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07 Avril 2035.

— Je t'avais dit non !

La voix froide de Blake tranche l'air tel un éclair. Il est en colère, même si je ne comprends pas le souci. Je penche la tête sur le côté et admire à nouveau la peinture de Violet. Je la trouve jolie, moi. Un chouya sexy. Et très réaliste.

— Me gonfle pas, Blake ! lui répond sa sœur. On ne te reconnait même pas.

Un léger sourire apparaît sur mes lèvres. Elle a tort. Il est reconnaissable. En tout cas, ces épaules et ce dos musclé ainsi que ces doigts fins et ces cheveux noirs ne me trompent pas...

— Peu importe, on avait dit pas de tableaux de moi !

Ma tête bascule de l'autre côté. Soudain, au-delà de la nudité du modèle, je ressens sa solitude et sa peur. Elles me transpercent de part en part, trouvent un écho en moi. Les larmes me montent aux yeux. Instinctivement, je recule d'un pas pour me rapprocher de Blake. Je glisse un bras sous l'un des siens, j'ai besoin de me raccrocher à quelque chose ou plutôt à quelqu'un. Mon geste les interrompt dans leur dispute. Il décroise ses bras et une main se pose sur l'arrière de mon crâne avant de me caresser. Le corps de Blake se penche vers moi alors qu'il me murmure, d'une voix douce :

— Qu'est-ce qui se passe ?

Mes yeux ne parviennent pas à quitter le portrait de Blake suspendu à quelques mètres de nous.

— Tu es magnifique...

C'est la seule chose que j'arrive à lui dire. Je suis stupide.

— Voilà pourquoi j'ai décidé de mettre ce tableau dans mon expo ! affirme Violet.

— Ne la ramène pas Lettie, s'il te plaît !

Son ton est moins dur que précédemment. Il y a une pointe d'inquiétude et je dois en être la cause. Je me force à me détacher du dos peint de Blake pour lui faire face. Je lui adresse un sourire sincère et lui déclare :

— Elle a eu raison. Tu es beau dessus !

Il s'éloigne de moi. Sa main quitte ma tête. Ses joues rougissent. Il hausse les épaules. Je l'entends grogner avant qu'il nous annonce :

— Je vais me chercher à boire.

Je l'observe faire, laissant mon regard se délecter de sa silhouette alors qu'il fait presque un défilé dans la salle d'expo jusqu'au buffet. Mes dents s'emparent de ma lèvre avec l'idée que dans peu de temps, j'aurais l'occasion de voir en personne ce dos musclé.

— Merci, chuchote la petite voix de Violet.

Je sursaute, ayant oublié sa présence. Je me tourne vers elle, une grimace désolée sur le visage. Elle a une longue robe de type nuisette noire par-dessus un t-shirt blanc à manches courtes. Elle porte les mêmes chaussures vernies que la fois où je l'ai rencontrée. Ses cheveux roses cascadent dans son dos.

— Pourquoi ? l'interrogé-je.

— Sans toi, j'en aurais entendu toute la soirée.

— Oh... De rien.

Elle attrape ma main et poursuit, plus joyeusement :

— Je t'aurais bien remercié pour le compliment aussi, mais je ne suis pas sûre que tu parlais de mon dessin !

Je lui tapote le bras sous son rire, mais au fond, elle n'a peut-être pas tort. Je ne suis pas certain de qui je parlais. Je jette un coup d'œil à Blake qui fait la queue pour obtenir une coupe, les mains dans les poches de jean. Je reporte mon attention sur Violet et lui dis :

— Pourquoi ton frère est si remonté après toi ?

Elle fait la moue, mécontente que je lui pose cette question. Je me surprends à vouloir voir cette expression chez Blake.

— Ça fait des années qu'il me sert de modèle pour que je m'entraine. Il a toujours accepté ce que je lui demandais. Cette toile...

Elle me montre d'un mouvement du menton le tableau. Je ne peux m'empêcher d'y jeter encore un coup d'œil. Blake est assis sur un lit, dos à nous, simples spectateurs. Ses bras sont relevés au niveau de son crâne et repliés. Ses mains reposent entre ses omoplates. Sa tête est à peine tournée vers nous, ne nous laissant pas la possibilité de voir son visage. Elle est baissée vers le sol. À nouveau, cette sensation de solitude s'empare de moi alors je me détourne pour écouter Violet continuer de m'expliquer :

— Elle en est la preuve. Mais dans notre accord, je ne devais montrer à personne les tableaux qui ont été faits à partir de lui. J'ai brisé cet accord !

— Pourquoi tu as fait ça ?

