39- Valentin

J'arrivai devant la porte du prochain cours. Le fameux cours du vendredi soir...

J'étais seul. Je poussai un profond soupire de lassitude qui résonna dans le couloir.

- Waouh, tout ça ?!

Je sursautai et me retournais pour faire face à celui qui venait de me parler. Baptiste, assis par terre, ses cheveux flamboyants et ses bourrelets faisant comme une bouée autour de lui. Il me fixait de ses yeux couleur noisette.

J'allais sortir une réplique cinglante comme je savais si bien le faire quand le rouquin me coupa dans mon élan :

- Est-ce que... tout va bien ?

Je fronçai les sourcils.

- Bien sûr, pourquoi ça n'irai pas ?

Si il pouvait un peu se mêler de ses affaires, Poils de carotte, ça m'arrangerait...

Baptiste haussa ses épaules.

- Ce genre de soupir, quand on croit que personne ne nous entend, je les connais...

Une boule se forma dans ma gorge malgré moi. Je serrai les dents et les poings.

Baptiste dû remarquer ma tension car il leva les mains en l'air en disant :

- Écoute, si tu ne veux pas en parler, pas de soucis. Fais comme si je n'avais rien dit, fais comme si je n'étais pas là.

- Sauf que, maintenant, je sais que t'es là...

Le rouquin soupira d'exaspération puis se leva pour se mettre à ma hauteur, quoi qu'il devait mesurer au moins dix centimètres de moins que moi.

Il planta son regard dans le mien d'un air dure. Il avait l'air sûr de lui. Tout le contraire du Baptiste du début d'année qui se recroquevillait sur lui-même à chaque insulte que je lui lançais.

- Oui, c'est vrai, je suis là. Et je pourrais t'aider si seulement tu mettais un peu ta fierté mal placée de côté.

J'ouvris la bouche mais la refermais aussitôt. Je me sentais con.

- C'est à cause de Sara et Ulysse ?

Je haussai les épaules.

- Y a peut-être un peu de ça, oui...

En vérité, j'étais vraiment content pour le nouveau couple. Sara était avant tout ma meilleure amie et la voir comblée de bonheur me rendait heureux. Mais je ne pouvais empêcher la pointe de jalousie qui serrait mon cœur à chaque fois que je voyais Sara dans les bras de Ulysse.

- Mais pas que, n'est-ce pas ?

Je serrai les dents. Baptiste le remarqua et leva à nouveau les mains en l'air :

- Dis moi si je vais trop loin dans mes questions.

- Tu vas trop loin dans tes questions. je grognai.

Il leva les yeux au ciel.

- Très bien, je m'arrête.

- Tu arrêtes quoi ? dit une autre voix.

Mon cœur rata un battement. C'était Philippe qui s'était avancé discrètement vers nous.

- Rien qui te concerne. je lâchais.

Le motard me fixa en haussant les sourcils.

- Ah ouais, d'accord. Bonjour à toi aussi.

- Ah... euh... pardon je...

- Ça va, je déconne, détends toi !

Il me mit une grande claque dans le dos. Je grimaçai.

Philippe se tourna vers Baptiste quand celui-ci le questionna :

- Alors ? T'as des nouvelles de Jacinthe ?

Toute la joie de vivre du jeune homme se dissipa en une seconde. Je remarquai qu'il avait l'air fatigué. Enfin... encore plus fatigué que d'habitude. Comme nous tous, il cachait sa peine derrière un sourire factice...

- Elle est chez elle, elle se repose. Son père ne lui a pas adressé la parole depuis son retour...

Un silence s'abattit entre nous après cette annonce.

Jacinthe était tombé dans les pommes la vieille et avait fini à l'hôpital. Philippe nous avait annoncé, sur le groupe Instagram, qu'elle allait mieux mais qu'il fallait qu'elle se repose et qu'elle suive une thérapie. Il n'avait pas été plus précis car il jugeait que c'était à elle de nous en parler si elle le voulait.

Dans un instant de flottement, je me mis à observer Philippe. Ses cheveux étaient, comme à leur habitude, ébouriffés sur son crâne, des cernes pochaient ses yeux noirs brillants d'une lueur las, comme s'il n'avait pas dormi depuis des jours. Pourtant, quand le jeune homme souriait, je ne voyais plus ses défauts, seulement l'éclat qui illuminait ses pupilles.

