Regrets
16 Mars 2035.
Je ramène mes cheveux en arrière et garde les mains sur mon crane en soufflant à fond. Par l'intermédiaire du miroir, je jette un coup d'œil à Blake qui poursuit l'enchaînement qu'il m'a montré tout à l'heure mais que je n'arrive toujours pas à maitriser. Ce sont des mouvements simples et pourtant j'ai un mal fou à les reproduire correctement. J'aime beaucoup ce qu'il a proposé mais il y a quelque chose qui me bloque et j'ignore ce que c'est.
Mes paupières se ferment avec force. Mon esprit repasse les gestes encore et encore. À droite, en haut puis je descends mais... Je grogne. J'ouvre les yeux et observe à nouveau Blake. Tout semble si fluide chez lui, d'une simplicité affolante alors que moi, je suis incapable d'en faire la moitié. Les mots de Chad me reviennent en tête :
Tu es l'un des meilleurs de notre année
Tu es un grand danseur
— Tu parles d'un grand danseur que je fais ! marmonné-je tout bas.
Mes bras retombent le long de mon corps et je me dirige vers le banc sur lequel je m'assois. J'attrape ma gourde et en bois une grande rasade, le regard à nouveau posé sur Blake qui, infatigable, continue de danser, semblant chercher une suite à la chorégraphie.
Lorsqu'il se fige en pleine concentration, je me permets un coup d'œil à mon portable que j'ai laissé à portée de main. Rien en dehors d'un sms de Chad me disant qu'il a croisé Johanna dans les couloirs quand il partait de l'école. Je soupire. Ce n'est pas que l'information ne m'intéresse pas mais ce n'est pas exactement ce que j'attendais.
Voilà une semaine que je n'ai plus de nouvelles d'Ady. La vexation et l'inquiétude se disputent la place dans tout mon être. J'ai demandé à Elliott mais lui non plus n'a pas eu de messages de mon ex. Cette affirmation m'avait au départ rassuré sur le fait qu'Ady ne m'évitait pas. Mais c'était avant que mon meilleur ami me fasse remarquer qu'il n'en avait jamais vraiment eu depuis juin dernier alors... ça ne voulait pas dire grand-chose.
— Petit con, murmuré-je en balançant mon mobile un peu plus loin.
Le pire dans tout ça, c'est qu'il fait ce que je voulais depuis que j'ai rompu en juin. Couper les ponts pour mieux se désintoxiquer de nous... Cependant, il aurait pu me prévenir avant de le faire. Surtout que la dernière fois que je l'ai eu au téléphone, il me suppliait presque pour que nous restions amis. Je ne comprends pas, je suis perdu et ça me gonfle que ce silence radio me prenne autant la tête. Je devrais plutôt être heureux et en profiter pour me concentrer sur ma vie, ma danse !
Je me frotte le visage pour faire disparaître les larmes, les doutes, la fatigue... Mais je sais que ça ne marchera pas. Ça serait trop simple. Je bascule la tête en arrière, les paumes appuyant sur mes yeux et tente de museler ma peine. Juste un peu plus longtemps, le temps de finir cette répétition et rentrer chez moi. Je peux le faire, j'en suis capable.
— Dae ! crie Blake, m'obligeant à porter mon attention sur lui.
Les poings fermés sur les hanches, il me fixe avec ce qui ressemble à de la méchanceté dans le regard.
— Quoi ?
— Quoi ? Tu me demandes vraiment ?
Il paraît irrité et malgré ce qu'il semble penser, je n'en connais pas la raison. Ou alors il vient enfin de comprendre que je n'étais pas à la hauteur pour ce concours puisque je n'arrive même pas à faire ces stupides pas dignes d'un débutant. Je suis loin d'être un grand danseur, il faut se rendre à l'évidence.
— Je te parle depuis deux minutes, mais tu m'écoutes pas !
Oups...
— Je t'écoute maintenant !
— Trop aimable ! lance-t-il, sarcastique. Je t'envoie un bouquet de remerciements tout de suite ou on attend qu'on loupe l'audition en beauté parce que tu as mieux à faire qu'à penser à notre chorée ?
