Licorne

27 Juin 2035.

Un pas chassé.

Un dernier jeté.

Demi-tour.

Arabesque.

Je finis en quatrième position.

Mon regard se porte alors sur les membres du jury qui sont assis derrière une longue table en bois massif. Parmi eux, mon prof de danse classique, Jones. Les autres sont des professionnels, pour la plupart d'anciens élèves. La directrice de l'institut, ancienne danseuse étoile, préside et me dit, une fois la musique évanouie :

— Merci Monsieur Lim !

Je remarque le sourire de l'un d'eux, je réalise alors une révérence pour les saluer et me retire. Je retrouve les vestiaires et mes yeux détaillent aussitôt les lieux. Tout à l'heure, je n'avais pas la tête à visiter. Je suis à l'étage affecté aux examens de toutes les promos. Aujourd'hui, c'est réservé aux première année de la section classique. Un garçon de ma classe est d'ailleurs en tenue et termine de s'échauffer dans un coin.

— Ça s'est bien passé ? me demande-t-il.

Je hausse les épaules, ne sachant pas trop.

— Je ne me suis pas ridiculisé, plaisanté-je.

Je réussis à lui arracher un sourire, brisant son stress. Cet examen est le plus important pour nous alors je ne peux que comprendre son angoisse.

— Mais ils sont cools, essayé-je de le rassurer.

Il murmure un merci avant que je ne m'éloigne pour retrouver mes affaires. Assis sur un banc, je tente de refaire mon passage dans ma tête pour déterminer où j'ai commis des erreurs. J'en compte au moins cinq. Mais des mineures, c'est déjà ça. Je soupire.

Un instant, j'hésite à prendre une douche. Mon dernier examen n'a pas duré cinq minutes. En plus, je dois être attendu... Je secoue la tête. Raison de plus pour me laver. Je suis enfin en vacances, tous mes partiels sont terminés alors j'ai bien l'intention d'en profiter. Dès ce soir. Alors même si cela se fera sûrement dans quelques heures, je vais me laver.

Heureusement que je suis un habitué des douches les plus rapides de l'univers. Je ne mets pas bien longtemps pour sortir et enfiler mes habits de ville, en regrettant de m'être contenté d'un t-shirt blanc, on a connu plus sexy. En soupirant, je fourre mes affaires dans mon sac de sport et me précipite dehors.

Il me l'avait promis. Il m'avait dit qu'il viendrait directement après ses cours à l'association et il l'a fait. Adossé au mur face à ma porte et la tête baissée sur son téléphone portable, il n'a pas encore remarqué ma présence. Je souris et me délecte de son physique discrètement. Mon regard passe de ses éternelles converses roses à son nouveau jean bleu. Ses pectoraux sont mis en valeur dans sa chemise noire dont les manches remontées sur ses avant-bras laissent apparaître ses quelques tatouages. Il a coincé sa casquette Chicago Bulls sur sa tête.

Il est beau comme un dieu.

— Mon mec est quand même sacrément canon ! lancé-je naturellement en me mordillant la lèvre.

Il relève les yeux, un sourire en coin.

— Si tu voyais le mien, il l'est encore plus, réplique-t-il.

Je me précipite sur lui et il me réceptionne avec facilité. Il me serre dans ses bras et son rire rejoint le mien. Malgré les mois qui sont passés et tout ce que nous avons déjà fait, mon cœur s'emballe à cette simple étreinte. J'en profite quelques secondes puis me recule. Je l'embrasse chastement en lui disant :

— Merci d'être venu me chercher !

Souriant, il m'adresse un clin d'œil. Il se penche pour attraper un petit sac que je n'avais pas remarqué jusqu'à présent. Il me le tend en me déclarant :

— Tu as mérité une petite récompense !

Je fronce les sourcils en le prenant et jette un regard à l'intérieur. J'ai un éclat de rire en découvrant ses cadeaux. Une limonade rose parce qu'il sait très bien que j'adore ça. À ses côtés, il a glissé un sachet de noix de cajou. Je m'en empare et le secoue dans les airs comme une coupe.

— Victory !

Sans attendre plus longtemps, je l'ouvre. Quand j'enfourne quelques fruits, je laisse un petit gémissement de satisfaction m'échapper qui amuse Blake. J'ai passé ces derniers six mois à espérer qu'il partage ses noix de cajou avec moi et c'est enfin arrivé.

