Excuses
17 Mars 2035.
Comme je l'avais tant espéré, je suis dans mon lit. En position latérale de sécurité. Un oreiller entre les bras. La couette passée par-dessus ma tête. Dans le noir. Ou presque. L'écran de téléphone m'aveugle par intermittence dès que je regarde si je n'ai pas reçu un message. Mais à chaque fois, sans grande surprise, je n'ai rien.
— Dae-Dae...
L'appel n'est qu'un murmure. Il pense sûrement que je suis encore endormi mais la vérité, c'est que je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Pas une seule minute. J'ai juste regardé les heures passer avec une lenteur effroyable me faisant les pires scénarios au monde.
Je sens le matelas bouger dans mon dos quand il s'assoit sur mon lit. Pendant de longues secondes, le silence se fait dans la pièce jusqu'à ce qu'il murmure à nouveau mon prénom. Je ne bouge toujours pas, feignant d'être endormi. Sa main se pose au niveau de ma hanche, par-dessus la couette. Je ferme les paupières avec force parce que ce petit geste me ferait presque pleurer.
— Dae, répète-t-il. Je sais que tu es réveillé.
Après avoir lâché mon portable, j'enfouis mon visage dans mes mains, la gorge nouée.
— Qu'est-ce qui se passe ? me demande-t-il.
Je grogne quelque chose d'incompréhensible, même pour moi.
— Alors on a deux solutions, reprend Sun voyant qu'il n'aura pas mieux. Soit on reste là et tu m'expliques ce qui se passe. Soit tu me suis dans la cuisine où j'ai une surprise pour toi et tu m'expliques ce qui se passe.
Mon intérêt est attisé...
— Quelle surprise ? marmonné-je toujours caché.
— Je t'ai fait des muffins.
J'aime les muffins. Comme les cakes. Mais un en particulier. Mes mains accrochent le bord de la couverture et la descendent lentement, me laissant apercevoir mon frère à côté de moi. Il a un petit sourire aux lèvres mais ceux sont ses cheveux qui m'attirent l'œil. Ils sont roses. Pourtant, je devrais être habitué. C'est moi qui lui ai fait la teinture il y a quelques temps quand son blond ne ressemblait plus à rien. Mais je crois que le voir ainsi m'attendrit. Il est beau et parait plus doux encore. Cependant, je n'ai pas oublié ce qui m'a fait sortir de ma grotte.
— Ils sont à quoi ?
— Citron et pavot...
Un léger sourire se dessine sur mes lèvres. Sun me connait bien. Les muffins ou les cakes au citron et aux graines de pavot sont mes desserts préférés. Mes plats préférés. Vu mon état, je crois que j'ai besoin de l'une de ses pâtisseries pour me remonter le moral. Mais rien que l'idée de sortir de mon lit me fatigue.
— Pourquoi tu ne me les amènes pas ici ? lui demandé-je, sur un ton suppliant.
— Parce qu'il faut mériter ces petites merveilles, me dit-il le plus sérieusement du monde.
Je fais une moue pour tenter de l'amadouer mais je vois bien que cela ne fonctionne pas. Il tapote ma hanche et reprend la parole :
— Depuis que tu es rentré hier, tu végètes dans ton lit. Il est hors de question que je te laisse dans cet état plus longtemps.
Il se lève et commence à se diriger vers la porte. Avant de sortir, il me lance un regard. Celui de grand frère qu'il est le seul à savoir me faire.
— Alors bouge tes fesses tout de suite !
Il disparaît sans refermer derrière lui, me laissant peser le pour et le contre. J'ai très envie de ce muffin mais en plus d'avoir la flemme, ce n'est clairement pas raisonnable de manger ça dans mon état. Je me mordille la lèvre, les yeux fixant le plafond. Je pourrais faire une séance de musculation à l'école et peut-être même aller courir avant... Je tends l'oreille pour déterminer quel temps il fait. A priori, il ne pleut pas pour le moment. Ça serait donc faisable.
— Dae ! crie mon frère depuis la cuisine.
Je soupire et donne quelques coups de talons à mon innocent matelas avant de craquer. J'envoie voler la couverture à l'autre bout du lit et m'en extirpe difficilement, mon esprit encore assez récalcitrant. Ma main s'empare du hoodie que je portais hier et je l'enfile avant de rejoindre Sun qui est comme toujours derrière les fourneaux.
