37- Philippe

J'étais au restaurant. Je faisais la plonge. On était mercredi soir, il n'y avait pas grand monde. Le service était terminé et Ulysse m'attendait, assit sur le comptoir. Ses yeux noisette brillaient de joie tandis qu'il me disait :

— Je te jure, Flip, j'ai l'impression de vivre un rêve ! Ça fait deux jours qu'on est ensemble mais je n'arrive toujours pas à croire que c'est réel !

Je souris tout en mettant le dernier bac de vaisselles salles dans la fameuse machine à plonge. J'étais heureux pour mon ami. L'amour entre Sara et lui semblait si réel et pure. Je ne l'admettrai jamais mais, ça me rendait un peu jaloux...

J'enclenchai la machine et un boucan abominable résonna dans la cuisine. Ulysse se boucha les oreilles, un grand sourire illuminant son visage brûlé.

Une fois que la machine eut finie, je sortis le bac et commençai à ranger la vaisselle. Cela faisait à peine deux jours que j'avais commencé à travailler et tout était déjà devenu un automatisme.

— Au fait, depuis quand vous êtes amis, toi et Val ?

Je haussai les épaules.

— J'avais décidé de me reprendre en main cette année... et ça a été un échec à cause de Valentin. Du coup, je me suis dis que si je repars sur de bonnes bases avec lui, tout ira mieux.

— Oh, je vois. Sois proche de tes amis, encore plus de tes ennemis, c'est ça ?

— En quelque sorte.

La discussion se termina ainsi. J'avais fini de ranger la vaisselle. Ulysse sauta sur ses pieds, déjà prêt à décamper. J'enlevai ma tenue de plongeur à la va-vite et la rangeai dans le placard prévu à cet effet. 

Je rejoignis Ulysse à la sortie du restaurant en faisant un signe de main à Karine, la chef du fast food. Dehors, mon ami au visage brûlé respira un bon coup avant de se tourner vers moi :

— Bon, ben on se voit demain au lycée !

Il fit mine de prendre la route de chez lui en enfonçant ses mains dans les poches de sa veste. 

— Tu veux que je te raccompagne ? 

Il se tourna vers moi, un peu hésitant :

— Je ne préfère pas... C'est dangereux et, en plus, tu n'as pas de deuxième casque...

Je haussai les épaules.

— Je peux aller en chercher un vite fait, j'habite à 5 minutes de là !

Je vis tout son corps se crisper et je sus tout de suite que je n'aurai pas dû insister. Je secouai la tête et déclarai, pour éviter tout malaise :

— Ok, c'est bon, je te laisse tranquille ! Il commence à faire froid, je vais rentrer !

Il hocha la tête. Il avait l'air soulagé que je ne pose aucune question sur son comportement. Il me fit un signe de la main tandis que je mettais mon casque et enfourchai ma moto.

Nous repartîmes donc, chacun de notre côté avec un dernier signe de la main.

***

Le lendemain, je n'entendis pas mon réveil sonner. Et, comme Jacinthe n'était plus là pour me réveiller en me jetant un oreiller dans la figure, j'émergeais de mon sommeil cinq minutes avant le début du cours d'économie.

— Meeeerde !

Je me précipitai hors de mon lit, enfilai le jean et le T-shirt de la veille et allai me brosser les dents à la va-vite. Je regardais à nouveau l'heure. Les cinq minutes s'étaient écoulées, le cours venait de commencer.

— Merde...

Je soupirai, vaincu. J'allais encore devoir essuyer les reproches d'un prof... Mais, cette fois-ci, je ne l'avais pas fait exprès.

Je sortis de chez moi, mon casque sous le coude et, après l'avoir enfilé, j'enfourchai ma moto et démarrai.

J'arrivai au lycée cinq minutes plus tard avec une envie sévère de sécher l'économie. Mais, il fallait que je participe à ce cours, je le sentais au plus profond de moi. J'avais un mauvais pressentiment.  

