Réseaux

10 Avril 2035.

Je grogne.

Je suis mécontent.

— Je te déteste, je te déteste, je te déteste, je te...

— Oui, oui, on a compris, dit-il, pas le moins blessé par mes mots.

— Je te déteste ! asséné-je une dernière fois pour la forme.

Je fais la moue. La réalité ne me plait pas. Je renifle, contrarié. Avec un petit ricanement, il passe son bras sur mes épaules tandis que nous marchons dans la rue pour rejoindre l'institut. Il me rapproche de lui et me murmure :

— Vas-y, boude ! Tu sais quel effet ça me fait...

Je lève les yeux au ciel tout en essayant de m'éloigner de lui, mais je ne peux empêcher un sourire de s'esquisser sur mes lèvres. J'aime beaucoup trop quand il prend cette voix suave, mais vu ce qu'il vient de me faire, il est hors de question que je craque.

— Tu peux toujours rêver pour avoir mon cul !

Son poing se place devant sa bouche alors qu'il se contraint de ne pas rire à ma déclaration qui a fait retourner une mamie sur notre passage. C'est vrai que la discrétion n'est pas mon fort !

— Tu vas bouder longtemps ? m'interroge-t-il quand il a retrouvé son sérieux.

Je croise les bras devant moi et tout en tournant à droite, je commence la liste des faits qui lui sont reprochés :

— Tu m'as pris par surprise...

— Ah non ! Je te demande toujours ton consentement !

Je crie ma frustration en plein milieu de la rue et lui colle deux ou trois coups du plat de ma main qui n'ont aucun effet.

— Tu m'énerves, Blake ! Je suis sérieux, merde !

Cette réplique semble le faire réagir parce qu'il s'arrête sans prévenir. J'en fais de même à quelques mètres de lui, quand je m'en rends compte. Je me tourne vers lui et les poings sur les hanches, je l'interroge :

— Tu nous fais quoi maintenant ?

— Tu...

Il déglutit avant d'inspirer profondément. Il pince les lèvres tout en réfléchissant puis assène :

— Je suis désolé.

Je fais encore la moue, mais ma colère a fortement diminué à cette déclaration. Je me détourne et reprends ma route, les mains dans les poches du bomber que je n'ai toujours pas rendu à Blake. Le bruit de ses pas me parvient avant qu'il ne fasse sa réapparition à mes côtés. Pendant un moment, nous ne nous adressons pas un seul mot puis je craque :

— Je pensais que tu avais inventé cette histoire de rencontre de prof pour qu'on puisse se barrer de l'expo. Tu ne m'as pas dit que c'était vrai et que je devrais faire une démo devant lui ce midi !

— J'aurais dû, mais j'ai cru que tu avais compris et puis... J'avais peur que si on en parlait, tu te mettes à stresser ou... je ne sais pas, à vouloir changer toute la chorée. J'étais juste content que tu le prennes bien.

— On a pas assez répété. C'était brouillon et mal assuré à cause de moi.

— Arrête, c'est faux !

Je le fusille du regard à son marmonnement.

— J'étais là, je me suis vu dans le miroir !

— Oui, parce que moi, je me prélassais au bord de la Tamise, ironise-t-il.

Le silence entre nous tombe. Seuls les bruits de la circulation bercent notre avancée jusqu'au bâtiment principal de l'école. Quand nous nous arrêtons à un feu, Blake se tourne vers moi et m'annonce :

— J'aurais dû te prévenir, j'en conviens, mais je ne dirai pas que c'était brouillon pour te faire plaisir. Mon prof, lui-même, a dit que c'était un début prometteur, qu'on avait une bonne alchimie et qu'il avait hâte de voir la suite !

Mes joues rougissent à nouveau à l'écoute de ses compliments. Il est exact qu'il a dit tout ça et si cet homme l'affirme, c'est que ça doit être vrai. Mais il n'y a pas que ça... Je lui fais face et même s'il est plus grand et fort que moi, je m'en fiche.

— Pourquoi tu lui as parlé de ma chorée d'audition ?

Il lève les yeux au ciel, semblant blasé.

— Tu refuses d'écouter Chad ou moi à ce sujet alors il a fallu que je passe au niveau au-dessus.

— Et lui montrer carrément les mouvements ? C'était obligé ?

— Bien sûr !

