Visio
10 Février 2035.
Je grimpe sur mon matelas et le remonte à quatre pattes. Je m'installe sur mon oreiller et une fois adossé au mur au niveau de la tête de lit, attrape mon téléphone qui m'attendais sagement sur la table de chevet. Mon nez se fronce quand je remarque qu'il ne m'a toujours rien envoyé. Le soupir que je pousse à cet instant est tellement bruyant qu'il a dû s'entendre jusqu'au salon. Cependant, cela n'a aucune importance parce que ce soir, je suis seul à l'appartement.
Profitant du fait que Sun et Ezra travaillent, j'avais proposé à Elliott que nous faisons une visio tous les deux. J'ai envie de retrouver un peu ce lien que nous avions avant l'arrivée de Hugo dans nos vies l'année dernière. Je n'ai rien contre lui, je l'adore et il rend mon meilleur ami très heureux mais ma relation avec Elli a évolué et pas toujours comme je l'aurais voulu.
Du coup, j'attends beaucoup de cet appel vidéo. Peut-être un peu trop... Après avoir grignoté un peu de ce que Sun avait laissé dans le frigo, je me suis fait un thé détoxifiant mais depuis j'aurais eu le temps de lire toute la saga d'Harry Potter ! Je reviens tout juste des toilettes – le thé est une invention du diable – et j'avais peur de l'avoir loupé. Mais je n'ai toujours rien. Encore et toujours le silence.
Nous avons dit dix-neuf heures mais Elliott a décalé, n'étant pas prêt. À présent, il est presque vingt-une heures et je commence à perdre patience. J'allonge mes jambes et fais bouger mes pieds comme un enfant qui s'ennuie. C'est exactement ce que je suis. Je soupire à nouveau tout en croisant les doigts pour que mon meilleur ami ne me pose pas un lapin et me contacte bientôt.
Je profite de ce temps libre pour retourner sur Instagram. Et plus précisément, sur le compte d'Ady. Je me fais pitié à l'espionner ainsi mais il me manque et les soirs, quand je me retrouve seul dans mon lit, c'est qu'encore pire. Dans ces moments, je ne peux que penser à lui, il n'y a que lui dans ma tête... Aller sur les réseaux sociaux me permet de tenir, comme prendre une nouvelle dose...
La petite tête d'Ady est là, devant mes yeux. Je connais bien cette photo de profil, c'est moi qui l'ai prise juste avant que je mette fin à notre couple l'été dernier et ça me fait un pincement au cœur. Mon doigt clique dessus et sa story s'affiche. Comme depuis quelques temps, il partage quelques photos de lui avec ses amis de Newcastle. Je grogne.
Je ne suis pas objectif, c'est une certitude. Je ne devrais même pas le penser vu que c'est moi qui ai rompu mais je n'aime pas ces nouvelles têtes dans son entourage. Il semble si proche d'eux et souriant. Il est tellement heureux avec eux que ça me fait mal. J'ai comme un énorme pincement au cœur. Je renifle pour m'empêcher de verser ma larme, je n'en ai pas le droit et passe à un autre cliché.
Mon portable m'échappe des mains quand il se met à sonner, m'annonçant l'appel entrant d'Elliot. Rapidement, je tapote mes joues avec le bout de mes manches de tee-shirt pour me reprendre et toussote un peu comme pour éloigner les images que je viens de voir sur Instagram. Je récupère mon mobile et accepte la visio.
Dans la seconde, la tête d'Elliott s'affiche sur mon écran. Il m'adresse un immense sourire que je ne peux pas m'empêcher d'imiter. Je suis soulagé de le retrouver. Mes peurs, mes doutes et mes peines s'envolent immédiatement. Je soupire de bien-être cette fois.
— Je suis désolé pour le retard, commence-t-il.
Je secoue la tête pour lui faire comprendre que je m'en fiche et c'est vrai. Peu importe le temps que j'ai attendu, il est là, il ne m'a pas fait faux bond.
— Mais c'est la merde ici, Dae !
La conversation débute aussi simplement que ça. Comme si nous nous étions vus la vieille alors que notre dernière conversation remonte aux vacances de Noël, il y a quarante-deux jours. Nous avons bien entendu échangé quelques messages par-ci, par-là mais rien de vraiment suivi. Alors il explique tout. Il me dit comment il a repris son job à la Cookie Factory mais surtout comment Hugo essaie de convaincre mes parents de le prendre en extra.
— Il en a parlé à Sun, j'espère !
Elliott lève les yeux au ciel.
— Tu le connais ! Il veut se débrouiller tout seul.
— Il est têtu ce gamin ! déclaré-je.
— A qui le dis-tu !
Nous rions.
— Enfin, dès qu'il a quelque chose de fixe, on pourra chercher sérieusement un appartement parce que pour le moment, les propriétaires nous jettent tous les uns après les autres !
— Ah merde ! Mais vous faîtes comment là ?
Je me mets en tailleur, le téléphone toujours en face de mon visage.
— C'est là que ça devient problématique...
Il soupire et fait tourner un peu sa chaise de bureau pour pouvoir mettre ses pieds sur son bureau.