— Merci, répété-je.

Sur la pointe des pieds, je l'embrasse, laissant ma main frôler sa mâchoire. Il m'allège de mon sac de danse puis passe son bras libre sur mes épaules. Tout en m'entrainant dans le couloir, il se renseigne sur mon examen :

— Alors comment ça s'est passé ?

— Ça va...

Je hausse les épaules alors que nous avançons.

— Mais je n'ai pas assez tendu la jambe pour une arabesque et j'ai fait une erreur dans le rythme, commencé-je, ne pouvant pas me taire. Tu sais sur le...

— Monsieur Lim ?

Cette voix me fige. Je souhaiterais seulement continuer d'avancer, mais je n'ai pas le choix. Il va falloir que j'opère un demi-tour pour lui faire face. Blake me tapote l'épaule pour m'encourager. Je soupire et me tourne. Comme prévu, Jones se tient à quelques mètres de nous, toujours son port de tête fier et royal, mais c'est son regard de fouine qui me met mal à l'aise.

— Oui, monsieur ?

— Au nom du jury et de moi-même, j'aimerais vous féliciter pour votre prestation. Vous avez été exemplaire.

Ma bouche s'ouvre sous l'étonnement. C'est la première fois en une année scolaire qu'il me complimente. Cela ne devrait pas compter autant parce que cet homme a été odieux avec moi à maintes reprises. Cependant, l'entendre me dire ça est comme une petite consécration.

— Merci, monsieur, balbutié-je.

— J'espère que vous repasserez les auditions pour le ballet de l'année prochaine !

Alors là, je suis sur le cul. Je marmonne quelque chose d'incompréhensible et Blake vient à mon secours en répondant sèchement :

— Il y réfléchira !

Jones hoche de la tête, peu satisfait, mais il reste digne comme toujours.

— Désolé, nous sommes attendus, ajoute mon petit-ami.

Je me contente d'un sourire crispé et suis Blake dans les couloirs de l'institut. Nous croisons quelques étudiants. Certains nous regardent de travers, d'autres semblent surpris de nous voir aussi proches. Ces regards ne paraissent pas atteindre Blake et pour ma part, mon esprit est trop embrouillé par l'intervention de mon prof de danse pour y faire attention ou réussir à faire la conversation avec mon petit-ami. Mais ce dernier ne semble pas enclin à me laisser dans mes réflexions. Quand nous passons l'immense porte du hall, il me fait la remarque :

— Ton prof de classique te dit que tu as été exemplaire et toi, tu trouves encore des erreurs ?

Il fait glisser sa main dans mon dos, le long de mon bras et lie nos doigts ensemble.

— Ce n'était pas parfait, me défendé-je.

Il me tire pour me faire changer de chemin et nous traversons la rue.

— Ce n'est jamais parfait, Dae. Ça n'existe pas.

Je lève les yeux au ciel.

— C'est toi qui oses me dire ça ?

Il rit en sortant ses clés de sa poche de jean. À distance, il déverrouille sa voiture dans laquelle il pose mon sac.

— Tu gardes ton goûter ? me demande-t-il.

Je papillonne des paupières et regarde mes petites récompenses, une moue aux lèvres.

— Tu m'achèteras une pomme d'amour ?

Mon ton ressemble un peu trop à celui d'un enfant, mais cela ne perturbe pas Blake qui m'ébouriffe les cheveux, souriant.

— Et même des chichis !

Aussitôt, je plaque mon sac sur son torse en m'exclamant :

— Je le garde pour ce soir à la maison alors.

Il le récupère et pendant qu'il le range, je commence à marcher vers Hyde Park. En cette fin d'après-midi, le soleil n'est plus aussi haut, mais aucun nuage ne le cache, nous permettant de profiter de ces rayons. Il y a un léger vent qui rend la chaleur supportable. Arrivé à un coin de rue, je ferme les paupières et profite de ce doux moment, la tête tournée vers le ciel bleu.

Le bruit des pas de Blake courant sur le trottoir me parvient et me fait sourire. Je tends le bras en arrière, impatient d'avoir à nouveau ce lien avec lui. Il ne tarde pas à s'emparer de ma main et de la serrer comme s'il y avait encore le risque que je lui échappe. Il dépose un baiser sur ma tempe.

— Tu veux faire quoi ?

