34- Sara
Je me regardai dans le miroir avec effroi. Plus les jours passaient, plus je me trouvais immonde. Les mots de Ulysse résonnaient en boucle dans ma tête : "Tu es tout sauf attirante". Et il avait raison.
Mon reflet dans la glace me renvoyait l'image d'une pauvre fille morte de fatigue et complètement perdue. J'avais l'impression que mes cernes me faisaient des trous sous les yeux tellement elles étaient noires et profondes. Mes lèvres étaient atrocement gercées et j'avais eu une poussée d'acné pendant la nuit. Mes yeux bleus semblaient vides et ternes. J'avais l'impression d'être face à un mort-vivant...
Et pourtant, je n'avais plus envie. Je n'avais plus envie de mentir. Je n'avais plus envie de cacher qui j'étais vraiment sous une tonne de maquillage. Je n'avais même plus envie qu'on me trouve belle.
Je soupirai, résignée. Je ne pouvais pas sortir avec cette tête là. Les gens allaient se moquer de moi... Je ne ressemblais vraiment à rien, le changement allait être beaucoup trop radical.
Je m'emparai machinalement de mon fond de teint et commençai à me peinturlurer la figure, le vague à l'âme.
Une fois fini, le zombie avait disparu et avait laissé place à une belle fille aux grands yeux bleus innocents et au beau sourire rouge sang. Une femme fatale... Mais, même maintenant, je me trouvais horriblement laide. Les mots de Ulysse résonnaient en moi de plus bel. Tout ça pour quoi, finalement ? Pour rien, vu que le seul mec qui m'avait jamais intéressé me trouvait repoussante...
Une fois prête, je sortis de chez moi. Le bus passa juste au moment où j'arrivai à l'arrêt. Je montai à l'intérieur, le cœur lourd. Je m'avançai parmi les sièges occupés par des adolescents que je connaissais, pour la plupart. Pourtant, aucun d'eux n'étaient vraiment mon amis...
— Sara !
Je sursautai à l'entente de cet appel. Mon regard se posa sur la fille qui venait de m'appeler. Ses longs cheveux blonds comme les blés encadraient son visage fin et pâle. Elle me faisait un signe de la main et un sourire timide étirait ses lèvres minces. Jacinthe. Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu dans le bus...
Je m'avançais vers la jeune fille d'un pas qui se voulait assuré. Il y avait une place libre à côté d'elle. Je m'y installai.
— Comment ça va ?
Son ton était enjoué mais je sentis que quelque chose clochait. Elle en faisait trop pour paraitre heureuse... Mais, comme d'habitude, je fis mine de rien et répondit, du même ton qu'elle :
— Ça va super, et toi ?
— Ça va, ça va...
Jacinthe porta son attention sur la route. J'en profitai pour lui jeter un coup d'œil. Elle n'avait pas peur de se montrer au monde comme elle était vraiment, avec ses défauts. Elle était tout à fait naturelle et ça la rendait belle. Une pointe de jalousie me serra le cœur.
Le trajet de bus dura 15 minutes pendant lesquels je passais la plupart du temps à somnoler.
Je reçus soudainement un coup de coude dans les côtes et je sursautai.
— Oups, désolée. J'ai trop l'habitude de faire ça avec Flip quand il s'endort en cours... j'espère que je ne t'ai pas fais mal ?
— Non, au contraire ! Merci de m'avoir réveillé !
Elle fit un nouveau sourire timide en répondant :
— Pas de quoi.
En effet, le bus était arrivé à destination et je bloquai le passage à Jacinthe qui voulait sûrement sortir. Je me levais donc et sortis du bus, la blonde à ma suite.
Jacinthe me quitta pour rejoindre Baptiste qui était assis tout seul sur un muret devant la grille du lycée toujours fermée. Je les regardai quelques instants. C'était vraiment les deux opposés côté poids, l'une était trop mince, l'autre était trop gros...
Un rire strident me coupa dans ma contemplation. Caroline était encore en train de se faire remarquer avec les autres filles de son groupe. Je connaissais sa technique : rire fort et distinctement pour attirer le regard des garçons sur elle. Je faisais ça aussi, avant. Maintenant, je trouvais ça juste ridicule. Je levai les yeux au ciel et reportai mon attention sur Jacinthe et Baptiste.
Pendant mon inattention, ils avaient été rejoint par Philippe et Ulysse. Mon cœur se brisa en regardant ce dernier rire à gorge déployée avec ses amis.
— Hello ma belle Sara !
Valentin avait surgit à côté de moi sans que je ne le vois arriver. Pour une fois, je n'étais pas mécontente qu'il soit avec moi. Je lui fis un sourire qui se voulait joyeux mais, mon meilleur ami remarqua tout de suite que quelque chose n'allait pas.
— Ça va, Sara ? me demanda-t-il d'un ton inquiet.
Mon cœur se serra et je sentis les larmes me monter aux yeux. Je secouai la tête en reniflant. Je n'avais pas envie de me mettre à pleurer, comme ça, devant tout le monde. De plus, mon maquillage allait couler et je n'avais vraiment pas la foie de le refaire...
Pour faire comprendre à Valentin ce qui se passait dans ma tête, je fis un signe discret vers le groupe de Philippe.