Je pris donc le chemin de ma salle de cours en courant et entrai dans la pièce en oubliant de toquer. Tous les regards se tournèrent vers moi. Je parcouru la salle des yeux et, quand j'aperçu Jacinthe, assise au fond, je me sentis rassuré. 

Je bafouillai des excuses inaudibles à l'adresse de la prof et allai rejoindre ma meilleure amie, qui avait l'air encore plus pâle que d'habitude.

La prof leva les yeux au ciel et reprit son cours tandis que Jacinthe me murmura :

— J'ai cru que tu n'allais pas venir...

— Je n'ai pas entendu mon réveil. 

Elle leva les yeux au ciel et reportant son attention sur le cours. Je fis de même, le souffle toujours court d'avoir courut.

L'heure d'économie passa assez vite sans que rien d'inquiétant ne se passe. Je me demandais donc pourquoi j'avais eu ce mauvais présentiment ce matin, en me réveillant. 

Quand la sonnerie retentit, tous les élèves se levèrent dans un brouhaha impressionnant et quittèrent la pièce d'un même pas. Je ne fis pas exception mais remarquai vite que Jacinthe était à la traîne.

Je me tournai vers elle et la regardai avancer vers la porte les yeux fermés et en se tenant aux bureaux devant elle. Je fronçai les sourcils :

— Euh... tout va bien, Jasse ?

— Oui, oui, ne t'en fais pas pour moi... j'ai juste un peu... la tête qui tourne...

Arrivée à la porte, elle ouvrit les yeux et me fit un sourire qui se voulait rassurant.

— Tu vois, tout va bien ! Aller, allons rejoindre les autres dans la cours !

Son entrain avait quelque chose de faux, je le sentais au plus profond de moi.

— Tu... tu es sûre ? Tu es encore plus pâle que d'habitude...

Elle leva les yeux au ciel sans rien répondre et prit le chemin de la cours de récréation sans m'attendre. Je courus pour la rejoindre et elle me lança un regard noir. Je compris tout de suite qu'il fallait que je me taise.

Nous arrivâmes donc dans la cours dans un grand silence entrecoupé par le bruit provoqué par les autres élèves.

Un peu plus loin, sur un banc, je vis Baptiste nous faire de grands signes. Il était en compagnie de Ulysse et Sara qui se bécotaient et de Valentin qui les fixait d'un drôle d'air. Je souris malgré moi en voyant la scène.

Nous traversâmes donc la cours pour les rejoindre, toujours dans un silence de plomb. 

— Salut, tout le monde ! m'exclamai-je d'un ton enjoué.

Jacinthe, quant à elle, se contenta d'aller s'asseoir sur le banc, à côté du nouveau couple qui avaient à peine lever les yeux vers nous. 

— Ils sont comme ça depuis le début de la récré, je n'arrive pas à les décoller... se plaignit Baptiste. 

Je souris en regardant les tourtereaux. 

— Je les trouve bien assortis, tous les deux !

— Mmm... grommela Valentin qui venait de rejoindre notre discussion. 

Le garçon n'aimait sûrement pas la nouvelle proximité entre Ulysse et sa meilleure amie, même si il disait le contraire. Après tout, il avait, lui aussi, un petit béguin pour Sara. En même temps, qui n'avait jamais eu un béguin pour Sara ?

Je décidai de changer de sujet et tournai l'attention des deux garçons vers Jacinthe. Celle-ci avait la tête plongé dans son téléphone.

— Les gars... je m'inquiète pour Jasse. Vous ne la trouvez pas plus pâle que d'habitude ?

Le rouquin se mit à fixer la fille aux longs cheveux blonds intensément. Valentin se contenta de hausser les épaules.

— Je ne sais pas... je n'ai pas remarqué. Elle toujours pâle non ?

— Oui, mais là, plus que d'habitude...

Une fois qu'il eut fini son observation attentive, Baptiste reporta son attention vers nous. Ses yeux brillaient d'une lueur inquiète. 

— C'est vrai, Flip, tu as raison...