J'ouvre les yeux et nous tournons sur la gauche. Nous sommes encore loin de Hyde Park, mais la grande roue et même le grand huit sont visibles d'ici. Les basses d'une musique quelconque résonnent et je me réjouis de ne pas habiter dans ce quartier.

— Je veux faire du tir, l'araignée, le grand huit, le kart, le viking aussi.

Tout en énumérant, je compte sur mes doigts tout ce que je veux faire.

— Le toboggan d'eau. Les pommes d'amour et les chichis que tu m'as promis.

— OK, tu veux tout faire en fait ?

Je secoue la tête.

— Je suis pas très fan de la maison hantée.

— Tu as peur ?

— Non ! Ces trucs, ça m'ennuie toujours.

Il ricane.

— Je ne t'imaginais pas comme ça !

— Quoi ? m'exclamé-je. Auriez-vous des préjugés, Monsieur Lee Brown ? Juste parce que j'adore les licornes et les paillettes, je devrais avoir peur de mon ombre ?

Il soupire à mes interrogations.

— Je n'ai aucun préjugé... et encore moins te concernant ! Tu es capable de tout.

Pour pouvoir prendre à droite, nous rejoignons l'autre trottoir en nous dépêchant pour éviter de nous faire écraser par une voiture.

— Capable de tout et surtout du pire te diraient certaines personnes !

Il me rapproche de lui et passe le bras qui me tient par la main, autour de mon cou.

— Ces personnes ne te connaissent pas aussi bien que moi !

J'ai envie d'argumenter. De lui dire que parmi elles, Sun a dû être en bonne position pendant une dizaine d'années, mais je ne veux pas parler de ça. Je souhaite seulement profiter de notre sortie. Depuis vendredi dernier, Londres organise une fête foraine, Summerland, dans Hyde Park, pour les deux prochains mois. Si jusqu'à présent, j'ai refusé de m'y rendre à cause de mes partiels, Blake m'avait proposé d'y aller aujourd'hui, dès que nous serions libres.

— Je garde en tête que tu aimes les licornes, les paillettes et les morts vivants. Ton gâteau d'anniversaire va être d'enfer ! me fait remarquer Blake au creux de mon oreille.

Il veut seulement changer de conversation, mais j'imagine aussitôt le mélange que cela pourrait donner et j'aime beaucoup l'idée. Ça serait génial.

— Maintenant que tu m'en as parlé, tu as intérêt à ce que je l'ai ! répliqué-je.

À peine ai-je fini ma phrase que l'entrée du parc est enfin visible. Je trépigne tellement d'impatience à l'idée de tout ce que nous allons faire que je lâche Blake et sautille jusqu'au portail où une file d'attente s'est formée pour entrer. Le temps que Blake me rejoigne, j'ai déjà fait connaissance des jeunes filles qui sont juste devant moi.

Bien entendu, comme à son habitude, mon petit-ami ne fait aucun effort pour alimenter la conversation qui porte sur les manèges que nous allons découvrir. Toutefois, il ne fait aucune remarque désobligeante quand l'une devient hystérique à propos des machines à peluches ou quand l'autre lui pose une question. Il se contente d'observer les alentours, les mains dans les poches. Mais il reste là à mes côtés.

Quand nous passons enfin l'entrée, il accroche mon index et tire dessus pour me signifier que nous allons par la gauche. Il le fait exprès parce que les deux filles, quant à elles, nous attendent sur la droite. D'un geste de sa main libre, il les salue, un sourire crispé aux lèvres.

— On aurait pu rester un peu avec elles, dis-je, innocemment.

— Puis quoi encore ? grogne-t-il. Je suis venu ici pour être avec toi, pas avec des inconnues surexcitées.

Je me retiens de rire à cette déclaration.

— Oh, je les ai appréciées, moi !

Il marmonne quelque chose d'incompréhensible. Amusé, je me dépêche de lui grimper sur le dos. Il calle ses mains sous mes cuisses pour m'empêcher de tomber. Je lui souffle à l'oreille :

— Mais c'est toi que j'aime, mon petit asocial !

— Ouais, ouais...

Malgré la nonchalance qu'il tente de mettre dans sa réponse, j'entends le sourire qui s'est affiché sur ses lèvres. Je lui embrasse la peau sous le lobe.

— Bon, tu veux commencer par quoi ?

— Le tir !

— Tu ne veux pas une pomme d'amour d'abord ?

— Non, je veux une licorne en peluche ! J'adore les peluches, m'écrié-je tel un enfant.