J'avise immédiatement le plat de muffins et me presse d'en attraper un dans lequel je mords sans attendre. Mes yeux se révulsent sous le bonheur que cette bouchée m'apporte à cet instant. C'est, comme toujours, une pure merveille pour mes papilles. Je m'installe sur une chaise haute du comptoir pour pouvoir faire face à mon frère.
— C'est délicieux, le complimenté-je avant de reprendre un morceau de gâteau.
Il relève la tête vers moi, un sourire satisfait aux lèvres, puis me fait un clin d'œil. Son attention se reporte sur la préparation culinaire. Pendant de longues minutes, nous restons ainsi dans le plus grand des silences. Moi dégustant mon gâteau. Lui terminant ce qui ressemble à un quatre-quarts chocolat-vanille. Après avoir avalé le dernier bout, je le questionne, un brin amusé :
— Tu ne t'arrêtes jamais ?
Je m'accoude au comptoir et l'observe faire les différentes couches de gâteau dans son moule, concentré. Un sourire attendri prend place sur ma bouche. J'aime bien le voir comme ça. La cuisine pour lui, c'est comme la danse pour moi et son art est beau. Il se détourne pour aller mettre son plat au four puis m'explique en revenant vers moi :
— C'est l'anniversaire de JinYoung au boulot alors je lui fais son dessert préféré pour fêter ça après le service de ce soir.
Sur ces mots, je jette un coup d'œil à la pendule. Nous sommes l'après-midi déjà. Sun doit être rentré du boulot depuis peu de temps. Je pose mon menton sur mes avant-bras et laisse mes pensées s'évader. Toutes se dirigent naturellement vers Ady. Sun commence à nettoyer son plan de travail quand il me demande :
— Tu sais que si tu as un souci, je suis là pour t'aider ?
Je déglutis. Sun et moi n'avons pas l'habitude de nous confier l'un à l'autre. Je ne me sens pas de lui raconter mes problèmes avec Ady. Enfin si je peux appeler ça un problème...
— Je n'ai...
— Pitié, me sors pas la phrase que tu n'as pas besoin d'aide ! Je l'ai presque inventée, je sais ce qu'elle signifie vraiment !
Il abandonne son éponge sur un coin du meuble avant de prendre appui dessus. Il plonge son regard dans le mien sans ciller, me faisant bien comprendre qu'il ne bougera pas d'ici tant qu'il n'aura pas de réponse de ma part. Mal à l'aise, je baisse les yeux sur ses doigts dont les pouces tapotent le plan. Pendant de longues secondes, j'élabore plein de scénarios dans lesquels je réussis à m'en sortir sans rien lui dire mais je finis par me rendre à l'évidence qu'ils sont tous impossible à réaliser. Sun est obstiné, il ne me laissera pas faire.
— C'est juste... J'ai un peu... Je...
Les mots ont du mal à sortir alors que mes idées n'arrivent pas à se mettre en place. Je déglutis avant de soupirer.
— Je n'arrive plus à... gérer cette histoire avec Ady...
Mon frère me rejoint sur la seconde chaise, à ma gauche. Il pose une main entre mes omoplates et tout en me caressant, m'encourage :
— Raconte-moi tout.
Après une nouvelle hésitation, je me lance dans le récit des différentes péripéties entre Ady et moi depuis plus d'un an parce qu'avec ces trois mots, j'ai bien compris que Sun n'était au courant de rien, ou quasiment. Je lui narre donc, à grands renforts de détails, l'annonce le jour de la Saint-Valentin, notre première rupture, mon refus de lui reparler pendant des semaines puis ma faiblesse un soir. Arrivent ensuite notre deuxième rupture, notre désir de rester proches malgré tout, ce qui a entrainé nos petites entorses au règlement pendant les vacances de Noël. Je finis enfin par les derniers évènements :
— Il m'a supplié pour qu'on reste en contact pour, au final, ne plus avoir de nouvelles de lui. Ça fait huit jours ! Je... Je ne sais plus quoi faire ni même penser !
Je baisse les yeux sur mes doigts que je maltraite depuis que j'ai pris la parole. La paume de mon frère trouve l'arrière de mon crâne qu'il caresse doucement. Mes paupières se ferment sous sa tendresse. Son geste a le mérite de me déstresser.