Je détournai les yeux, remarquant que je le fixai beaucoup trop intensément pour qu'il ne s'en rende pas compte. Je croisai le regard de Baptiste qui haussa un sourcil.

- Salut tout le monde ! s'écria la voix de Sara à l'autre bout du couloir.

Elle avançait vers nous, main dans la main avec Ulysse.

Et, derrière eux, M. Renoux courait pour ne pas arriver en retard. Son crâne chauve luisait sous les lumières du couloir. Il dépassa le couple en trottinant et arriva devant la porte de la salle, essoufflé mais avec un grand sourire.

- Bonjour, les jeunes !

Sara et Ulysse arrivèrent à notre hauteur et répondirent en cœur avec le même sourire :

- Bonjour monsieur !

Leur bonne humeur contrastait vraiment avec l'humeur maussade qui régnait entre Baptiste, Philippe et moi.

Le prof ouvrit la salle et nous fit signe d'entrer. J'arrivai dans la pièce en dernier, clopin-clopant avec mes béquilles. J'avais hâte qu'on m'enlève ce maudit plâtre, ça aussi, ça jouait sur mon humeur...

Je m'installais sur la place à côté de Philippe, timidement. Cette place aurait dû être celle de Jacinthe si elle avait été là... Je le sentis dans le regard indéchiffrable que le jeune motard posa sur moi. Un frisson me parcourut le dos.

- Ah, les jeunes, que ça me fait plaisir de vous voir avec le sourire !

Je regardai les personnes autour de moi. Tout le monde souriait plus ou moins dans la salle et je supposais que moi aussi. J'avais tellement appris à faire de faux sourires que je ne m'en rendais même plus compte...

Les seuls sourires sincères dans cette pièce étaient ceux du prof, de Ulysse et de Sara. Peut-être aussi celui de Baptiste mais je n'en savais rien. J'avais beaucoup de mal à cerner le rouquin...

Soudain, M. Renoux fronça les sourcils.

- Mais, il manque quelqu'un ? Où est passé Jacinthe ?

Il s'était tourné vers Philippe en posant cette question. Celui-ci baissa la tête et murmura :

- Elle est un peu malade, c'est tout.

Le prof ne rajouta rien et garda un instant le silence. Puis, brusquement, il se tourna vers moi.

- Valentin, c'est à ton tour de dire ce que tu aimes et n'aimes pas chez chacun d'entre nous, y compris Jacinthe même si elle n'est pas là.

Je serrai les dents. Je pensais qu'il avait oublié cette manie de début de cours depuis les vacances. Je m'étais visiblement trompé... Voyant ma réticence, le chauve soupira :

- Valentin, tout le monde va passer par là...

- Bon, ok, j'y vais.

Plus question de faire une crise comme je l'avais fait au début de l'année. Il n'y aura plus Sara pour me proposer un rencard pour me calmer...

- Bon, je vais commencer par Jacinthe... chez elle j'aime beaucoup... son humour. Je me rappelle, en seconde, on était assis à côté en histoire et on rigolait bien ! Par contre, je n'aime pas son teint maladif, on dirait qu'elle est mourante, ça fait flipper...

Je sentis le regard noir de Philippe me brûler la joue avant même de croiser son regard. Il avait les bras croisés autour de sa poitrine et me fixait comme s'il avait envie de me tuer...

- Hum... enfin bref... Sara !

Je m'approchai de ma meilleure amie qui me sourit.

- Sara, tu es ma meilleure amie. J'aime pratiquement tout chez toi...

Cette fois-ci, c'est Ulysse qui me regardait comme si il avait envie de commettre un meurtre.

- J'aime tout chez toi sauf quand tu es bourré et que tu sautes sur tout les mecs qui bougent.

La belle baissa les yeux, le rouge aux joues.

Je me tournai ensuite vers Ulysse.

- Ulysse j'admire ton courage. Se taper des insultes à longueur de journée et ne pas craquer, je ne sais pas comment tu fais.

Ulysse ricana. J'avouais être hypocrite en disant ça car, la plupart des insultes qu'il recevait venaient de moi...

- Et ensuite, je n'aime pas...

Je ne pouvais certainement pas dire : "je n'aime pas le fait que tu m'ais volé Sara" ou encore : "je n'aime pas ta cicatrice qui rend ton visage immonde"...