Je ne l'admettrais pas devant Blake ou qui que ce soit d'autre, mais le voir réaliser mes pas m'a fait quelque chose. J'ai ressenti un mélange de joie, de gratitude et de fierté.

— Je suis désolé, répète-t-il. Ce n'était peut-être pas la meilleure façon de faire, mais je ne regrette pas. Il a adoré et nous a conseillé de l'inclure.

— Il a dit qu'il y avait des changements à apporter ! lui rappelé-je.

— Bien sûr ! Tu as créé une chorée solo donc on doit l'adapter pour un duo.

Je baisse les yeux vers le sol un quart de seconde avant de réaliser que nous pouvons traverser. Sans réfléchir, je reprends mon chemin. Il y a moins d'une heure, Blake m'embarquait dans l'autre sens pour nous rendre dans l'annexe qu'utilisent les urbains. Il m'a donné si peu d'explications que j'ai commencé à me dire que la théorie de la mafia asiatique n'était peut-être pas une invention.

À présent, je suis perdu. Danser devant son prof dont j'ai oublié le nom a été une véritable épreuve. Je n'étais pas prêt à faire ça. Mais surtout ses retours, certes en majorité positifs, me laissent avec d'innombrables questions sans réponse. Ça me stresse. M'inquiète.

Il me faut un moment avant de me rendre compte que Blake m'a suivi et a même remis son bras sur mes épaules. Je devrais le lui retirer et lui dire de me foutre la paix. J'en meurs d'envie. Si je m'écoutais, je le virerais de mon espace personnel, de ma vie à partir de cette seconde. Bien entendu, je n'en fais rien, j'en suis incapable.

— Je te paye un Fish & chips, déclare-t-il en s'emparant de ma main pour m'entraîner vers un foodtruck.

Je tente de lui résister, mais il a plus de force que moi. Alors je râle :

— Je ne veux pas de ton truc !

Il se fige et j'évite de peu de lui rentrer dedans. Il se tourne et plonge son regard dans le mien.

— Je veux me faire pardonner...

— Bah c'est pas avec de la bouffe que tu vas réussir, tu peux me croire !

Un de ses sourcils se lève à ma déclaration, mais il ne répond rien. Il reste là, immobile.

— Quoi ? m'impatienté-je.

— Je réfléchis à ce qu'il fonctionnerait avec toi...

Il croise les bras devant lui et n'ajoute rien. Il le fait exprès, pour que je lui demande, que je réclame. Mais il en est hors de question. Nous restons l'un en face de l'autre pendant que les passants nous contournent en nous regardant de travers. Je n'aime pas être dévisagé de cette manière, mais cela ne semble pas toucher le moins du monde Blake. Lorsqu'un homme d'une vingtaine d'années nous insulte, j'abandonne. Mes doigts se referment sur son poignet et je le tire sur le côté pour que nous ne gênions plus.

— Tu es énervant comme mec, tu le sais, ça ? grogné-je.

— On me le dit souvent ! confirme-t-il.

— Bon, alors ? Tu as fini de réfléchir ?

— Ouais...

Il se penche vers moi et me murmure au creux de l'oreille :

— Mais le seul autre moyen pour me faire pardonner qui me vienne à l'esprit serait illégal en pleine rue !

Sur ces mots, il attrape mon lobe entre ses lèvres avant de s'éloigner de moi. Mes joues chauffent tandis que je lui mets une tape sur le torse, gêné.

— T'es con !

— Tu disais pas ça le weekend dernier ! me taquine-t-il.

— Je confirme, tu es vraiment très con !

Il m'adresse un grand sourire avant de reprendre avec plus de sérieux.

— Je sais que j'aurais dû t'en parler réellement, mais... merde, il n'y a pas mort d'homme non plus alors accepte le fichu Fish & chips !

Je me mordille la lèvre, irrité par ce qu'il vient de me balancer. Bien entendu, il a raison. Il n'y a rien de grave, mais je déteste être mis au pied du mur comme ça. Je baisse les yeux, un peu honteux d'être si susceptible. Les bras de Blake m'entourent, une main dans mon dos et l'autre à l'arrière de mon crâne.

— Je n'aime pas être pris au dépourvu, avoué-je.

— J'ai cru remarquer...

Je pose mon front contre sa poitrine et respire à fond pour ravaler ma mauvaise humeur. Un soupir m'échappe avant que je l'interroge d'un ton un peu trop enfantin à mon goût :

— Et... Il a apprécié, hein ?

