P'tits pieds
Petite surprise parce que je vous aime bien 😉
Le chapitre d'aujourd'hui entame un virage important dans l'histoire...
Sinon l'écriture avance bien. Même si je n'ai aucun plan, je sens que je me rapproche de la fin. Les choses commencent à bien se mettre en place. Je l'ai réalisé ce weekend... psychologiquement, je suis un peu en PLS parce que la fin de Dae sonne la fin de la saga. Enfin mon cerveau ne semble pas d'accord avec ça 🥲
Je croise les doigts pour que la suite vous plaise !
Merci 💜💜💜
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17 Mars 2035.
Depuis presque un quart d'heure, je déambule dans les rues de Londres, tournant à droite, à gauche. Des dizaines de questions se bousculent dans mon cerveau, m'empêchant de profiter de ce qui m'entoure. Je m'interroge sur l'endroit où Blake m'a donné rendez-vous. Mais surtout sur le fait qu'il m'en veuille ou non de ce que je lui ai fait hier.
L'image de Blake m'engueulant dès qu'il m'aura dans son champ de vision est bien imprégnée dans mon esprit. Passe et repasse sans cesse, ne me rassurant pas le moins du monde. Il faut être réaliste... son message était très laconique et ne laissait pas présager de bonnes choses... Enfin l'être humain qui l'a envoyé n'est pas très bavard non plus en temps normal...
Malheureusement s'il agissait ainsi, je ne pourrais pas lui en vouloir non plus. Mon comportement avec lui a été exécrable mais ce n'est pas pour autant que je veux me prendre une soufflante quand je le retrouverai. Si c'est un vrai rendez-vous... Je m'arrête en plein milieu d'une rue, paralyser par un souvenir qui me traumatisme depuis plus de dix ans.
Moi attendant comme un idiot devant le cinéma, sous la pluie.
Je renifle et me redresse un peu, essayant de trouver un peu de courage en moi. C'est du passé. Je ne suis plus ce gamin. Blake n'est pas cet enfoiré de l'école. Il a ses défauts mais il ne me ferait jamais ça. Je me mordille la lèvre et jette un coup d'œil autour de moi pour déterminer si quelqu'un a vu mon moment de faiblesse puis reprends mon chemin.
Je tente de me rassurer en me répétant que s'il m'a donné rendez-vous, c'est qu'il y sera et qu'il ne doit pas être si en colère mais ça ne fonctionne pas beaucoup. J'ai une boule au creux de mon estomac qui ne fait que grossir à mesure que j'avance. Blake ne me fera pas de mal... Cette certitude qui sort de je ne sais où, me permet de continuer d'avancer, de ne pas faire demi-tour et retourner sous ma couette comme ma raison et mon cœur me le hurlent depuis tout à l'heure.
Quand j'ai lu l'adresse que Blake m'a envoyée, sans autre explication, j'ai cru la reconnaître. Comme une réminiscence. Mais je ne m'étais pas arrêté dessus parce que je n'avais qu'une heure pour me doucher, me préparer et surtout me rendre au lieu du rendez-vous. Mais j'aurais peut-être dû prendre deux minutes pour y réfléchir et la montrer à Sun...
Lorsque le GPS de mon téléphone m'indique que je suis arrivé à bon port, je lève les yeux vers la façade de l'immeuble. Au-dessus de la double porte, une grande enseigne blanche trône sur laquelle a été peint en vert quelques mots. Des mots qui me parlent. Des mots qui me font sourire jusqu'aux larmes.
Association des P'tits pieds.
Je vérifie l'adresse que Blake m'a donnée, comme si j'avais pu me tromper alors que j'ai fait un copier-coller. Mais la coïncidence est trop grande. Cela faisait des années que je n'avais pas vu ce bâtiment, cette entrée. Presque six ans.
Je fais un tour sur moi-même pour tenter de retrouver mes repères. Mais je ne reconnais pratiquement rien. Le quartier a bien trop changé depuis tout ce temps. Je dirais même qu'il est devenu un peu plus chic. Un immeuble a même été rasé au coin de la rue et le petit parc qui le remplace semble très agréable.