— On squatte chez les pères de Hugo mais mes parents ne sont pas hyper contents de cet arrangement, m'annonce-t-il.
— Pourquoi ? Ils voudraient que vous alliez chez eux ? m'étonné-je.
Les parents d'Elliott sont assez spéciaux. Quand il leur a appris sa pansexualité, ils ont eu beaucoup de mal à l'accepter. Enfin surtout sa mère. Ça a été une vraie guerre froide entre eux et quand Hugo, le petit voisin, est entré dans l'équation, ça n'a pas aidé. Puis finalement, contre toute attente, elle a fini par faire des efforts, ne voulant sûrement pas perdre son fils. Mais malgré la nouvelle entente dans la famille Rogers, j'ai un peu de mal à imaginer la vieille croyante vouloir absolument que son fils et son petit-ami viennent vivre sous son toit.
— Euh... Ouais ! Elle a proposé qu'on fasse une semaine sur deux pour soulager Louis et George !
— Bah, mince alors ! Je ne l'avais pas vu venir celle-là ! m'écrié-je en tapant mon genou de ma main libre. Les miracles existent en fait.
— Nous non plus !
— Mais c'est quoi le problème là-dedans ? C'est plutôt cool qu'elle fasse ça !
— Je trouve aussi mais...
Je le vois se rapprocher de son téléphone. Il chuchote alors :
— Hugo est pas trop chaud pour venir là...
— Ah !
Je grimace.
— Sur ce coup-là, je le comprends.
J'appréciais beaucoup la maman d'Ady ainsi que son beau-père, chez qui il vivait à Barnard Castle mais je doute que j'aurais pu vivre constamment avec eux. Ça peut se révéler être une situation compliquée d'être du matin au soir et du soir au matin avec sa belle-famille. Pas pour Elliott a priori :
— Moi aussi ! Je suis très bien chez Louis et George en plus. Mais va expliquer ça à ma mère sans la vexer, continue-t-il tout bas.
— Oh mon pauvre ! je le plains. Dis-lui que pour vos affaires, c'est plus simple de ne pas bouger ?
— Déjà essayé mais bon, vu que les maisons sont à vingt mètres l'une de l'autre, l'excuse n'a pas vraiment fonctionné.
— Elle est coriace !
— Ouais... Donc là, la seule chose à faire, c'est avoir notre propre appartement. Mais bon, ça ne devrait pas trop tarder. Je suis sûr que tout ira bien. Si ce n'est pas tes parents, je pense que Ben du pub, voudra bien le prendre en cuisine.
— Génial !
Il a vraiment l'air optimiste, pas le moins inquiet par ces recherches alors je suis content pour eux. Tout semble se mettre en place.
— Puis, je suis allé dans l'entreprise de Gareth Smith, tu sais l'entrepreneur qui a refait le magasin de vêtements dans la Grand Rue que tu adores ?
Je suis amoureux de cette boutique. C'est d'ailleurs plus une friperie qu'un magasin mais c'est ce qui fait son charme. Il y a toujours des habits uniques. C'est là-bas que j'ai trouvé mon bomber bleu avec les dessins japonais.
— Je vois et alors il a dit quoi ?
— J'ai pu parler avec le menuisier qui est aussi ébéniste, un certain Dorian et il m'a dit qu'il serait ravi de me prendre en apprentissage à partir de cet été.
— Non, c'est vrai ? m'exclamé-je, heureux pour lui.
C'est le rêve d'Elliott depuis des années de devenir ébéniste. Il l'avait toujours mis de côté malgré mes encouragements et le retour de Hugo auprès de lui, l'a finalement décidé.
— Ouais ! Il faudra juste que je fasse un stage avant pour voir si le courant passe entre nous mais c'est sur la bonne voie.
Le sourire qu'il m'adresse à cet instant est le plus beau qu'il ne m'ait jamais fait. C'est juste incroyable. Tout semble se mettre en place pour lui. Plusieurs émotions s'emparent de moi et je suis incapable de les distinguer les unes des autres mais la fierté semble la plus importante.
— Je suis vraiment heureux pour toi. Pour vous, me corrigé-je.
— Merci, Dae ! Et toi, raconte-moi ! Comment ça va ?
Il se lève de sa chaise et va s'allonger sur son lit. Sans réfléchir, j'en fais de même et m'étale à plat ventre. Je fais une petite moue avant de dire simplement :
— Tout va bien.
— C'est tout ? Creuse un peu plus !
— Bah... Il n'y a pas grand-chose à dire. Ça se passe super bien avec Sun. Ezra est toujours un mec extra. La cohabitation ne pourrait pas mieux se passer. Surtout qu'ils sont super discrets pour leurs parties de jambes en l'air...
— Ah ! crie Elliott me faisant rire. Me parle pas de la vie sexuelle de ton frère.
— Tu t'en fous tant que ce n'est pas avec ton Hugo !
— Pitié ! se lamente-t-il. Ne plaisante pas avec ça !
