Cheveux mouillés

19 Janvier 2035.

Mes cheveux sont vraiment longs à présent mais je n'ai pas une seule minute pour me rendre chez le coiffeur pour arranger ça. Puis au fond, je crois que je les aime bien comme ça, même s'il faudrait refaire une couleur pour mes racines. Enfin, comme à cet instant, je regrette mes cheveux courts. Ils sont mouillés et dégoulinent dans mon cou, me faisant grimacer.

Après les cours de danse et le temps à faire travailler mes biceps, je ne pouvais pas rester plus longtemps en sueur comme je l'étais. J'ai pris une douche aux vestiaires de la salle de musculation mais vu qu'il est bientôt vingt-deux heures, je n'ai pas pris le temps de m'essuyer les cheveux correctement. J'avais peur de me faire enfermer toute la nuit dans le bâtiment. C'est hors de question, j'aime trop mon lit pour ça.

Je sors des vestiaires, mon sac de sport pendant à mon épaule. Les lieux sont déserts. Tous les étudiants qui faisaient quelques répétitions nocturnes à l'institut sont déjà partis. L'atmosphère est assez spéciale quand on se retrouve seul dans un tel endroit. Il est si bruyant et animé dans la journée, il donne l'impression d'être abandonné. C'est un peu flippant. Je sursaute d'ailleurs quand j'entends une porte claquer quelque part.

Je m'empare de mon téléphone dans ma poche de bomber, prêt à téléphone à Elliott ou même Chad pour qu'ils me rassurent pendant que je rentre chez moi. Mais je vois la notification du lien que Chad m'a envoyé comme promis puis un message de mon frère qui s'inquiète de ne pas m'avoir vu rentrer à l'heure habituelle. Je suis sur le point de lui répondre quand mon écran affiche un appel entrant.

Ady.

J'hésite. Une seconde. Peut-être deux. Puis mon pouce appuie sur le bouton vert, sûrement à cause du message qu'il m'a envoyé, il y a quelques jours où il me disait qu'il m'aimait. Je suis faible, beaucoup trop faible face à Ady. Je déglutis et amène mon mobile à l'oreille. Sa voix chaude et agréable me vient aussitôt :

— Hey !

Je me fige en plein milieu du hall de l'école. J'aime trop cette voix. Nos souvenirs me reviennent les uns après les autres. Tous ces petits compliments qu'il me faisaient l'air de rien pour me draguer. Tous ces mots doux qu'il a pu me dire au creux de mon oreille. Tous ces gémissements qu'il ne pouvait pas retenir pendant nos câlins.

— Hey !

— Ça va ? me demande-t-il.

Il me donne l'impression de marcher sur des œufs et je le comprends, je suis pareil. Après ce qui s'est passé entre nous pendant les vacances, c'est compliqué. Pendant un moment, nous parlons de banalités. Des cours. Nos familles. Elliott et Hugo. Même du temps.

— Tu... Tu faisais quoi ?

Rien nous concernant personnellement n'était encore sorti de nos bouches. C'est comme si nous nous censurions. Mais Ady semble vouloir braver l'interdit.

— Avant que je t'appelle, précise-t-il, incertain vu que je n'ai toujours pas répondu.

— Je...

Mon regard se porte sur chaque élément qui m'entoure. L'accueil du secrétariat. Une photo monumentale de différents danseurs célèbres ayant fait leurs études ici. Une statue en marbre d'une ballerine. Les escaliers pour aller à l'amphithéâtre où j'ai passé mon audition. La porte de sortie...

— Je rentrais chez moi.

Je me remets en marche pour sortir des locaux enfin. La nuit est tombée depuis bien longtemps et les rues ne sont plus éclairées que par les lampadaires. Même les lumières qui illuminent la façade de l'école sont éteintes à présent. Le vent frais me fait frissonner et un peu claquer des dents. Je coince mon téléphone contre mon épaule pendant que je cherche mon écharpe dans mon sac.

— À cette heure-là ? s'étonne-t-il.

— Ouais, lui dis-je sans même y réfléchir trop concentré sur ma recherche.

— Mais... Tu... Tu étais en soirée ?

Je me les gèle. Pourtant, je ne suis pas plus frileux que la moyenne mais les températures de Janvier mêlées au vent me donnent l'impression d'être au Pôle nord. Je me dirige vers un petit muret qui se trouve devant l'institut et sur lequel je pose mon sac. Je remarque alors qu'il est grand ouvert. Il faut vraiment que j'apprenne à le fermer dès que j'ai rangé toutes mes affaires.

— Dae ?

— Attends Ady, j'ai perdu un truc !

J'entends sa voix me répondre mais je ne comprends pas ses mots. J'ai déjà posé mon téléphone sur le muret à côté de mon sac et commence à vider ce dernier.

— Elle devrait être là, je l'avais après ma douche, marmonné-je pour moi-même. Je l'avais mise sur...

— C'est ça que tu cherches ? m'interpelle quelqu'un.

J'ai un frisson désagréable qui remonte ma colonne vertébrale à l'écoute de cette voix. Si celle d'Ady me donne des idées de luxure, celle-là n'a pas ce pouvoir. Au contraire... Je fais demi-tour, un boxer sale dans une main et ma serviette mouillée dans l'autre. Je dois avoir une allure dingue devant le tyran. Il a une main levée à niveau d'épaules qui tient un tissu rouge et noir. Mon écharpe.

Il y avait combien de chances pour que je perde cette écharpe ? Et combien pour que ce soit le tyran qui la trouve alors que l'école est censée être sur le point de fermer ? C'est plus élevé qu'on pourrait croire. Après tout, je suis maladroit et je perds toujours tout. Et le tyran... est le tyran. Je me demande encore pourquoi il n'a pas encore installé un lit de camp dans une salle de répétition.

