chapitre 19
L'écho de ses larmes se faisait entendre dans sa voix douce.
- Je ne sais même pas si je suis vierge. Je ne sais pas ce qu'ils m'ont fait, voire
quoi que ce soit. Je ne peux pas épouser un autre homme sans le savoir, aucun noble respectable ne m'accepterait, et je ne pourrais pas lui en vouloir.
-Dans mon peuple, on considère que la femme n'est jamais responsable dans ces cas-là, quand un homme viole une femme, c’est lui qui est coupable.
Rory s'arrêta à quelques pas d'elle et se retourna.
Il cacha rapidement la douceur de son regard.
-Ici, ce n'est pas considéré comme ça. Ce serait ma faute de l'avoir séduit, du moins c'est ce qu'ils en diraient. Et c'est seulement s'ils me croyaient. Eléonore secoua fermement la tête.
Non, je préférerais que personne ne
sache la vérité à ce sujet, car comment pourrais-je prouver ce dont je ne me souviens pas ?
-Je connais un noble nommé Corey. Avant d'épouser sa future épouse, il lui a ordonné de se faire tester. Tu pourrais faire la même chose. Je peux donner l'ordre, cela se ferait en privé, proposa doucement Rory.
Sa compassion était masquée par un masque glacial de dédain, mais elle avait le
sentiment que son agacement n'était pas dirigé contre elle.
-Non. Je sais que c'est fou, mais je préfère ne pas le savoir. Eléonore soupira en le regardant à travers ses cils. Je crains le pire. Mon ventre... ça m'a fait mal le
matin au réveil.
Rory se tendit complètement.
- Vivez ici.
Eléonore observa la douce sauvagerie de ses traits avant de reporter son attention sur ses mains.
Les mouvements du duc étaient féroces et barbares, elle sentait le magnétisme furtif qui irradiait de lui comme une bête sauvage.
Une larme tomba sur sa joue.
Elle leva les yeux, le suppliant de comprendre.
Elle ne savait pas pourquoi elle lui faisait autant confiance, mais elle ne parvenait pas à garder le silence en sa présence.
La vérité était sortie d'elle avec la
force de crocs brisés.
-Vivre ici en tant que prisonnière pour pouvoir vous venger ? Eléonore renifla de dégoût. De quel genre de vie s'agit-il ? Je suis comme une esclave, mais mon avenir est encore plus incertain. En plus, si je reste ici, il y a toujours la possibilité que papa ou Dalton me trouvent. Que se passerait-il si votre roi vous renvoyait, ou si la paix se rompait et que vous partiez en guerre ? Je serais à leur merci, je ne veux pas prendre ce risque.
-Non, pas en tant que prisonnière. La voix grave de Rory flottait dans le vent. Son regard perçant était rivé sur elle, et elle frémit en l'entendant parler. Et encore moins en esclave.
-En tant que servante ? Me forceriez-vous à changer de nom et à devenir votre
servante ? Eléonore commençait à se mettre en colère.
Beaucoup de personnes présentes ici connaissent ma véritable identité et vous voulez me transformer en servante ! Oh je vois. Vous êtes arrivé à la conclusion que vous aimez avoir une maison propre et de la nourriture préparée dans un chaudron propre.
-Oui, avoua-t-il sans pénitence.
Ses lèvres se tordirent en un sourire, brisant ainsi le sortilège de fatalité qu'apportait la nuit noire.
Paresseusement, il erra dans le jardin et attrapa une branche de camomille qui avait tant attiré l'attention d' Eléonore plus tôt.
-Eh bien, alors vous n'avez plus besoin d'ordonner aux domestiques de le faire, vous n'avez pas besoin de moi pour ça.
Eléonore se releva, mais cette fois enragée par l'insistance du duc qui lui tournait le dos.
-Je ne voulais pas non plus que tu restes comme servante.
Les paroles du duc l'arrêtèrent.
Il se tourna vers elle, le menton rentré et inclina la tête, la langue apparaissait au coin des lèvres et la passait par la commissure inférieure.
Eléonore était excitée par ce mouvement, son corps était très conscient de sa présence.
La froideur de son regard s'adoucit. Son regard effleura la richesse du corps de la jeune femme.
-Maitresse ? dit Eléonore, incapable d'y croire, avant de rire à cette idée.