— Hilarant ! ironisé-je, me renfrognant un peu plus. Mais je t'en prie...
Pendant les minutes qui suivent, il me parle de ce qu'il a en tête, de ce qu'il imagine. Comme je lui ai dit, je l'écoute mais je me contente de ça. Je ne réponds à rien parce que je n'ai vraiment aucune envie de faire ça à cet instant. Je suis comme amorphe. Je veux juste rentrer et voir tout ça plus tard. Dimanche ou quand Ady aura daigné se souvenir de mon existence...
— Tu en penses quoi ? finit-il par me questionner.
— C'est très bien...
Sur ces mots, je m'empare de mon hoodie, ou plutôt de celui que j'ai volé à Ezra, et l'enfile sans attendre. J'ai besoin de rentrer chez moi, de me retrouver seul dans le noir, sous ma couette. Je pourrais ainsi repenser à tout ce qui ne va pas dans ma vie, critiquer chacun des choix que j'ai pu faire jusqu'ici, me détester, chercher toutes les raisons pour lesquelles Ady me snoberait ainsi après m'avoir forcé à garder contact avec lui, pleurer tout mon soul et me détester encore un peu plus...
— Tu dois partir ? m'interroge-t-il, étonné, en me voyant faire.
— Ouais, j'ai... promis à mon frère de rentrer tôt pour...
J'essaie de mentir mais je ne trouve rien.
— Qu'est-ce que tu as aujourd'hui ?
— Ça va, lâche-moi ! grommelé-je, peu d'humeur.
Faire la discussion avec Blake est la dernière chose que je désire présentement. Je me lève et retire mon caleçon de danse. Je fais en sorte que mon pull couvre aussi mon bassin alors que je tourne le dos à Blake.
— Tu es insupportable, lâche Blake à mon attention.
Je fais un brusque demi-tour pour lui faire face. Comme s'il ne venait pas d'être désagréable avec moi, il est torse nu et plie avec application le t-shirt dont il s'est servi pour répéter ce soir. Il ne me regarde pas, c'est comme si je n'existais pas. Si je n'étais pas sûr de ce que j'ai entendu, j'aurais pu croire avoir rêvé ces mots.
— Pardon ? m'exclamé-je, cherchant à comprendre ce mec.
— Je ne veux pas que tu t'excuses, tu...
— Ça tombe bien parce que je ne le fais pas ! le coupé-je.
Il tourne son visage vers moi, un sourcil relevé. Son regard noir glisse sur moi avant qu'il ne secoue sa tête comme si je lui faisais pitié. Je comprends qu'il puisse avoir un tel élan envers moi en me voyant quasiment nu. Ce n'est pas pour rien que je veux maigrir et me muscler... Malgré tout, je garde la tête haute et croise les bras devant mon torse, mécontent.
— C'est quoi ton problème ?
Mon ton est sec et méchant, moi-même je l'entends. Mais le fait que je sois mal à l'aise ne m'aide pas à être agréable.
— Mon problème ?
Il a un ricanement nerveux qui me rend perplexe. Devient-il fou ? Il se relève et vient se poster devant moi. Il est plus grand que moi et cela m'oblige à me redresser un peu ainsi qu'à relever le menton pour lui tenir tête. À son tour, il croise les bras avant de me dire, froidement :
— Je vais très bien, merci. Mais toi, clairement pas !
— N'importe quoi.
— De toute la répète, tu n'as rien écouté de ce que je disais ! affirme-t-il.
Je secoue la tête en me détournant. Pendant que je cherche mon pantalon, il poursuit :
— Et je ne parle même pas de ton niveau. Tu as été incapable d'aligner deux pas corrects.
Mon jean à la main, je lui refais face. Ma colère semble irradier de tout mon corps. Il semble surpris parce qu'il fait un pas en arrière.
— Écoute...
Je le pointe du doigt en le fusillant du regard.
— Contrairement à toi, je n'ai jamais eu la prétention de dire que j'étais doué. C'est toi qui es venu me chercher alors si mon niveau ne te convient pas, tu n'as qu'à t'en prendre après toi-même !
