Notre Secret
Bonjour à tous les quelques ceusses qui passent encore par ici. J'espère que vous allez bien en ce mois de septembre qui commence. Pour bien l'entamer, voici la publication de ma participation au concours d'OS organisé par tahkyo et JuliaArmyBTS . Le pairing était imposé, et j'avais le choix entre 42 titres, ainsi que 42 petites phrases à intégrer. J'ai donc sélectionné : "Notre secret" et "On pourrait tout recréer... Un à un... Atomiquement...".
En espérant que cela vous plaise !
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Une pluie grasse s'écrasait contre la fenêtre, battant la mesure d'une journée grisâtre et interminable. Je soupirai. Les lumières nocturnes valsaient de l'autre côté des vitres humides, s'étiraient et se tordaient sans cesse devant mes yeux fatigués. Même ainsi, Séoul ne me donnait pas envie de la trouver belle. Non, ce soir, je haïssais un peu ma vie et mon décor. J'aurais payé très cher pour mettre les voiles vers quelques contrées inconnues, où, dissimulé dans les brumes du rêve, je me serais rendu inaccessible à la réalité. Mais j'avais trop attendu déjà, des jours et des semaines à ignorer mon cœur recroquevillé dans ma poitrine, comme s'il cherchait à se faire oublier. Il était temps.
Un coup d'œil à ma montre m'indiqua qu'il était 22h passé. Lorsque je les avais quittés, il ne leur restait plus beaucoup de clichés à prendre, Jimin et Jungkook n'allaient plus trop tarder. J'ignorai quelle partie de moi était la plus confiante à ce propos, celle qui espérait ou l'autre, celle qui n'avait jamais cessé d'être sur ses gardes. Mais pour un moment, j'aurais voulu qu'elles se taisent. Toutes les deux. J'avais besoin d'un courage qu'aucune ne pouvait m'apporter en cet instant : je ne devais pas fuir.
Etais-je prêt ? Le serai-je jamais ?
J'évitai soigneusement de poser les yeux sur mon lit où, je le savais, mes souvenirs recomposeraient les contours de sa silhouette, la douceur de ses soupirs brûlants sur la cime de mes lèvres, la sensation des vibrations de son corps sous mes doigts... Je ne voulais pas manquer déjà de lui alors que nous n'avions pas encore discuté, il ne fallait pas trouver d'excuses pour se dérober. Je me plantai donc devant la fenêtre, l'attention rivé aux lueurs fantomatiques de la ville. J'essayai d'imaginer l'odeur de la pluie chaude sur le bitume pour recréer l'été dans ce coin de ma tête qui se préparait à l'hiver.
Au loin dans l'appartement, une porte claqua et le son d'un éclat de rire vola à travers l'habitation. Et puis des pas précipités claquèrent dans le couloir, comme si deux personnes se couraient après. Yoongi râla non loin de la porte de ma chambre, tandis qu'Hoseok s'esclaffait depuis ce qui me semblait être la cuisine, égayant quelque peu l'atmosphère sombre de la maison. Je retins un petit sourire à l'écoute de ces chahuts. Ils se faisaient rares à mesure que nous vieillissions, mais ils ne disparaissaient pas pour autant non plus. Parfois, l'un de nous rallumait l'espièglerie dans ses yeux, entrainant les autres dans le sillage de ses bêtises. Etait-ce parce que nous nous étions rencontré gamins que n'étions jamais complètement devenu adulte tous les sept ? Comme si le temps avait figé dans nos chaires le moment de notre rencontre.
D'ordinaire, j'aimais ces sons qui trompaient ma solitude. Même fatigué ou déprimé, ils me réchauffaient et me faisaient sentir entouré, comme lorsque je vivais chez mes grands-parents. Leur joie était toujours un peu la mienne aussi puisqu'ils étaient devenus une seconde famille par la force des choses. Mais ce soir, ces démonstrations de complicités semblaient se dresser à un pas de ma réalité, comme si je regardais mes colocataires à travers une vitre. Quelque part où eux ne pouvaient pas me voir, ni deviner ce qui allait se jouer dans cette chambre. Mes secrets s'élevaient en barricade entre eux et moi. Et j'avais froid.