Elliott est le petit-ami parfait à un détail près : sa jalousie pour mon frère. Il est vrai que Hugo et Sun ont une relation assez spéciale qui à plusieurs reprises a pu porter à confusion. Parfois, je me dis même qu'ils auraient fait un beau couple mais il ne s'est jamais rien passé entre eux. Malgré tout, il reste toujours une petite pointe de jalousie même s'il adore Sun.
— Désolé.
Je ricane quand je vois la grimace qu'il me fait.
— Et ton école ? Pas trop dur ?
Je n'ai parlé de l'audition à personne. Ni mon frère, ni Ady, ni Elliott. Personne. J'avais déjà assez honte sans avoir à faire face au regard de pitié de l'un d'eux. Mais mon meilleur ami sait que ce n'est pas tous les jours simple d'être dans ce genre d'établissement.
— Un peu fatigué mais j'ai pris le rythme, je crois.
J'appuie mon menton dans la paume de ma main, cherchant quelque chose à lui narrer puis soudain, une idée me vient :
— Oh tu te rappelles du tyran ?
— Le tyran ? répète-t-il en fouillant dans sa mémoire. Ah oui ! Le mec avec qui tu devais faire je ne sais plus quoi avant Noël et qui mangeait tout le temps des cacahuètes ?
— Des noix de cajou mais oui, c'est lui ! confirmé-je. Il m'a fait une proposition...
— Honnête, la proposition ?
Tout en faisant une petite moue, je regarde le plafond, comme si la réponse s'y trouvait. Au bout de quelques secondes, je hausse d'épaules et lui dis :
— J'en ai l'impression !
— Oh ! Étonnant pour un tyran, non ? se moque-t-il. C'est quoi ?
— Il veut que je participe avec lui à un concours international de danse.
Les yeux de mon meilleur ami s'écarquillent sous le choc de l'annonce que je viens de lui faire. Il se redresse en lançant un Quoi ? plus aiguë que d'habitude. Ça me fait rire. Je cache ma bouche derrière ma main, les yeux tellement plissés que je ne vois presque plus rien.
— Un concours international ? Mais c'est énorme !
J'attrape un oreiller sur ma gauche et le mets devant moi en répondant à Elliott :
— Sûrement !
— Sûrement ? C'est quoi cette réaction de mou ?
Je souris tout en installant tant bien que mal mon téléphone sur mon lit, calé contre le coussin. Une fois qu'il ne me semble plus être sur le point de tomber, je le lâche et annonce :
— J'ai refusé !
Enfin techniquement, je n'ai pas encore donné de réponse au tyran. J'avais autre chose à faire que le chercher dans l'école pour lui dire que je ne voulais pas être masochiste en travaillant avec lui.
— Mais pourquoi ? Bon, reprends depuis le début et parle-moi de ce concours ! m'ordonne-t-il gentiment.
Les minutes qui suivent, je les passe à lui répéter les explications du tyran. J'y apporte toutes les informations supplémentaires que j'ai trouvées moi-même le soir où il m'en a parlé. Comme le fait que le premier gagnant de ce concours travaille aujourd'hui avec des grands noms de l'industrie musicale américaine. Ou alors que lors de l'émission, deux chorégraphies sont demandées aux douze finalistes où certains mouvements seront exigés. Ou enfin que pour déterminer le gagnant, il y a toujours un jury de trois professionnels de la danse et les votes du public, il faut plaire à tout le monde.
— C'est une occasion en or, Dae ! Tu te rends compte de ce que tu viens de me dire ?
Je soupire. C'est vrai que de la manière dont j'ai présenté les choses, ça a l'air d'être l'idée du siècle.
— Pourquoi tu as refusé ? me demande-t-il, sérieusement.
— Parce que...
Je me mordille la lèvre, cherchant la véritable raison pour laquelle je ne désire pas le faire. Il y en a tellement.
— Déjà parce que ça voudrait dire travailler avec le tyran, commencé-je, sûr de moi.
C'est ma première et principale raison. Je ne veux pas être son pantin, seulement bon à refaire les pas qu'il exigera de moi.
— Ça, il suffira de lui mettre les points sur les i dès votre première répétition ! Si vous faîtes le concours à deux, tu as ton mot à dire aussi !
— Ouais... Enfin je ne suis pas sûr qu'il soit du genre à me laisser décider quoique ce soit.
— Tu verras à ce moment-là !
Je hausse les épaules. Mais au fond, ce qui me gêne le plus, c'est que les gens se rendent compte que je suis mauvais. Qu'on me dise que Jones a raison en disant que je n'atteindrai jamais mes ambitions. Que je comprenne enfin que je ne suis qu'une supercherie depuis des années.
— C'est quoi le vrai problème ? murmure Elliott, me connaissant trop bien.
À travers l'écran, nous échangeons un regard et mon cœur se remplit de gratitude. Nous nous parlons moins, nos routes se sont éloignées l'une de l'autre mais ça ne l'empêche pas de lire encore en moi. Je lui adresse un sourire reconnaissant et l'interroge :
— Et si j'échouais ?
Il penche la tête sur le côté, attendri par mes paroles.
— Tu retourneras en classe avec tes camarades, tu apprendras de ton échec...
Il marque une pause avant de me dire :
— Et tu deviendras un danseur encore plus sensationnel !
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