— Je vais te dire quelque chose, commence-t-il tout bas. Mais ça risque de ne pas te plaire...
Je serre les poings alors qu'il prend une inspiration. Malgré son avertissement, je suis impatient de savoir ce qu'il veut me dire.
— Je pense que... Tu n'as plus rien à faire, dire ou même penser en fait...
Il laisse un petit silence, juste le temps que j'assimile ses mots qui me font un drôle d'effet.
— Tu lui as écrit et il ne t'a pas répondu. Ça fait mal, c'est sûr mais c'est ce que tu voulais depuis des mois, alors pourquoi ne pas... Ne pas réellement passer à autre chose ?
— Je ne veux pas sortir avec quelqu'un d'autre ! lui déclaré-je.
— Je ne parle pas de ça mais plutôt à tout le reste...
Il fait à nouveau une pause, cherchant ses mots pour ne pas me blesser et vu comme je suis susceptible quand je veux, il a bien raison.
— Je sais que tu l'aimes. Ady est très important pour toi mais tu ne devrais pas être aussi dépendant de lui. D'autant plus que vous n'êtes plus ensemble.
Il me tapote l'épaule et en captant mon regard, m'annonce :
— Tu peux être heureux sans lui !
Cette idée me fait bizarre, me met mal à l'aise. Comment je peux être heureux sans Ady ? C'est impossible. Il est le seul qui puisse m'aimer tel que je suis. Le seul qui puisse me supporter. Je détourne les yeux en fronçant les sourcils.
— Tu dois être heureux sans lui, m'ordonne-t-il presque.
— Je peux pas...
— Et pourquoi ? s'intéresse-t-il.
— Je ne veux pas être seul...
Cette idée... cette vérité m'est venue de nulle part mais je me sens plus léger maintenant que je l'ai avouée à Sun.
— Tu n'es pas seul au monde, Dae, s'exclame-t-il.
Je hausse les épaules, pas du même avis que lui.
— La vie ne se résume pas à avoir un mec dans son lit...
— Je...
— Tu as Chad, Elliott, Hugo, Ezra et moi, me coupe-t-il, sachant ce que je voulais lui dire. Tu as des gens qui t'aiment autour de toi.
Mon cœur se serre à cette pensée tandis qu'un sentiment agréable m'envahit.
— Tu es dans l'institut qui te faisait rêver depuis des lustres. Et... Tu as dix-huit ans et tu vas tenter un concours télévisuel...
Je lève un sourcil à ce dernier mot désuet mais il n'y fait pas attention.
— Retransmis dans le monde entier. C'est ça qui devrait envahir chacune de tes cellules, te faire vibrer, te faire lever le matin et tenir toute la journée. C'est un objectif de malade ! En temps normal, tu les adores. Tu as été intenable pendant toutes les préparations à ton audition l'année dernière. Si tu avais pu dormir dans la salle de danse, tu l'aurais fait parfois. Mais aujourd'hui, ça ne semble pas t'atteindre plus que ça.
Il a l'air soucieux. Mon comportement l'inquiète. Je ne pensais pas que mon état à cause d'Ady pouvait aussi avoir des répercussions sur Sun ou d'autres personnes de mon entourage. Ce n'est pas ce que je voulais et encore une fois, je m'en veux de ne plus mentir aussi bien qu'avant.
— J'ai l'impression que tu n'es pas complètement investi dedans.
— Je suis investi...
— Non et c'est à cause de ton histoire avec Ady. Tu es en train de foutre en l'air cette belle occasion mais aussi le rêve de ton ami pour un mec...
Mon menton se met à trembler à sa déclaration. C'est vrai que cette histoire de concours n'était pas quelque chose qui me tenait à cœur mais j'oublie Blake. Encore une fois, mon égoïsme m'a fait oublier les autres. Une partie de mon cerveau ne veut cependant pas l'admettre :
— Je m'investis à cent pour cent !
— Parce que tu as fait ton entraînement en entier hier ? Tu n'es pas rentré tôt pour te faire avaler par ta couette ?
Je déglutis. Sun est pire que mes parents par moment. Il lit trop bien en moi et vient de mettre à terre ma mauvaise foi.
— Je suis parti au milieu de la répétition, avoué-je.