Elle tourne la tête vers son œuvre, un sourire triste s'affiche sur ses lèvres. Elle prend le temps de réfléchir à sa réponse. Mon regard en profite pour dévier vers Ezra qui fixe une peinture, un peu plus loin. Il est seul. Je fronce les sourcils et cherche mon frère. La chevelure rose de Sun m'apparaît aux côtés de Blake. Les deux échangent devant le buffet. Leur discussion semble même assez sérieuse.

— Pour avoir la réaction que tu as eue et qu'il se voit comme il est, m'annonce Violet détournant mon attention des garçons.

J'ignore ce que je dois penser de ses mots. Mon regard va du tableau à la jeune femme, à plusieurs reprises. J'ouvre finalement la bouche pour la questionner, mais Blake est déjà de retour. Il me tend une coupe de champagne en marmonnant :

— Arrête de fixer ce truc !

De ma main libre, j'attrape le verre qu'il m'offre et le remercie. J'en prends aussitôt une gorgée, adorant cet alcool. Blake lui boit ce qui ressemble à du jus. Un ricanement moqueur m'échappe.

— Bah alors, ils n'avaient plus de lait à la fraise pour les enfants ?

Il plisse les paupières en me répondant :

— De un, le lait à la fraise c'est la vie !

Il se penche vers moi et poursuit :

— De deux, je déteste le goût du champagne et le choix est assez limité ici !

Finalement, son torse touche presque le mien quand il souffle dans mon oreille :

— De trois, il faut bien que je nous ramène entier chez moi si je veux te faire tout ce que j'ai en tête.

Je déglutis. Ses mots me titillent. Attisent ma curiosité. Réveillent ma libido. Quand il se recule, son sourire en coin ne laisse aucun doute sur le fait qu'il l'ait fait exprès. Malgré que ça ne fasse pas une heure que nous sommes arrivés, j'ai déjà envie de partir. Abandonner tout le monde ici et voir ce que Blake me réserve.

J'apporte à ma bouche la coupe et la vide, pour humidifier mes lèvres devenues trop sèches. Lorsque mes yeux trouvent ceux du beau brun, j'y lis la même impatience que dans les miens. Tout en maintenant notre échange, il déclare à sa frangine :

— C'était super, sista mais on va y aller nous !

Mes yeux s'écarquillent à sa manière d'annoncer les choses. Aucun tact. Mais venant de lui, ça ne m'étonne qu'à moitié. Je soupire.

— Déjà ?

Je me détourne de mon partenaire pour m'intéresser à sa sœur. Quand je distingue la petite moue déçue de Violet, j'ai presque envie de lui dire que nous allons rester un peu plus longtemps. Cependant, Blake, lui, ne se fait pas attendrir. Il doit avoir l'habitude.

— Ouais, désolé ! Mardi, on doit montrer notre avancée à mon prof donc on a pas mal de trucs à revoir, balance-t-il sans le moindre remords.

Je tente de garder contenance face à ce mensonge qui au fond de moi, m'arrange. Certes, cela ne fait pas une heure que nous sommes là, mais j'ai déjà eu le temps de faire le tour des tableaux et d'admirer ceux qui me plaisaient – principalement celui devant lequel nous sommes toujours. Alors à quoi cela servirait que je reste plus ?

— Okay... Ne vous tuez pas à la tâche ! marmonne-t-elle en faisant une grimace.

Je me retiens de rire et je crois que c'est le cas pour Blake aussi, en pensant à la tâche qui nous attend.

— Je ne peux rien te promettre, sista. Tu sais que je suis du genre à me donner corps et âme !

Son sourire est bien trop empreint de luxure pour ma santé mentale, mais aussi pour que nous ne soyons pas grillés dans la seconde. Alors je m'empare de la main de Violet. Elle tourne la tête vers moi.

— Ton expo est une réussite, la complimenté-je, sincère. Merci de m'avoir invité. Tu as beaucoup de talents.

— Merci beaucoup. Enfin quelqu'un d'adorable dans ton entourage, Blaky, ça fait plaisir à voir.

Les mains sur mes épaules, elle dépose un baiser sur ma joue. Mais à peine ai-je senti ses lèvres que je suis poussé sur le côté par Blake.

— À la semaine prochaine, Lettie !

Le beau brun lui embrasse la tempe avant de lui murmurer quelque chose à l'oreille qui ressemble fortement à des félicitations. Il m'entraine aussitôt vers Sun et Ezra. J'apprécie qu'il ne les ait pas oubliés et que je n'aie pas eu à le lui rappeler. Quand nous nous retrouvons face au couple, je me sens ridicule.