- Je n'aime pas la manière dont tu t'habilles.

Je ne développais pas d'argument car, en réalité, je me fichais pas mal de la manière dont il s'habillait.

- Baptiste... j'aime ton évolution. Je ne sais pas trop ce qu'il s'est passé pendant tes vacances mais tu as gagné une véritable confiance en toi. Par contre, je n'aime pas ta façon de te mêler des affaires des autres...

Le rouquin hocha la tête avec un demi sourire.

- C'est noté.

Je me tournai ensuite vers Philippe qui me fixait intensément comme s'il me mettait au défi de trouver un truc que j'aimais bien chez lui.

La chose qu'il ne savait pas c'est que j'avais passé pratiquement toutes mes vacances à regarder ses photos Instagram et, après qu'il m'ait embrassé à la soirée de Sara, j'en avais rêvé toutes les nuits jusqu'à maintenant...

Je pouvais très bien dire que j'aimais la manière dont il embrassait, ça le mettrait au moins un peu mal à l'aise. Mais, je crois que je n'étais pas encore tout à fait prêt pour ça... Je dis donc, simplement :

- Philippe, j'aime beaucoup ton charisme de motard.

Je me mordis la langue. Cette affirmation sonnait étrangement à mes oreilles.

Les yeux noirs du jeune homme s'illuminèrent, même si aucun sourire n'apparut sur ses lèvres.

- Je n'aime pas ton obsession pour les dauphins.

Un silence suivit cette phrase puis, d'un même élan, tout le monde éclata de rire, même le concerné.

Je souris bêtement en me grattant la nuque, légèrement gêné. Puis, je repris ma place à côté du jeune motard.

- Parfait Valentin, parfait ! s'exclama M. Renoux.

Puis, il s'adressa à tout le monde :

- Bon ! À qui le tour de nous raconter son histoire ?

Je me détendis. J'étais déjà passé donc je n'avais plus rien à craindre.

J'étendais mes jambes pour m'étirer et me cognais malencontreusement dans celles de Philippe. Je me rendis alors compte que j'étais littéralement tourné vers lui et que ce geste semblait, pour lui, être volontaire.

Il me fixa avec le même regard intense que tout à l'heure. Je ne pus que me détourner pour lui tourner le dos pour ne pas affronter son regard. Je me concentrai sur le prof et sur Baptiste qui avait décidé que c'était à son tour de nous raconter son histoire. Mais je sentais encore le regard brûlant de Philippe me transperser la nuque.

- Alors voilà, je vis dans une famille recomposée où j'ai vraiment eu du mal à trouver ma place. Tout a commencé quand mes parents se sont séparés car mon père était tombé amoureux d'une femme plus jeune que ma mère. Cette femme, Florence, a un fils qui est plus âgé que moi de un an, Grégory. Et puis, cette femme et mon père ont eu une autre fille, Roxane. Et, chaque vacances, je me retrouve dans cette famille et j'ai l'impression d'être un étranger.

Il marqua une pause, hésita quelques instants puis, continua :

- Ma mère a eu du mal à se remettre de cette rupture, elle a beaucoup pleuré. Et, moi, au milieu de tout ça, je sentais que je perdais le contrôle et... j'ai parfois des crises de boulimie intense à cause du stress.

Le rouquin me fixa, ses yeux brillants de colère. Je me sentis coupable de l'avoir traité de cachalot, de baleine ou d'autre sobriquet de gros animaux.

- Et puis, là, y a pas longtemps, ma mère m'a annoncé qu'elle avait rencontré un homme qui avait une fille de mon âge et qu'ils venaient s'installer chez nous. Je... je n'ai rien dit à ma mère parce que j'aime la voir heureuse mais, j'ai vraiment du mal avec cette fille et cette fille a vraiment du mal avec moi... Mais, on a décidé de faire un effort, pour nos parents. Voilà voilà, c'est tout pour moi !

Il se mit à fixer ses pieds, ne voulant croiser le regard de personne.

- Merci, Baptiste, de nous avoir partagé ton histoire.

Ce n'était pas comme si on avait le choix...

À ce moment là, la sonnerie de fin du cours retentit. J'allais me lever mais le prof me coupa dans mon élan :

- Je suis fier de vous, les enfants. Je ne sais pas si vous l'avez remarqué mais vous avez bien évolué depuis le début de l'année !