Je tapote mes joues avec le bout de mes manches de gilet qui dépassent de mon bomber. Des larmes de nostalgie ont coulé sans que je ne puisse les retenir. Je prends une profonde inspiration, hésitant à entrer. Mon regard balaie les alentours pour repérer Blake mais j'ai dix minutes d'avance alors il ne doit pas être encore dans les parages.
Une main refermée sur mon portable dans ma poche, je suis sur le point de le sortir pour lui envoyer un message pour le prévenir que je suis arrivé quand la porte de l'association s'ouvre sur l'accueil et un sourire apparaît sur mes lèvres. Une mère et son fils sortent me permettant d'apercevoir l'intérieur qui lui ne semble pas avoir changé. Mon cœur en est heureux.
Avant que la porte ne se referme, je me faufile dans le bâtiment dans un élan irréfléchi. Je fais quelques pas dans l'association et toute mon enfance me revient dans la tronche tel un boomerang. Mon premier cours de danse durant lequel ma timidité s'est envolée dans la seconde pour laisser place à la joie d'apprendre. Ses heures passées dans cette salle où la barrière de la langue n'était plus un problème pour le petit immigré coréen que j'étais. Cette liberté que cette organisation m'a enseignée pendant des années.
Mon cœur se remplit de nostalgie mais aussi de bonheur parce que je réalise que ce sont les bons souvenirs que je garde de ces locaux. J'essuie discrètement une dernière larme qui se faisait la malle et avance de quelques pas dans le hall. Le comptoir que je ne dépassais pas la première fois que je suis venu avec Sun est toujours là, trônant fièrement devant moi. Un sourire se dessine sur mes lèvres.
Dans un coin de mon champ de vision, je perçois du mouvement. Mon attention se porte alors sur... Blake. Un genou à terre, il parle à un enfant qui ne doit pas avoir plus de sept ans. Une de ses mains est posée sur l'épaule frêle du gamin qui hoche doucement la tête comme pour affirmer qu'il a compris ce qui lui a été dit. Blake lui ébouriffe les cheveux avant de le laisser se précipiter vers la sortie, vers moi. Mes yeux suivent le garçon qui saute dans les bras d'un homme qui doit être son père. J'ai toujours aimé voir les interactions de ce type entre un père et son fils. Ça me fait sourire de tendresse.
Mon intérêt revient sur Blake qui s'est relevé et se tient bien droit, les bras croisés devant son buste. Pendant un instant, je le détaille. De ses pieds nus sur le tatami à sa tenue blanche d'art martial. De sa ceinture noire nouée autour de sa taille à ses cheveux tirés en arrière en un bun parfait. De sa moue boudeuse à ses sourcils froncés. De ses pectoraux mis en avant à son regard plus doux que je ne l'aurais imaginé.
Ma bouche s'ouvre pour dire quelque chose, m'excuser au moins mais rien ne vient. J'enfonce mes mains dans les poches de mon bomber et prends une inspiration. J'entre enfin dans la salle en passant à côté de la porte sur laquelle est accrochée une pancarte où le mot Taekwondo est noté comme lorsque je venais ici.
— Pas de chaussure sur mon tatami ! annonce-t-il en faisant un signe du menton vers mes pieds.
Je baisse les yeux comme si je découvrais la présence de mes boots noires et recule d'un pas. Ma main ramène en arrière mes cheveux, gêné. Il faut que je m'excuse. Même si je l'ai fait par écrit, je dois le refaire en personne.
— Alors c'est ici que tu travailles les mercredis et samedis ?
Pour les plates excuses, on repassera mais c'est un début. J'ai ouvert la bouche sans être désagréable avec lui, c'est mieux qu'hier.
— Ouais.
Il semblerait qu'il ne voit pas mon évolution. Ou alors il ne veut pas faire des efforts. Normal ! Je le comprends. Je me racle la gorge.
— Je... Je suis... J'ai pris mes premiers cours de danse ici.
Je dois être lâche. Sans aucun doute.
— Je sais.