Pendant un court instant, je regrette ma déclaration. Je ne l'ai jamais dit à qui que ce soit, me contentant de cacher ma collection dans mon placard chez mes parents.

— Faisons ça alors ! confirme mon beau brun.

Ma peur d'être ridicule s'envole aussi vite qu'elle est apparue. Je passe mes bras autour de son cou et le serre un peu pour que mon corps se love à la perfection au sien. Moi toujours perché sur lui, nous nous faufilons à travers les allées de la fête tout en discutant. Nous nous perdons. Faisons demi-tour. Bousculons un couple. Ricanons.

Quand nous arrivons au tir à la carabine, je repère aussitôt Chad, un fusil à la main. Je le désigne à Blake qui se positionne derrière le grand blond. Je remarque alors deux personnes qui l'encouragent. Un gars et une fille qui me semblent familiers. Sûrement des étudiants de l'institut. Notre ami vise des ballons de couleur, mais ces derniers bougent tellement vite, qu'il n'en touche pas un seul malgré ces nombreux essais.

— Et si tu laissais un pro s'en occuper ? intervient Blake.

Le petit groupe se tourne vers nous et en nous voyant, la bouche des inconnus s'ouvre d'étonnement alors que Chad se renseigne :

— Ah parce que tu sais tirer, toi ?

— Pas moi, mais Dae !

Un sourcil de Chad se lève. Je lui adresse le plus grand sourire que j'ai en stock. Blake me laisse descendre de son dos et je m'avance vers mon ami, les bras tendus. Il comprend ce que je veux alors il me donne son fusil. Je m'approche du zinc de l'attraction. Je commence à mettre des plombs dedans et Blake en profite pour poser un billet pour le forain.

Je l'embrasse pour le remercier puis me concentre pour tirer. Je prends une profonde inspiration avant de bloquer ma respiration. Sans la moindre hésitation, mon doigt appuie sur la gâchette. Une. Deux. Trois fois. Les ballons éclatent les uns après les autres pour mon plus grand plaisir. Les cris de Chad et de la fille résonnent à mes oreilles, gonflant mon cœur de fierté.

— Nom d'une crotte de cheval boiteux ! s'exclame-t-il.

Il me donne une tape sur l'omoplate, me faisant un peu basculer vers l'avant.

— Mais t'es un bon, toi !

Suite à sa remarque, je ne me fais pas prier pour enchaîner les parties tout aussi parfaites. Une fois ma mini-licorne en peluche entre les mains, nous décidons de nous rendre tous les cinq à un stand de confiseries sous les compliments de Chad et ses amis. Je finis par apprendre que ce sont deux étudiants de ma section ainsi que leur prénom, Leen et James.

Quand nous arrivons au kiosque, les garçons vont faire la queue pour passer commande alors que je reste en retrait, aux côtés de Leen. Nous papotons de tout et de rien, comme de nos examens de classique. Elle me félicite pour les mots de Jones, ça semble lui faire plaisir.

— Vous sortez ensemble depuis longtemps ? s'intéresse-t-elle soudainement. Blake et toi.

Je relève le regard de ma peluche et le porte sur elle. Ses cheveux frisés encadrent un joli visage rond. Sa monture de lunettes ne gâche en rien ses yeux d'un noir profond. Son sourire fait remonter ses joues rebondies. Elle est mignonne.

— Un peu plus de trois mois.

Blake répond à ma place. Officiellement, nous sommes en couple depuis une vingtaine de jours, mais s'il parle de trois mois, ça équivaut à notre première fois, dans la salle de danse. Il me tend naturellement ma pomme d'amour et garde le sachet de chichis qu'il nous a acheté.

— Génial !

Leen paraît heureuse d'apprendre ça, mais moi, tout ce qui m'intéresse, c'est Blake. Pour une raison qui me dépasse, sa réponse a fait naître une chaleur incroyable dans mon bas-ventre. J'oublie la présence de ma camarade de classe et me tourne vers Blake pour lui proposer :

— On rentre à la maison ?

Ma demande le prend de court, mais comme toujours, Blake se ressaisit rapidement :

— Tu voulais pas faire toutes les attractions du parc ?

— Un autre jour !

Il hausse les épaules. Sur la pointe des pieds, je me mets à la hauteur de son oreille et lui murmure :

— Là, tout de suite, maintenant, j'ai juste envie de toi.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top