En disant cela, il me regardait avec insistance.

— Je suppose que vous avez hâte de partir en weekend donc je ne vous tiens pas plus longtemps. Vous pouvez y aller, et à vendredi prochain !

Nous nous levâmes et nous précipitâmes d'un même geste vers la sortie.

Je clopinais dans le couloir derrière les autres. Nous sortîmes du lycée et Philippe alla rejoindre sa moto qui était toujours garée au même endroit, sous un grand platane.

Je le regardais mettre son casque sur sa tête, enfourcher sa moto puis démarrer et sortir de l'enceinte du lycée. Je soupirai.

— T'en pince pour Flip en fait !

Je sursautai. Moi qui pensais être seul, non, Baptiste avait surgit à mes côtés. J'ouvris la bouche et n'arrivai qu'à sortir une bouillie de baigaiements ce qui confirma à Baptiste qu'il avait raison.

— Ah mais je comprends mieux ton soupir de tout à l'heure ! En fait, t'es complètement perdu ! Tu as des sentiments pour deux personnes diamétralement opposées et, en plus, ça doit être la première fois que tu ressens ce genre d'attirance pour un mec !

Je serrai les dents. Il avait totalement raison. Comment faisait-il ? Il lisait dans les pensées ou quoi ?

Le rouquin mit soudainement ses deux mains contre sa bouche comme pour se faire taire lui-même.

— Désolé… c'est plus fort que moi.

Je haussai les épaules.

— Je suppose que, maintenant que tu sais tout, tu vas pouvoir me conseiller.

Les yeux noisette du garçon brillèrent d'une lueur interrogative. Je continuai donc :

— Comment je fais pour gérer ça ?

— Premièrement, Sara et toi ce n'est plus possible vu qu'elle est avec Ulysse… donc tu dois mettre ses sentiments là de côté. Je sais que ça doit être plus facile à dire qu'à faire mais, Sara est ta meilleure amie et tu veux la voir heureuse, n'est-ce pas ? Donc tu l'oublies.

— Et comment je fais ça ?

Il me répondit du tac au tac :

— Tu t'éloignes un peu d'elle pour te recentrer sur toi. Mais avant ça, tu lui en parles pour qu'il n'y ai pas de quiproquo entre vous.

Un silence plana entre nous le temps que j'intègre tout ce que Baptiste disait. Puis, celui-ci continua :

— Deuxièmement, pour le cas de Flip, c'est très simple. Il est célibataire lui aussi, tu sais ? Donc tu n'as cas l'inviter à sortir, il te dira oui ou non et, comme ça, tu seras fixé !

Je fronçai les sourcils. Est-ce que Baptiste se rendait compte de ce qu'il était en train de dire ?

— Y a pas si longtemps, on se détestait lui et moi, tu te rappelles ?

Le rouquin leva les yeux au ciel.

— Oui, bien sûr. Mais regardes où vous en êtes aujourd'hui. Et je suis sûr que votre réconciliation peut aller beaucoup plus loin que ça, si tu vois ce que je veux dire.

Il rejouta un clin d'œil à la fin de sa phrase. Je soupirai :

— Je ne sais pas si j'oserai…

— Toi, Valentin la grande gueule, tu n'oseras pas ?! Pourtant, avec Sara…

— C'était différents !

— Pourquoi ? Parce que Flip est un mec ?

— Oui, mais pas que… je suis persuadé qu'il me déteste toujours, au fond…

— Il n'y a qu'une manière de le savoir, Val, il faut que tu lui parles. Je sais que je me répète mais, la communication c'est la base de tout.

Il posa sa main sur mon épaule avec un petit sourire.

— Enfin bref, je vais y aller.

J'ouvris la bouche pour parler mais il me coupa, comme s'il avait lu dans mes pensées :

— Oui, ne t'inquiète pas, cette discussion reste entre nous.

Il me tapota l'épaule en guise d'au revoir et prit le chemin de chez lui.

Je le regardais s'éloigner, soudainement épuisé. Mais, je savais que le rouquin avait raison. Il fallait que je parle aux deux personnes qui faisaient battre mon coeur. Il fallait que je fasse les choses bien, pour une fois.

Le seul problème c'était que je ne savais si j'en étais réellement capable…

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