Je ne réfléchis plus, je déverse ma mauvaise humeur, ma déception et ma colère envers Ady, sur Blake mais je ne peux pas faire autrement. Surtout que ça me fait un bien fou. Alors je continue sur ma lancée, toujours peu avenant :
— Trouve toi un meilleur partenaire et viens plus me faire chier !
Il lève les yeux au ciel à l'écoute de ma réplique que je voulais cinglante mais il parait être plus fatigué de m'entendre qu'autre chose, comme si ce que je disais n'avait aucun intérêt pour lui. Soudain, une envie de le gifler me prend. Juste là, au creux de mon estomac, elle se réveille.
— Quoi ? Tu n'as pas trouvé un autre couillon pour accepter de jouer les petits chiens ?
Cette fois, je semble faire mouche... Nous nous défions du regard mais, à l'inverse de notre duel visuel au café, je ne veux pas être celui qui abandonne. Ras le bol d'être toujours le perdant. Cependant, il ne mentait pas quand il disait être têtu. Il ne bouge pas d'un cheveu. Mais moi non plus. Je m'imagine lui assener quelques coups de poings sur son torse alors que sa position fait un peu trop ressortir ses pectoraux.
— Dis-moi, commence-t-il avec calme ce qui me perturbe un peu. Est-ce que ça va être comme ça jusqu'à la fin ?
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
— Je te parle de... tout ça !
Entre nous, il fait un grand cercle du bras, paume tournée vers moi pour me désigner.
— De ta capacité de passer d'un gars agréable et drôle à cette tête de lard que je me suis coltiné ces deux dernières heures !
Je ne peux pas retenir la grimace qui s'affiche sur mon visage. Dire que je suis vexé est un euphémisme. Mon envie de lui faire mal n'a jamais été aussi forte qu'à cet instant.
— Oh parce que tu vas me faire croire que tu es un modèle de stabilité mentale peut-être ? Entre le tyran avec moi et le gamin timide avec Chad, ça frôle le dédoublement de personnalité !
Ses sourcils se haussent sous l'étonnement. Une émotion proche de la tristesse traverse son regard, j'ai réussi à le blesser mais en opposition à ce que j'aurais pu penser, je ne me sens pas mieux. Bien au contraire, c'est pire parce que je sais que Blake n'est pas responsable de mon état actuel...
— Sérieusement ? T'es obligé de me parler comme ça ? m'interroge-t-il.
Mais je suis borné, et encore plus quand je suis en tort. Je ne réponds rien, ne m'excuse surtout pas. Je me détourne et enfile enfin mon pantalon que j'avais toujours en main.
— Dae...
Sa voix n'est qu'un murmure, presque une supplique. Il empoigne mon bras pour m'obliger à me tourner vers lui vu que je refuse de le regarder. Cela me ferait trop mal.
— Si je t'ai dit que tu n'étais pas au niveau, ce n'était pas pour... jouer les tyrans comme tu le penses. Juste... je vois bien que ça ne va pas aujourd'hui et...
Je me retire d'un geste brusque de son emprise et le foudroie du regard.
— Tout va très bien, mens-je dans un automatisme de protection.
Je déteste montrer mes faiblesses ainsi. Avant, j'étais doué pour cacher mes blessures. Je collais un sourire factice, jouais les licornes et le tour était joué. Mais depuis ma rupture avec Ady, je ne sais plus faire semblant, c'est trop douloureux, trop lourd pour moi.
— Bien sûr que non ! Je sais qu'on est pas vraiment proches mais...
Il hausse les épaules, un peu perdu dans sa gentille proposition. Il ne doit pas être habitué à ce genre de choses et pourtant, il fait l'effort avec moi. La culpabilité monte alors en moi, les larmes reviennent. Il faut que je parte tout de suite d'ici si je ne veux pas pleurer devant Blake.
— Je vais très bien et n'ai besoin de personne !
Frénétiquement, je range mes affaires dans mon sac que je referme.
— Si tu ne veux plus de moi, tu me le dis... sinon on se retrouve dimanche ici !
Je n'attends pas deréponse et m'enfuis d'ici. J'ai à peine mis un pied dans le couloir que je sensdéjà mes larmes de regrets couler.
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