Il ricane à nouveau ce qui me fait grimacer. Sa main commence alors à me caresser les cheveux qui doivent pourtant être poisseux à cause de la transpiration.

— Oui !

— Même ma chorée ?

— Surtout ta chorée ! Mais ça fait des semaines que je me tue à te dire qu'elle est géniale.

Je relève la tête et nos regards se croisent. Les mots de Chad me reviennent m'affirmant que mon partenaire est honnête et qu'il ne dirait jamais quelque chose sans le penser réellement. À cet instant, j'espère sincèrement que mon ami a raison.

— OK, chuchoté-je.

— OK ?

— OK.

— OK alors !

Un sourire immense aux lèvres, il se recule un peu. Ses doigts quittent mon corps ce qui fait apparaître une moue sur mon visage. Son pouce et son index s'emparent de mon menton avant qu'il m'embrasse. C'est tendre, chaste et agréable.

— Allez !

Il tape dans ses mains et m'annonce :

— On va manger maintenant.

— Mais...

— À cause de moi, tu ne vas pas avoir le temps de déjeuner donc c'est normal que je te nourrisse.

Sans m'attendre, il se dirige vers le foodtruck où il ne tarde pas à passer commande. Cependant, je ne bouge pas, je le laisse faire tout en le maudissant. Pourquoi faut-il qu'il veuille me payer à bouffer ? Et encore plus un truc aussi gras qu'un Fish & Chips ? Quelques minutes plus tard, il revient vers moi avec, à la main, un plat emballé dans du papier journal.

— On va poser et on partage. Ça te convient ?

J'ignore pourquoi, mais cette solution me soulage et l'appétit me vient. Je hoche la tête et il me fait signe de le suivre. Je lui obéis sans opposer de résistance et nous allons nous asseoir sur la pelouse du petit parc qui est non loin de l'institut. Il me tend le cornet de nourriture et après une hésitation, j'attrape une frite. Il m'imite avant de relancer la conversation :

— Qu'est-ce que tu penses de l'idée des réseaux sociaux ?

Je grignote tout en réfléchissant. Son prof nous a dit que pour ce genre d'émission, avoir des réseaux sociaux est toujours un point positif, presque indispensable. Puisque le public compte autant que le jury lors de la finale, il serait bien de nous dévoiler un peu pour que les gens s'attachent, nous apprécient et du coup, votent pour nous. Mais en toute honnêteté, tout ça me dépasse.

— Il a sûrement raison, dis-je en piquant un morceau de poisson pané.

— Je pense aussi, confirme-t-il. Même si prendre des photos et des vidéos de moi ne m'enchante pas plus que ça ! C'est pas pour rien que je n'ai aucun compte !

— Quoi ? m'étonné-je, la bouche pleine.

Je mets une main devant pour ne pas être trop malpoli, mais continue de parler :

— Tu n'en as aucun ? Instagram, Twitter, Tik-tok ? Tu as Facebook quand même ? Tout le monde a Facebook à part mes parents !

D'un mouvement de tête, il confirme. Mais comment est-ce possible ? Après Ezra, maintenant Blake...

— Pourquoi ?

— Parce que ça ne m'intéresse pas ! répond-il simplement.

Pendant quelques minutes, nous mangeons en silence.

— Mais si on le fait ensemble, ça pourrait être... cool ?

— C'est une question ou une affirmation ?

Il allonge les jambes devant lui et bascule la tête en arrière, les yeux fermés.

— Une affirmation sûrement. En plus, je suis persuadé que ça plairait à Lettie de s'en occuper. Elle a suivi des cours de community manager à la fac. Elle pourrait mettre ses connaissances en pratique comme ça.

J'enfourne quelques frites et m'essuie les mains sur mon pantalon. Je sors mon téléphone et dans un élan spontané, je prends Blake en photo sans le prévenir. Puis une seconde, juste pour être sûr. Il est vraiment beau ainsi. Pour finir, je me rapproche de lui et tends le bras devant nous.

— Hey Blaky ! soufflé-je à son oreille.

Il ouvre les paupières et remarque aussitôt mon mobile.

— Tu fais quoi ?

— Je lance les hostilités !

Je lui ébouriffe les cheveux avant de nous photographier à plusieurs reprises, un sourire en coin.

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