La voix de Namjoon demandant à Seokjin de se calmer fusa de la salle de bain, mais les bruits de lutte que j'entendais ne s'atténuèrent pas pour autant. Au contraire, Yoongi poussa un cri de guerre qui n'annonçait rien de bon. Et puis le son du digicode de la porte d'entrée résonna et je n'entendis plus rien d'autre que les pas de ceux qui arrivaient. Les siens surtout, ceux que je pouvais désormais reconnaître entre mille, tant je les avais guettés malgré moi par le passé.
Dès lors, mon cœur s'emballa plus vite et plus fort qu'il ne l'avait jamais fait.
...
Il arriva plus tard que d'habitude. Le temps d'attendre que tous les autres soient endormis, où couchés dans leurs chambres. Dehors, il ne pleuvait plus et la nuit prenait déjà le chemin de l'aurore. Le soleil se lèverait 2 heures plu tard à peine, mais je n'avais pas fermé l'œil un seul instant, cherchant par tous les moyens à occuper mon esprit par autre chose que lui. J'avais lu, travaillé sur une chanson, lu encore, regardé un film, mais rien n'y avait fait. Une tension latente s'était attardé toute la nuit dans mon ventre, me donnant envie de disparaître de cette maison tant que je le pouvais encore. Et lorsqu'il me rejoignit, discrètement, faisant à peine grincer la porte, je compris aussitôt quelle partie de moi, l'optimiste ou sa rivale, l'emporterait ce soir.
Il y eut d'abord sa manière de me prendre dans ses bras en me serrant un peu plus fort que d'habitude. Sans parler, sans oser. Puis ses yeux. Ses yeux déjà préparés au chagrin, ses yeux qui me fuyaient, ses yeux qui disons-le, ne m'avaient jamais paru si beaux. Il s'assit à mes côtés sur mon lit et tendit une main hésitante vers la mienne. Il caressa chaque millimètre de mes doigts de bout de son index, les retraçant, comme pour les redessiner plus tard. Ce geste seul contenait plus de tendresse qu'il ne m'en avait communiqué depuis qu'il partageait ses nuits avec moi. Une tendresse qui me fit mal, parce qu'elle semblait réservée aux choses fragiles et précieuse que l'on souhaiterait ne jamais briser.
C'est seulement après un long moment de silence que nos voix osèrent percer la nuit. Nous tournâmes longtemps autour du pot, parlant des activités du groupe, du comeback qui s'annonçait intensif, lançant des banalités dans la pièce comme s'il s'agissait de bouées de sauvetage dont nous pourrions avoir besoin plus tard. Mais tous les mots que nous échangeâmes semblèrent se loger dans le fossé qui subsistait entre nous et se perdirent dans sa noirceur. Ce fut une très étrange discussion. L'ombre de quelque chose de plus grave planait sur nous, presque tout ce que l'on disait sonnait faux. Et plus nous parlions, plus cette mascarade me donnait le tournis. C'est pourquoi, lentement et douloureusement, je finis par arriver au sujet qui nous éloignait : elle. Et puis les autres.
De nombreuses choses passèrent alors dans son regard : de l'hésitation, de la crainte, du chagrin, mais surtout beaucoup de culpabilité. Tellement de culpabilité qu'elle se coinça dans ma gorge et me coupa le souffle. Je pris peur, je souhaitai m'échapper de la conversation, tout arrêter avant qu'il ne prenne la parole, qu'il ne mette à bas l'immensité des rêves que nous aurions pu imaginer ensemble. Je n'avais finalement rien envie d'entendre, je pouvais tout aussi bien ne jamais rien savoir. L'ignorance me semblait infiniment plus douce et plus facile qu'une seule once de vérité. Mais tout comme j'étais incapable d'exploser et de lui hurler dessus, j'étais aussi incapable de m'enfuir, prisonnier de mes émotions cristallisées. Si fragiles que le moindre de mes mouvements risquait de les faire voler en éclats.
Il mit longtemps à prendre la parole, si bien que lorsqu'il le fit, sa voix était rauque et basse. Et moi, c'était comme si j'avais mal depuis des années.
- C'est vrai.
Deux mots. Deux mots pour que tout se désagrège à l'intérieur, que je ne contienne plus rien, que je ne me rompe en des endroits que je croyais tenir hors de sa portée. Je m'étais préparé à ces deux mots, pourtant. Je les avais récités avant qu'il ne les lâche, mais malgré cela, aucun des renforts que j'avais posé contre mon cœur ne tint bon. Aucun. Les digues cédèrent, les murailles s'effondrèrent... Je commençai à trembler malgré mes efforts pour empêcher mon corps de me trahir. Les larmes me montèrent aux yeux, brouillant son image. Je ne pus retenir que mes sanglots.