Quitter les garçons aussi soudainement alors que nous avions prévu de passer la soirée ensemble me fait culpabiliser. Devant Sun qui me sourit, j'ouvre la bouche, mais rien n'en sort. La main de Blake caresse le bas de mon dos, mais cela ne m'aide pas à trouver mes mots. Il m'apporte son soutien.

— On va devoir vous abandonner ! Mardi midi, on doit montrer notre début de chorée à mon prof de hip-hop pour qu'il nous dise ce qu'il en pense. Dae flippe pas mal donc on va se refaire l'enchainement pour le calmer.

Comment fait-il pour aussi bien mentir ? Je lui jette un regard et il semble si sûr de lui. À le voir ainsi, on pourrait presque croire que nous ne partons pas de cette expo pour nous envoyer en l'air.

— Mais on devait aller au restaurant ensemble ! marmonne Ezra, déçu.

Je me rapproche de lui et lui souffle sur le ton de la confidence :

— Un petit dîner en amoureux, ça ne se refuse pas.

Il m'adresse un sourire éblouissant avant de glisser son bras sous celui de mon frère. Je remarque alors que Sun et Blake échangent un regard que je n'arrive pas à cerner. Finalement, mon frère pose une main sur l'épaule de mon partenaire et prend la parole :

— J'ignore ce qui s'est passé pour que tu ne sois plus officiellement le tyran, mais j'en suis content.

À cette déclaration, Blake me fait un clin d'œil qui me fait lever les yeux au ciel.

— Par contre, un conseil, continue Sun, partage tes noix de cajou avec Dae !

— Ne t'inquiète pas, je vais lui donner mes noix !

Le sous-entendu est trop énorme et ça n'échappe pas à Sun qui se met à sourire comme un idiot. Pour garder un minimum de contenance et surtout pour ne plus voir les rictus pervers de ces deux mecs, je prends le verre vide de Blake et vais le poser sur une table avec le mien. Quand je reviens, mon frère m'interroge :

— Tu vas danser dans cette tenue ?

Son index fait un geste de haut en bas en me désignant. Je baisse les yeux sur mon corps. Mon jean, ma blouse, mes boots. Ça n'a pas d'importance pour moi. Je pourrais danser avec une combinaison de ski ou nu, cela ne ferait aucune différence.

— La tenue n'est qu'un détail !

— J'ai des habits de rechange dans mon coffre, ajoute Blake dont la main descend jusqu'à la naissance de mes fesses.

Mes joues chauffent à ce geste.

— Prévoyant ! dit Sun.

— Toujours !

Ils sont là, debout l'un en face de l'autre, à se faire des risettes comme s'il y avait une certaine complicité entre eux. Ça m'agace.

— Allez, c'est bon ! À tout à l'heure les gars, lancé-je aux amoureux.

Je secoue la main pour les saluer et fais demi-tour, attrapant le poignet de Blake au passage. Je le tire et quand je m'apprête à emprunter les escaliers, il me retient. Comme si je n'étais qu'une marionnette entre ses doigts, il me positionne face à la porte de l'ascenseur. Il est derrière moi. Son bras passe sur ma droite pour appuyer sur le bouton d'appel.

— Je croyais que c'était escaliers pour nous ? m'étonné-je en reprenant ses mots.

Il m'enlace puis dépose un baiser dans mon cou avant de m'expliquer :

— C'était juste pour être seul avec toi tout à l'heure, susurre-t-il.

Les portes s'ouvrent devant nous, ne me laissant pas l'occasion de dire quoi que ce soit. Pour mon plus grand plaisir. J'ignore ce que j'aurais pu répondre à ça. J'ai beaucoup de mal à retrouver le Blake que j'ai l'habitude de côtoyer. Il semble avoir une nouvelle personnalité. Il est plus tactile, ouvert, demandeur... C'est à la fois déstabilisant et affreusement plaisant.

Les mains de Blake sur mes flancs, nous avançons au même rythme jusqu'au centre de la cabine. Il appuie sur le bouton du rez-de-chaussée, sans un mot, avant de me retourner vers lui. Pendant de longues secondes, nos regards se confrontent. Ce qu'il se passe entre Blake et moi n'a vraiment aucun sens. Cette scène en est la preuve. Mais qu'est-ce que j'adore cette tension entre nous.

Ses yeux finissent par dévier sur le reste de mon visage. Il détaille chaque partie avant de me faire reculer contre le miroir. Il se penche et nous échangeons un nouveau baiser. C'est électrisant. Il a vraiment un effet sur moi extraordinaire. Quand il s'éloigne, il m'annonce, un sourcil relevé :

— Si tu crois que tu vas retrouver ton frère et son mec ce soir, oublie tout de suite cette idée ! Cette nuit, tu es entièrement à moi...