Mes yeux s'écarquillent à la réponse qu'il m'offre. Dire que je suis surpris n'est même pas proche de la réalité. C'est au-delà de ça.
— Tu es médium ? m'exclamé-je. Ou un stalker ?
Il soupire comme si mes questions n'avaient aucun sens. Pourtant, il vient de dire qu'il est au courant de quelque chose dont je n'ai parlé à personne.
— Je ne savais pas vraiment mais j'avais de sérieux doutes, nuance-t-il en décroisant ses bras.
Mais sa phrase n'a pas plus de sens pour moi. D'où lui vient cette intuition ? Je fronce les sourcils en espérant que ça l'encourage à me donner plus de détails.
— Mon père a longtemps enseigné ici, m'explique-t-il en s'avançant un peu vers moi. J'y ai donc passé la moitié de ma vie. Alors quand tu m'as parlé de ta prof de danse classique qui s'appelait Madame Rose et ta description d'elle... J'ai fait le rapprochement.
Je hoche la tête mais l'information met un certain temps avant d'atteindre mes cellules grises. Instinctivement, je fais à nouveau un pas en arrière. C'est trop bizarre de penser qu'il y a dix ans, nous étions peut-être tous les deux dans ce bâtiment. Que nous nous sommes sûrement croisés à plusieurs reprises. J'ai un léger frisson à cette idée.
— Tu as passé l'autre où ?
Ma bêtise me surprendra toujours. Au lieu de faire face à ce que ma mère appellerait le destin, je m'intéresse à ce qui ne me regarde pas, ne me concerne pas, n'a aucun lien avec moi. Il met quelques instants pour comprendre ma question puis finit par me répondre :
— Dans l'école de Taekwondo que mon père a ouvert ensuite en banlieue.
— Tu dois être proche de lui...
Il hausse les épaules avant de resserrer sa ceinture de manière machinale.
— Comme un père avec son fils.
Je baisse les yeux sur le bout de mes boots et le silence s'installe entre nous pendant que je réfléchis à la relation qu'un garçon devrait avoir son père. Est-ce que ça m'aurait plu de passer tout mon temps avec le mien comme Sun l'a fait ou comme Blake a semble-t-il passé avec le sien ? Est-ce que j'aurais apprécié partager la même passion avec lui ? Les réponses allègent mon cœur.
J'aime qu'il vienne à mes spectacles, qu'il m'encourage mais n'aurais pas apprécié plus que ça que mon père m'enseigne la danse. Ce que nous avons me suffit en fait. J'aime que ça m'appartienne, que je sois le seul de la famille à savoir danser. Ça me donne la sensation d'être... unique. Je renifle mal à l'aise avec mon égoïsme évident.
Le bruit des pieds nus de Blake sur le tatami quand il s'approche de moi, me fait relever la tête. Nos regards se croisent, faisant tambouriner mon cœur anormalement. Il est beau et cette tenue blanche le change complètement. Je m'humidifie les lèvres quand il s'arrête à quelques centimètres de moi. Je pourrais presque sentir sa chaleur irradier. Je perds pied.
— Je suis désolé pour hier. Je n'aurais pas dû me comporter comme je l'ai fait avec toi. C'était... con et... irrespectueux. Je... J'ai quelques problèmes avec mon ex, il... Bref, je n'aurais pas dû retourner ma peine et ma colère contre toi.
Alors que je tremble presque de stress d'avoir dû faire ça, son visage m'indique qu'il réfléchit à mes excuses. Je planque mes mains dans les poches arrière de mon jean en déglutissant et attends sa sentence qui ne tarde pas :
— N'en parlons plus !
Il me contourne mais une fois à mon niveau, il murmure, le regard fixé devant lui :
— Mais s'il t'emmerde encore, je peux m'en occuper...
Son ton est sec et froid, m'empêchant de douter sur son sérieux et sa sincérité. Mon cœur s'affole à cette écoute. Sa déclaration ressemble à celle d'un ami et me laisse abasourdi. Je suis incapable de lui répondre quoique ce soit. Il s'éloigne alors pour rejoindre un coin de la pièce où il a posé ses affaires. Il prend une gourde noire et boit une grande rasade d'eau.