Une boule se forma dans ma gorge. Si Baptiste confirmait ce que j'avais vu, cela voulait dire que je n'étais pas fou. Il y avait bien un truc qui se tramait chez Jacinthe. Mais pourquoi ne voulait-elle rien me dire ?

— Vous croyez que c'est grave ?

Encore une fois, Valentin haussa ses épaules. Baptiste posa une main rassurante sur mon épaule.

— Je pense qu'elle doit être juste fatiguée... Si quelque chose se passait dans sa vie, elle nous l'aurait dit, non ?

— Je n'en sais rien... Je pense que, même si on s'entend bien, on a tous nos secrets qu'on est pas prêt à dévoiler...

Bizarrement, le rouquin retira sa main comme si j'étais en feu et baissa les yeux. Ce qui prouvait bien que je n'avais pas torts. Même si, maintenant, on trainait tous ensemble, comme un groupe d'amis ordinaire, nous ne nous connaissions pas vraiment.

Mon regard dériva malgré moi vers Valentin. Celui-ci fixait encore le nouveau couple avec un air renfrogné sur le visage. Il soupira et tourna ses yeux verts vers moi. Je décidai de ne pas détourner le regard et de lui faire un sourire pour voir sa réaction. Il me rendit mon sourire, ses prunelles brillants d'une lueur de défi. 

Pris au dépourvu, je détournai les yeux, la gorge aussi sèche que le désert. J'avais perdu ce combat de regard et j'étais sûr que Valentin allait s'en vanter tôt ou tard. 

Soudain, la sonnerie retentit, signe qu'il était temps de retourner en cours. Jacinthe se leva du banc et rangea son téléphone dans sa poche. Elle me fit un signe de tête pour me dire de la suivre, elle salua les autres de la main toujours sans rien dire et prit le chemin de notre prochaine salle de cours. 

— Bon, ben salut tout le monde, on se voit à la cantine !

Je courus pour rattraper Jacinthe.

— Eh, Jasse, attends moi !

Elle continua en gardant la même allure. Elle me faisait toujours la tête ?

Nous arrivâmes à la porte de notre cours d'histoire. La jeune fille s'arrêta net, essoufflée. Sa respiration était sifflante. Elle chancela et, en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, elle se retrouva inconsciente, dans mes bras. Et je me rendis compte qu'elle aussi légère qu'une plume.

— Jasse ? Jasse ! Eh, oh, Jacinthe, qu'est-ce qu'il passe ?! 

Alerté par mes cris, la prof d'histoire et quelques élèves curieux, sortirent de la salle. Je me précipitai vers elle, tenant toujours ma meilleure amie dans mes bras. 

— Madame, je ne sais pas ce qu'il se passe ! Elle est tombée si soudainement... je...

Je sentis les larmes me monter aux yeux et mon cœur se serrer d'inquiétude. 

— Ne vous inquiétez pas, jeune homme, j'appelle tout de suite une ambulance. Posez la sur le sol et essayez de la réveiller.

J'obéis à la prof et déposai la pauvre jeune fille blonde sur le sol, le plus délicatement possible. Ensuite, je la secouai doucement pour essayer de la réveiller. 

— C'est bon, les secours sont en chemin. J'ai aussi appelé ses parents pour les prévenir.

Un frisson me parcourut le dos. Quelle allait être la réaction de son père ? D'après ce que Jacinthe m'avait dit, c'était un connard insensible...

Bientôt, une ambulance arriva et emporta Jacinthe. Je la regardais s'éloigner sur la route en me disant que je devrais faire beaucoup plus confiance en mon instinct. Il avait bien eu raison de me donner ce mauvais présentiment...

— Aller, jeune homme, il est temps de retourner en cours. Vous pourrez rendre vite à votre amie ce soir.

La prof d'histoire était resté à mes côtés pendant tout ce temps, je ne l'en remercierait jamais assez. 

Je hochai la tête et suivis la femme dans la salle, le cœur lourd.


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