais pas vu une telle félicité spontanée. Peut-être est-ce ce changement d'expression sur son visage qui fit naître mes premières inquiétudes. Ou l'idée que la reine-mère pouvait avoir ourdi un nouveau coup de Jarnac. A moins que ce ne fut leur conversation même : après avoir échangé en quelques phrases l'essentiel des informations sur les dernières années de leur vie, ils parlèrent comme deux personnes ayant interrompu leur dialogue la veille. Comme avec un cousin germain que l'on peut n'avoir pas vu depuis des années et avec lequel on retrouve immédiatement familiarité et complicité. J'écoutai Damien s'esclaffer de rire avec des sentiments mélangés. Une pointe de jalousie n'était sans doute pas absente. Damien et moi étions bien loin d'avoir renoué nos liens d'antan, comme au sortir d'une simple hibernation. Depuis quatre mois, j'avais plus l'impression que nos existences étaient juxtaposées. Parallèles. Désunies. Pas jointes, ni entremêlées, encore moins fusionnelles. Désaccordées. Désarticulées l'une de l'autre.
A la fin de leur discussion, Damien invita Olivier à passer le voir dès que possible. C'était la première invitation qu'il lançait de sa propre initiative depuis son accident.
Le lendemain, quand vers vingt heures notre sonnette retentit, je me doutai qu'elle annonçait la visite d'Olivier. J'allai lui ouvrir.
— Olivier, entre, ça me fait plaisir de te revoir !
C'était vrai. J'étais contente de le revoir. La suite me fit rapidement déchanter.
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