Bien sûr, il aurait pu continuer à contempler ses mains crispées sur son jean, comme il l'avait fait jusqu'à présent. Mais non, il releva les yeux. Deux gigantesques trous noirs. Son regard chercha à croiser le mien, à la dérobée, timidement. À peine le temps qu'il fallu pour constater l'étendue des dégâts. J'ignore ce à quoi il s'était attendu, mais ce qu'il vit sembla le surprendre. Une expression d'horreur et de panique glissa sur son visage. C'était sans doute la première fois que la souffrance fuitait autant du coffre-fort contenant mes émotions, sans doute la première fois qu'il en lisait autant dans mes yeux. Alors il se décomposa, plus fort et plus sévèrement que moi. Ses larmes coulèrent sur ses joues lisses, encore maquillées du shooting que nous avions quitté plus tôt, comme s'il les retenait depuis trop longtemps. Il agrippa le bas de mon pull et tenta de me tirer vers lui, bien que, enraciné dans ma douleur, je résistai. Entre deux hoquets, il s'excusa, ne cessant de me répéter :
- Pardon, pardon, pardon... Je ne voulais pas te blesser.
Rien n'avait de sens. J'étais un condamné se préparant à son exécution et lui, un bourreau plus désespéré que ne l'était sa victime. L'ironie de la situation était accablante. J'aurais aimé que ses plaintes se répercutent sur moi comme sur la surface d'un lac gelé, mais non. Chacune d'entre elles jetait du sel sur mes plaies naissantes, attisant ma douleur par la compassion qu'il m'inspirait. Car s'il y avait une chose que Jungkook n'avait jamais été, c'était faux. L'authenticité de ses émotions m'avait toujours fascinée, leur intensité également. J'avais su avant même de tomber amoureux de lui, que la seule chose qui pourrait un jour lui couper les ailes, serait de blesser quelqu'un qu'il aimait. Et il m'aimait, et il venait de me blesser.
C'est pourquoi je me laissai chavirer malgré moi par sa détresse qui paraissait plus intense et plus urgente que ne l'était la mienne. J'obtins de mes membres qu'ils ne sortent de leur torpeur, pour l'attraper en croisant les mains derrière sa tête et le serrer contre moi, laissant finalement libre court à mes propres sanglots. Après tout, qu'avais-je encore à lui cacher ?
Je priais silencieusement pour que le temps se suspende, que l'on reste comme ça pour toujours. Lui, plus présent dans son chagrin qu'il ne l'avait jamais été, moi conscient à l'infini du poids de son corps contre le mien, de son odeur et de sa chaleur.
Au bord de se perdre, mais ensemble encore.
Je voulais qu'il se retienne de parler, que l'on n'écoute plus rien sinon l'énergie qui nous maintenait coller l'un à l'autre. Mais il avait des choses à dire qu'il ne pouvait plus taire. Il attendit donc que l'on se calme un peu, glissant ses doigts en mouvements répétés depuis la racine de mes cheveux jusqu'au bas de ma nuque, comme j'aimais qu'il le fasse. Et puis lorsqu'il cessa de trembler, il se dégagea doucement de mon étreinte et trouva mon regard. Ses yeux étaient ravagés. Je vis en eux toute l'étendu de son combat intérieur, de la douleur qu'il s'était infligé en manquant de discernement. Lui, si jeune, si inexpérimenté, avait donc fini par se casser le nez sur les obstacles dont il se gaussait avec orgueil, hissé sur les ailes de sa jeunesse.
Le cœur douloureux, je le laissai énoncer tout ce que j'avais deviné :
- C'est idiot, tu sais, mais j'ai besoin de séduire et d'être aimé pour avoir confiance en moi. Ça me motive et me donne la force de faire ce que je fais. Alors, oui, il y a d'autres personnes. On ne partage pas grand-chose ensemble, on ne parle pas vraiment, mais... Mais je ne peux pas m'en empêcher. Je ne sais pas si ça signifie véritablement quelque chose, en fait. Je ne sais pas vraiment ce que je ressens.
- Et moi ? Demandai-je.
Mais je pouvais déjà répondre à cette question, sans doute mieux que lui, d'ailleurs.
Il paru désolé, incapable de démêler les nœuds qui le ligotaient en dedans.
- Je... Je ne sais pas.
Je le regardai intensément
- Mais quand ça a commencé ?