Il secoua vigoureusement la tête.
-Non. Rory fit tourner la tige dans sa main.
-Et alors ? Votre femme ?
Eléonore rit encore et le regarda.
Son rire se transforma en raison du sérieux avec lequel il la regardait, et elle pâlit.
Il voulait l'épouser.
Elle recula, essoufflée.
Ses jambes lâchèrent et elle dut se rasseoir sur le banc.
Presque essoufflée, elle demanda :
-Mais pourquoi ?
- Je cherche à me venger et tu as besoin de protection. Rory lui offrit la plante, un petit geste, caché par la cruauté de ses propos.
Je crois que c'est une affaire parfaite.
-Un accord ? Elle frémit devant cette étrange proposition.
Ce n'était pas la reconnaissance d'amour ravie qu'elle aurait aimé entendre dans un moment comme celui-ci.
Pourtant, l’idée qu’un homme comme celui-là la protège avait son effet.
Et lorsqu'il était près d'elle, son corps était rempli d'étranges sensations.
Elle observa sa bouche et soupira.
Sans ramasser la fleur, elle demanda :
-De quel genre d' accord parlons-nous ?
-Je t'offrirai un logement, je te nourrirai, t'habillerai et te protégerai, et puisque tu seras mariée avec moi, tu n'auras pas à épouser lord Dalton.
Il n'y avait aucune émotion dans sa voix et il laissa tomber sa fleur par terre alors qu'elle
ne récupérait pas son cadeau.
Eléonore la regardait tomber, paralysée.
-Mais tu ne me connais pas. Elle chercha en vain quelques signes de gentillesse sur son visage. Pourquoi t'attacherais-tu à moi ?
- J'en sais assez, je sais que tu es la fille de mon plus acharné ennemi, tu sais que je cherche à me venger. Et quelle meilleure façon d’y parvenir que de le priver de l’argent de Dalton ? Si je comprends bien, tu es sa fille unique, le coup sera dévastateur pour lui.
Les yeux de Rory brillaient sur elle, mais ce n'était pas pour elle.
Eléonore aurait désespérément souhaité que ce soit le cas.
Elle savait qu'elle ne voulait pas retourner chez son père.
-Comment puis-je savoir que tu ne me feras pas de mal une fois mariés ? demanda-t-elle en regardant la camomille sur le sol. Comment puis-je savoir que tu me traiteras avec gentillesse ?
-Une question très raisonnable, admit-il avec un signe de tête approbateur. Tu ne peux pas en être sûre, mais quelle autre option as-tu ? Tout à l'heure, tu me suppliais de t'empoisonner.
-Qu'attends-tu de moi en retour ? demanda prudemment Eléonore.
Il frémit à la pensée de son étrange demande.
Est-ce qu'être marié à un monstre
sans sentiments serait mieux que la mort ?
- Tu prendras soin de la maison, instruiras les domestiques et garderas le château propre. Tu coudras nos vêtements ou tu les feras coudre par les servantes, tu rempliras les devoirs de n’importe quelle épouse.
Et tu seras duchesse, répondit-il d'un geste dédaigneux de la main, comme pour lui offrir un merveilleux cadeau.
Pendant qu'il parlait, Eléonore se tenait devant lui.
-Et peut-être qu'un jour nous quitterons cette terre du Wessex et que tu pourras retourner avec moi dans mon château.
De cette façon, tu pourras rester hors de portée de ton père.
-Le titre ne m'importe pas, dit-elle sèchement. Son visage se crispa alors qu'elle disait cela, et elle savait qu'il ne la croirait pas vraiment. Il y a des choses plus importantes pour moi qu'un titre.
Le duc sourit à ses paroles, croisa les bras et tapota pensivement ses lèvres du bout de ses doigts.
-Je suis d'accord.
-Quoi d'autre ? Eléonore se tordit nerveusement les mains.
Il était fou de penser à la possibilité de l'épouser, même s'il savait que s'il s'adoucissait un peu et lui offrait son étreinte, elle courrait dans ses bras et accepterait le marché.
S'il avait un peu ralenti le geste, il aurait fait
n'importe quoi, mais il ne le fit pas.
- Tu m'aideras à prendre soin de ma fille.
Je veux l'amener ici, avec moi.