— Tu vois ! s'écrie-t-il, presque satisfait d'avoir raison. Qu'est-ce que tu lui as fait à ce pauvre gars ?
Je hausse les épaules. Avant, j'aurais rétorqué qu'on ne peut rien faire au tyran, que c'est lui qui nous roule dessus mais là...
— J'ai mal dansé. Je ne l'ai pas écouté. Je lui ai menti. Je lui ai aussi dit qu'il... qu'il n'avait qu'à me remplacer. J'ai été...
— Un vrai enfoiré de première ? propose-t-il avec aisance.
Je me redresse un peu surpris et Sun s'explique aussitôt :
— J'ai l'habitude. J'ai souvent eu le droit à cette partie de toi. Tu es très bon dans ce rôle quand tu le veux...
Je me mordille la lèvre, nerveux. Ce n'est jamais agréable quand on me met la vérité sous le nez mais plaisant ou pas, il faut que je l'accepte. Je ne suis pas quelqu'un de bien... Je repense alors à tout ce que j'ai dit à Blake. Ce que j'ai fait et pas fait. Mon frère a raison, j'ai été un enfoiré avec Blake alors que lui n'a fait qu'essayer de m'aider et me comprendre. Je baisse les yeux, la vue troublée par les larmes. Une pointe de culpabilité se fait sentir...
— Je... devrais m'excuser...
Mon affirmation sonne trop comme une interrogation. J'ai l'espoir que Sun me dise que ce n'est pas grave, que Blake a déjà dû s'en remettre ou même oublier, que je ne suis pas une mauvaise personne. Mais nous savons tous les deux qu'il est incapable de me dire tout ça sans mentir. Je soupire alors qu'il assène :
— Plus vite tu le feras, plus facile ce sera !
Il a raison. Comme souvent. Mais je ne bouge pas pour aller chercher mon téléphone, tentant de mobiliser tout mon courage. Quand je repense aux efforts que Blake a fait hier ainsi que les excuses qu'il m'avait présentées, il y a quelques semaines, pour s'être énervé après moi, je me décide finalement. J'inspire à fond et me lève sous le regard de mon frère. Je rejoins ma chambre et retrouve mon mobile dans mon lit, sous la couette. Je vais directement sur notre conversation et lui écris :
Je suis désolé pour hier. J'ai quelques trucs qui me prennent la tête et ça t'ait retombé dessus alors que tu n'y es pour rien. Je n'aurais pas dû. Ça ne se reproduira pas. J'espère que c'est toujours bon pour l'entrainement de demain. Dae.
Quand le petit « vu » s'affiche sous mon message, je me sens presque soulagé, sans comprendre pour quelle raison. Un léger sourire étire mes lèvres avant que je rejoigne Sun. Il est toujours assis au comptoir et a commencé une de ses grilles de mots dont je n'ai pas la patience pour faire. Sans lever les yeux sur moi, il m'interroge :
— C'est fait ?
Je l'observe griffonner dans ses cases des lettres. Un mot. Utopie. Je me réinstalle à côté de lui et du bout des doigts, je dessine des formes sur le bois.
— Ouais...
— C'est bien.
Je hoche machinalement la tête.
— Te concentrer sur ce concours t'aidera à te défaire d'Ady, déclare-t-il.
Il prend un nouveau muffin et me le tend. D'une main tremblante, je l'attrape en le remerciant. Pour le gâteau, l'écoute et les conseils. Je prends un petit bout de muffin et le déguste comme si je n'avais pas mangé depuis trois semaines. Quelques minutes plus tard, je m'intéresse :
— Ezra est à ses cours ?
Sun hoche la tête avant de m'expliquer plus en détails :
— Il va avoir la note de son premier devoir en Littérature. Il était stressé parce que...
Laissant son crayon de côté, il me raconte l'état de son petit-ami avant d'aller à ses cours de remise à niveau. Il est amusé mais derrière, je ressens sa fierté pour ce qu'Ezra entreprend. Je penche la tête sur le côté, attendri de le voir ainsi. Une petite pointe de jalousie me pique le cœur. Alors que je maltraite un morceau de gâteau dans ma main, mon portable vibre sur le comptoir. Je me précipite dessus, plein d'espoir et vois le nom de Blake...
Dans une heure à cette adresse
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