En répondant, sa voix était si basse qu'elle sembla venir d'outre-tombe, comme l'une de celles qui énoncent les vérités graves, les plus inavouables.
- Ce n'était pas différent. J'aimais bien te plaire, c'est tout.
La sentence était tombée.
Je demeurai interdit, cherchant en moi-même le ras de marée qui ne venait pas.
- Je le savais, avouai-je lentement, je ne me serais pas autant donné de mal à te fuir, sinon. Mais j'ai fini par abdiquer. C'est comme si j'avais un peu accepté tout ça, pas vrai ? »
Il ne dit rien. Sans doute savait-il que le drame, le vrai, était encore à venir. Car les choses que l'on accepte en silence ont une saveur différente de celles qui sont mises en lumière. Il avait conscience que désormais, ni lui ni moi ne pouvions nous dérober. Il devrait affronter ma souffrance, ainsi que celles de tous ceux qu'il charmait en secret. De mon côté, je ferai face aux principes que j'avais refoulés en laissant Jungkook prendre la place qu'il occupait dans mon cœur. Il était un joueur, j'étais un idiot. Rien de plus, rien de moins. Il fallait nous assumer et réagir en conséquence, comme tous les idiots et les joueurs de ce monde qui se réveillent un matin et contemplent pour la première fois l'étendu de leur bêtise dans la glace.
- Tu vas vouloir tout arrêter ? Demanda-t-il dans un murmure.
Il tremblait comme une feuille, conscient du danger que contenait chacun des mots désormais prononcés. Parler tenait de la minutie, du travail d'orfèvre. Nous nous trouvions suspendus entre un moment où notre histoire avait encore du sens et un autre où elle n'en aurait plus. Le fil de soie auquel nous nous accrochions pouvait s'effiler sur le tranchant de nos paroles n'importe quand, et nous tomberions pour de bon. Il attendait que je prenne la décision de tout couper, visiblement résigné à se laisser aller à mon jugement. Moi, je trouvais ça trop facile.
- J'ai déjà essayé, soufflai-je.
Et c'était vrai. Lorsque j'avais appris l'existence de cette fille, de longues semaines plus tôt, j'avais tenté de le repousser chaque fois qu'il m'approchait, de lui fermer la porte de ma chambre la nuit. Mais il n'avait même pas remarqué, persuadé que je voulais simplement me faire plus discret pour ne pas attirer l'attention des autres. Et moi, étranglé par des sentiments qui me dépassaient, je m'étais rendu malade tant il me manquait. J'avais alors compris à quel point j'étais tombé amoureux et l'angoisse de jouer une partie que je ne pouvais pas gagner ne m'avait plus quitté.
Un espoir, fugace, traversa ses iris sombres. Quel espoir pouvait-il bien entretenir ? Quelle importance pouvait avoir le fait que je reste ou non ? Au final, n'étais-je pas pour lui qu'un amant de plus dans la masse de tous les autres ? Une étape dans la construction de son ego ? Il trouverait bien plus stimulant que moi ailleurs, j'en étais certain. C'était à lui de s'en aller. Je voulais qu'il soit clair sur l'indifférence amoureuse que je lui inspirais. Mais... Il ne partait pas. Il ne semblait même pas l'envisager. Pour une raison que je devinai, la douleur était la première chose réelle et puissante qui nous maintenait attachés ensembles. Était-ce parce qu'il était responsable de mes larmes qu'il se sentait, pour la première fois véritablement engagé envers moi ?
Je n'étais pas n'importe qui. J'étais Taehyung, une part de son univers et de sa famille, un membre du clan qu'il aurait protégé contre vents et marée s'il l'avait fallu. Sans doute la seule de ses conquêtes dont les larmes le déstabilisait. Et cette idée me rendait malade. Je la détestais. Honnêtement, je ne voulais vraiment pas qu'il parte. Je ne voulais pas qu'il me laisse prendre la décision d'une séparation à sa place parce que je ne voulais pas que l'on se sépare, même si c'était la plus préférable des solutions. Il ne pouvait pas partir et tout emporter au loin ! Que ferai-je après ça ? Que deviendrai-je sans les rêves que je tissais autour de lui et qui habillaient mon monde ? J'aurais voulu que tout soit différent, qu'il désire ardemment être avec moi, puisque moi, je ne voulais que lui. Mais la réalité avait fini par nous rattraper tous deux, se fracassant sur nous comme une gigantesque vague sur une falaise. À jouer sans penser, nous avions tout gâché. Il m'avait perdu de toutes les façons possibles et je l'avais laissé faire sans réagir, car des deux, j'avais été le plus lucide, conscient que je l'aimais un peu trop au départ. J'étais celui qui avait joué notre lien à quitte ou double.