Un silence me répondit. Le jeune garçon fixa le groupe quelque temps, comme perdu dans ses pensées. Enfin, il reporta son attention sur moi :
— Tu sais quoi ? Je pense que tu dois parler avec Ulysse.
Je fronçai les sourcils. Il se fichait de moi ? Il avait oublié ce qu'il s'était passé à ma soirée ou quoi ?
— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée...
— Détrompes toi ! Moi, j'ai...
Je le coupai, ne voulant pas écouter une nouvelle absurdité sortir de sa bouche :
— Le portail s'ouvre, j'y vais. Je ne veux pas être en retard.
Je me précipitai dans l'enceinte de l'établissement sans attendre Valentin et ses éternelles béquilles.
***
La cantine. Je ne voulais absolument pas manger seule. Avec chance, je croisai Valentin dans le couloir et lui demandai de m'accompagner. Le jeune homme accepta avec joie. Je le soupçonnais de ne pas avoir d'ami, lui aussi... On était nous deux contre eux tous, maintenant...
Nous nous dirigeâmes donc vers le bâtiment qui sentait bon la nourriture. Heureusement, grâce aux béquilles de mon meilleur ami, on nous laissa passer en priorité. Mais, malheureusement, comme on mangeait tard, il n'y avait presque plus de places pour s'asseoir.
— Et merde ! À quoi bon pouvoir passer en priorité si on ne peut même pas s'asseoir !
J'ignorai les plaintes de Valentin et jetai un regard circulaire à la cantine. Il devait bien y avoir deux places de libres quelque part !
C'est alors que mes yeux se posèrent sur un jeune homme qui secouait sa main vers le ciel comme pour nous dire de venir. Son sourire s'agrandit quand il vit que je l'avais aperçu. Je murmurai :
— C'est normal que Philippe nous demande de venir ?
— Oui ! Tu ne m'as pas laissé finir tout à l'heure. Je crois que, lui et moi, on a fait la paix.
— Comment ça, "tu crois" que vous avez fait la paix ?
Valentin haussa ses épaules sans répondre à ma question.
— Bref, allons-y.
Je le coupai dans son élan. Je venais de voir que le jeune motard était accompagné de toute sa clique, y compris Ulysse. Je ne pouvais pas y aller...
Valentin leva ses yeux vert au ciel.
— Sara, il faut vraiment que vous mettiez les choses au clair, Ulysse et toi. Ça ne peut pas rester comme ça, cette histoire ! Il y a forcément un malentendu !
— Non, il n'y a pas de malentendu ! Il m'a clairement dit qu'il me trouvait repoussante !
Mon ami secoua la tête en soupirant :
— Bon, écoute, fais ce que tu veux mais, moi, j'y vais.
Il s'éloigna de moi pour rejoindre le petit groupe. Il galéra un peu avec ses béquilles pour porter son plateau mais, fini par arriver à destination. Une boule se forma dans ma gorge. Si je venais avec eux, j'étais sûre que ma présence dérangerait Ulysse...
Je vis Valentin prendre place à leur table. Baptiste n'avait pas l'air très à l'aise en sa présence.
Soudain, comme si Valentin avait dit quelque chose à mon propos, tous les regards du groupe se tournèrent vers moi, même celui du garçon au visage atypique. Je me crispai face à cette soudaine attention.
Mon regard se plongea, malgré moi, dans celui, noisette, du garçon qui faisait battre mon cœur. Il ne détourna pas le regard et j'eus l'impression que mon pauvre cœur allait exploser.
Brusquement, une certitude me frappa la conscience. Valentin avait raison, je devais mettre les choses au clair avec Ulysse. Je devais comprendre pourquoi il avait réagit comme ça lorsque je l'avais embrassé. Je devais entendre de sa bouche, à nouveau, qu'il me trouvait repoussante pour pouvoir passer à autre chose.
Alors, je pris mon courage à deux mains et me dirigeai à mon tour vers la table de Philippe et ses amis, d'un pas qui se voulait assuré. Je pris un ton enjoué pour les saluer :
— Salut tout le monde !
— Parfait, Sara, il reste une place à côté de Ulysse !
Je vis le jeune homme défiguré se crisper. Philippe me fit un clin d'œil et je compris qu'il avait fait exprès.
Je soupirai et allai donc m'asseoir à côté de Ulysse. Je commençai à manger en essayant d'ignorer la présence du jeune homme à côté de moi. Ma motivation de tout à l'heure m'avait subitement quitté quand je m'étais retrouvé face au groupe. Donc, je mangeais, la tête pratiquement plongée dans mon assiette, espérant me faire oublier.
Soudain, je sentis qu'on me donnait un coup de coude dans les côtes, comme l'avait fait Jacinthe au début de la journée. Sauf que, là, ce n'était pas Jacinthe mais bien Ulysse. Je tournai la tête vers lui, vraiment étonnée.
— Dès que tu as fini de manger, on sort.
Je le regardai, sans comprendre. Comment ça, on sort ? Il répondit à ma question muette :
— On sort dans la cours. Il faut qu'on parle, toi et moi, seuls.
Je sentis ma gorge se transformer en désert aride. Je hochai lentement la tête, le cœur battant. Je reportai mon attention sur mon assiette et remarquai que l'appétit m'avait quitté. J'avais vraiment envie d'avoir cette fameuse discussion dès maintenant.
— Je pense que j'ai terminée.
— Dans ce cas, allons-y.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top