Je n'arriverai jamais à cerner ce mec. Il est trop compliqué pour mon cerveau. Les secondes qui suivent, Blake fait comme si je n'étais pas dans la même pièce que lui. Dos à moi, il s'essuie le front avec une serviette, vérifie son portable, enfile des claquettes noires. Je me gratte l'arrière du crâne, gêné. Qu'est-ce que je fous là ?
— Euh... Merci... je crois, marmonné-je, une éternité plus tard.
J'avale ma salive avec difficulté. Il se penche en avant, mettant ses fesses en valeur. Mes joues s'empourprent immédiatement alors je me détourne en baragouinant les premières choses qui me viennent à l'esprit pour mettre fin au silence :
— Tu donnes des cours ici ? Des cours de Taekwondo, c'est ça ? C'est ton père qui t'a appris ? Tu donnes aussi des cours de hip-hop ? Et tu en donnes depuis longtemps ? Tu n'es pas un peu jeune d'ailleurs ? Enfin c'est étonnant, je ne l'aurais pas deviné. Je ne te voyais pas comme quelqu'un avec assez de patience pour enseigner quelque chose à des enfants. En tout cas, avec moi, tu n'en as pas...
— Tu parles trop ! me coupe-t-il. Encore !
Contrairement aux fois précédentes, il y a un fond d'amusement dans son timbre de voix alors au lieu de m'énerver, je souris un peu. Je fais demi-tour et il me fait face, les mains posées sur ses hanches.
— Je n'ai pas de patience avec toi parce que tu n'es plus un gamin... C'est comme si tu cherchais constamment à te saborder tout seul en pensant que tu n'es capable de rien. C'est d'un pénible venant d'un mec aussi talentueux que toi ! déclare-t-il de manière désinvolte.
À peine a-t-il fini de parler qu'il s'éloigne vers l'accueil où il disparait et à nouveau, je suis trop stupéfait par ce qu'il m'a dit. Je regarde autour de moi dans l'espoir de trouver quelqu'un qui pourrait confirmer que je n'ai pas rêvé ce que Blake vient de me dire mais bien entendu, il n'y a personne. Je soupire et le suis finalement.
Blake n'est pas dans le hall mais au milieu de la salle de danse, dans celle-là même où j'ai fait mes premiers pas. Il fait face au miroir qui recouvre tout un pan de mur. Il étire ses bras au-dessus de lui puis fait craquer son cou.
— Pourquoi tu m'as fait venir là ? l'interrogé-je.
— J'ai une heure et demi de libre avant mon prochain cours donc on va rattraper le retard qu'on a pris hier par ta faute !
Il tend le bras vers une chaîne hifi, tenant dans sa main une télécommande que je n'avais pas remarquée jusque-là. Notre musique pour l'audition commence et il balance ses claquettes à travers la pièce pour pouvoir danser sans risquer de tomber. Je le regarde danser. Ou plutôt je l'admire évoluer dans la salle. Impressionné, ma bouche s'ouvre sans mon accord tant sa puissance et sa fluidité sont incroyables. Il me ferait presque trembler d'adoration.
Il y a toute une partie de la chorégraphie que j'ai l'impression de découvrir, me prouvant à quel point je n'étais pas concentré dernièrement pendant nos répétitions. Un petit sourire satisfait apparait sur mes lèvres quand je reconnais des pas que je lui avais proposés. Quand il s'arrête de danser, il pose ses poings sur ses hanches pour reprendre son souffle en me fixant par l'intermédiaire de nos reflets dans le miroir.
— Tu comptes rester planter là longtemps ?
Sa voix me sort de mon observation. Dans des gestes saccadés, je retire mon bomber ainsi que mon gilet que je laisse tomber par terre. J'hésite un instant à poser mes boots mais décide finalement de les garder en voyant que Blake s'impatiente. Je m'avance vers lui et me mets derrière lui dans notre position initiale. La musique repart et nous nous mettons à bouger en rythme sans nous concerter.
À cet instant, je crois que je suis bien. Je me sens à ma place.
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