Loin, à l'horizon de Séoul, un rayon de soleil apparut derrière les montagnes. Le bleu de la nuit s'éclaircit, annonçant l'aurore.
- Tu sais, avec toi c'est devenu différent des autres. Murmura-t-il tout à coup.
Je souris sans conviction, parce que je ne savais pas comment réagir autrement et qu'il était trop tard. Le jour se levait désormais sur notre réalité.
- Je dis la vérité, insista-t-il, Je ne dors jamais chez les autres, je ne les laisse pas me toucher comme tu le fais, je ne suis pas autant avec eux. En fait, j'ai plus souvent envie d'être avec toi. En ce moment, j'ai tout le temps envie d'être avec toi.
A ces mots, le goût de la bile envahit ma bouche. L'amertume monta dans ma gorge comme le venin d'un serpent qui se retiendrait de mordre une proie trop imposante. Il ne mentait pas, mais il mélangeait amour et attachement de la plus insupportable des façons. Son cœur cherchait toutes les braises qu'il pourrait raviver pour nous sauver. Mais c'était terminé, il ne pouvait plus nous empêcher de mourir.
- Je suis désolé, Tae... J'aurais dû... Je n'ai pas compris...
Et puis sa phrase se perdit dans une exclamation rageuse. Il ne parvenait pas à comprendre ce qu'il essayait d'exprimer, ça ne voulait pas sortir.
Etrangement, ce sont mes mots à moi qui se déverrouillèrent :
- As-tu déjà désiré si fort une personne que tu serais prêt à tout donner au monde : ton talent, ton air, ton bonheur, ton sang, à la condition de garder cette personne pour toi ? Que tu la veuilles tellement que l'idée même de devoir la partager puisse te faire perdre la tête ?
L'impact de cette déclaration détournée fut pour lui comme un coup de grâce. Parce qu'elle fila dans l'air comme quelques occasions manquées, passant à travers les mailles déchirées de cette étrange histoire que nous avions tissée.
Il s'effondra de nouveau, plongeant la tête vers ma poitrine et m'attirant à lui avec tant de vigueur qu'il sembla vouloir s'enfouir tout entier dans mon ventre. Mais, de mon côté, ce que j'avais tu depuis des mois était dit. J'étais vide, vide de lui, vide du secret qui aurait pu nous sauver si je l'avais révélé plus tôt. Je n'étais plus que poussière sur le chemin que nous avions arpenté ensemble. J'absorbais ses larmes, buvant ses émotions de mes lèvres sèches. Je nous voyais perdus, la faute me revenait sans doute en partie, je m'en voulais et j'étais las. Usé de m'être essoufflé sur un rêve illusoire qui avait fini par me briser.
- On pourrait tout recréer... Un à un... Atomiquement... Proposa-t-il alors sans me regarder.
- Comme si tout existait encore ? Demandais-je d'une voix éteinte.
Et le silence le reprit. À moins que ce ne fût moi qui lui offrit ses paroles en offrande ? Parce que j'arrivais au seuil de ma patience et que je ne voulais plus rien entendre.
En proie à des démons que nul ne pouvait l'aider à combattre, il pleura longtemps. Je fis ce que je pu pour contenir entre mes bras la vague qui l'emportait, le temps que durèrent les soubresauts de mon orgueil. Mais, même si je l'avais réellement voulu, je n'aurais pus le soulager du chagrin qui le rongeait. Je n'en étais même pas la cause, pas vraiment. C'est lui qui était la source de tout : du vent qui nous avait poussé l'un vers l'autre et de celui qui nous emportait à présent. Il devait s'affronter lui-même, toucher du doigt une réalité qu'il avait essayé d'ignorer avant qu'elle ne le rattrape. Tout ce que je pouvais faire, c'était le serrer plus fort que je ne le faisais déjà. Une dernière fois. Avant que ne vienne la colère et que je ne rende définitivement au Dépit l'idée d'un "nous" qui ne viendrait plus jamais.
Comme nous étions nés, nous mourions : à l'abri des regards, de l'autre coté du mur qui nous séparait des autres. En coulisse, dans le plus grand des secrets.
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