Il observa attentivement la réaction de la jeune femme.
- As-tu vraiment une fille ? Et sa mère ? Je veux dire, ta première femme.
Eléonore tourna les yeux pour observer le ciel nocturne, comme si la réponse se trouvait dans les étoiles brillantes, mais si c'était le cas, il n'avait pas voulu partager son secret avec elle.
-Puisque tu demandes, tu dois savoir qu'elle est morte, je n'en parlerai pas avec toi, rugit-il, et ses yeux s'assombrirent pendant une seconde. Jamais.
-Cela me semble juste, répondit-elle ironiquement.
Elle lui tourna le dos pour qu'il ne voit pas l'incertitude dans ses mouvements, ni le picotement inattendu qui la parcourait.
Son esprit attendait de sa part un geste gentil, aussi peu sincère soit-il.
Elle aurait apprécié un petit mensonge avec brio, afin d' apaiser sa nervosité. Était-ce tout ?
-Tu ne penses pas que ça suffit ?
Il s'approcha d'elle.
-Ce que je veux dire, c'est...
Elle déglutit difficilement et rougit.
Elle se tourna vers lui et fut surprise de
le trouver si près.
Elle soupira devant son torse vêtu de noir et passa sa main entre eux, pour ensuite la laisser tomber avant de le toucher.
-Je suppose que ce que tu dis, c'est que ce n'est rien d'autre qu'un mariage de convenance. Que nous ne vivrons pas comme un homme et une femme et que tu ne penses pas à dormir avec moi.
-Non, je n'ai pas dit ça. J'ai dit que tu devais accomplir les tâches de n'importe quelle épouse.
Il tendit hardiment la main pour caresser sa joue brûlante, mais comme elle ne bougeait pas pour accepter sa caresse, il laissa tomber sa main. Cette condition inclut le lit conjugal. Chaque homme a des besoins... le besoin d'un héritier. J'aimerais avoir un enfant de sexe masculin.
-Oh.
Elle recula d'un pas et tomba sur le banc.
Il avait parlé avec un tel sang-froid, comme s'il s'agissait d'une tâche à accomplir.
"Il ne veut pas de moi parce qu'ils ont souillé mon honneur."
Elle essuya doucement les larmes qui lui montaient aux yeux.
-Tu peux rester ma prisonnière pour le moment, déclara-t-il d'un ton mortel.
Eléonore étouffa un cri.
Voyant qu'elle n'acceptait pas le décret, il se retourna pour partir.
-Attends, dit-elle doucement pour l'empêcher de partir. S'il te plaît, ne sois pas en colère contre moi. Tu te mets toujours en colère si vite ?
-Ta réponse est non, je ne te punirai pas pour ça, dit-il froidement, lui tournant toujours le dos. Je suppose que c'est une décision parfaitement logique de ta part.
-Je n'ai pas dit ça.
-Tu n'as rien dit, rétorqua Rory.
Eléonore l'observa pendant quelques secondes.
Comme à chaque fois qu'elle s'approchait trop de lui, son intimité était mouillée et elle ne pouvait s'empêcher de frissonner.
Elle se pencha rapidement pour ramasser la fleur qu'il avait laissé tomber.
Serrant la tige contre sa poitrine, elle s'approcha de lui.
Elle tendit la main pour caresser doucement le contour prononcé de son dos, attendant qu'il se retourne.
Il se tendit mais ne bougea pas.
Sa chaleur parcourait le bout de ses doigts, remontait le long de son bras et la faisait vibrer de désir de l'avoir.
C'était une sensation inhabituelle pour Eléonore, qui retira rapidement sa main.
-Ta proposition m'a affligée, c'est tout.
Ce n’est pas tous les jours qu’on
reçoit une demande en mariage aussi généreuse, ce n'est pas une décision facile à prendre.
Elle ferma les yeux et prit une profonde inspiration.
Lorsqu'elle les rouvrit, il ne s'était toujours pas tourné vers elle.
Eléonore regarda les murs de pierre noire du château.
Rory ne dit rien.
Voyant sa main, elle la prit dans les siennes.
Rory ne résistait pas. En fait, il n'avait pas bougé.
Elle observa l'onyx noir qu'il portait à son doigt et dit :
-Aussi illogique que cela puisse te paraître, monseigneur ma réponse est...
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