Malgré toutes ces stupides statistiques, je lève les yeux au ciel parce que pour une fois, j'aurais aimé avoir un peu plus de chances. Je sais que je n'ai pas toujours été une personne exemplaire, principalement avec mon frère mais à quel moment, l'univers va arrêter de me le faire payer ?

— Oui ! Tu l'as trouvée où ? me renseigné-je, en essayant d'être le plus agréable possible.

— Par terre. Dans le hall.

Il tend le bras vers moi pour me la rendre. Je fais un pas vers lui, prêt à la récupérer mais je réalise alors que mes mains sont déjà prises. Je remets mon linge sale dans mon sac, les joues un peu plus roses que nécessaire. Sous le regard blasé du tyran, je récupère enfin mon bien.

— Merci...

— Tu es vraiment une calamité ! déclare-t-il simplement.

Je grimace à la pique. OK... je ne suis pas quelqu'un de connu pour son tact, sa diplomatie mais ce mec est pire que moi. En tout cas, quand ça me concerne parce qu'a priori, personne ne s'est jamais plaint de lui depuis la rentrée de septembre. Mais ce que je me demande c'est... à quel moment l'univers va décider que lui aussi mérite d'être un peu puni pour sa méchanceté envers moi ? Non parce que c'est bien joli, mais j'aimerais bien que ce ne soit pas toujours les mêmes quand même. Ou alors il fait partie de mon châtiment.

— Tu sais quoi ? m'exclamé-je malgré moi.

Si je dois subir ces punitions à retardement, autant y répondre.

— C'est pas danseur que tu devrais faire mais coach de vie ! continué-je.

Ma remarque ironique le surprend. Tant mieux, c'était le but. Pour paraître totalement maître de moi alors que j'ai un peu peur de me prendre un coup dans la tronche, j'entoure mon cou avec mon écharpe et aussitôt une chaleur salvatrice m'englobe. Un sourire satisfait se dessine sur mes lèvres.

— Tu ne crois pas si bien dire... Je pense souvent à être coach.

Cette fois, c'est moi qui suis étonné par sa réponse hyper sérieuse.

— Dès que je te vois, je me dis que je pourrais faire fortune là-dedans. Rien que t'apprendre à marcher sans tomber, me prendrais une éternité !

— Très, très drôle ! marmonné-je sarcastique en levant à nouveau les yeux au ciel.

Il a réponse à tout, tout le temps. Ce type m'agace. Je croise les bras devant moi et l'interroge comme si cela me concernait :

— Qu'est-ce que tu fais là à cette heure-ci ?

— Sûrement la même chose que toi !

Il hausse les épaules pour me faire comprendre que ma question était stupide et il a raison. Nous restons quelques secondes l'un en face de l'autre sans parler, ne sachant pas comment mettre fin à cette conversation inutile et gênante. Son regard semble m'étudier alors j'en profite pour en faire de même.

Tout de noir vêtu, il porte un pantalon large et des bottines de style militaire ainsi qu'un tee-shirt sous un bomber ouvert. Il a une casquette des Chicago Bulls qui laisse juste dépasser quelques mèches trempées. Il est égal à lui-même. Il est canon sans rien faire.

Finalement, il me sort un Salut sec qui lui ressemble parfaitement et s'en va, les mains dans les poches. Je me retourne vers mon sac et toutes mes affaires qui sont sorties. Je suis en train de remettre mon boxer au fond, quand la voix du tyran revient :

— Ne te perds pas en rentrant chez toi, il ne manquerait plus que ça !

Je tourne la tête dans sa direction, il marche à reculons pour pouvoir me voir et je jugerais qu'il y a un sourire sur ses lèvres mais il est trop loin pour que j'en sois certain.

— Crétin ! maugréé-je dans ma barbe.

Je termine de ranger mes affaires et avise mon portable qui attend sur le mur.

— Et merde, soupiré-je.

J'ai oublié qu'Ady attendait à l'autre bout du combiné. Je le récupère et m'écrie :

— Je suis désolé !

Le silence me répond. Pendant quelques secondes, j'ai peur qu'il ait raccroché, fatigué de poireauter et je ne pourrais pas le lui reprocher. Je recule mon téléphone pour jeter un coup d'œil à mon écran. Non, il est toujours en ligne.

— C'était qui ? me demande-t-il soudainement.

La bandoulière de mon sac autour de moi, je reprends mon chemin, à l'opposé de celui du tyran.

— Je sais que...

Il doute. Il est jaloux. Comme je le suis dès que je me permets de penser à lui à Newcastle avec toutes ces nouvelles personnes que je ne connais pas, dans tous ces lieux dans lesquels je n'ai jamais mis les pieds. Ça fait mal.

— Je n'aurais pas dû te demander. Ça ne me regarde pas mais...

J'ai l'impression que sa voix se brise. Ça me fait de la peine. Alors je me contente de lui expliquer le minimum :

— C'est personne. Juste un gars qui a trouvé mon écharpe.

— Vous aviez l'air de vous connaître pourtant...

Connaître le tyran ? Non, pas du tout et je n'en ai aucune envie. D'ailleurs, je ricane à cette idée.

— Non, on ne peut pas dire ça. On a juste fait un travail ensemble avant les vacances.

— Oh ! C'est personne mais il est dans ta classe !

Il me fait sa remarque alors que j'étais en train de descendre les escaliers qui mènent à ma station de métro. Je m'arrête sur l'avant-dernière marche, les sourcils froncés.

— Il n'est pas dans ma classe. C'est un urbain, nos promos ont été mélangés pour... Bref, m'écrié-je, n'ayant aucune raison de me justifier auprès d'Ady.

Je l'aime, vraiment. Sincèrement. Mais nous ne sommes plus ensemble. Si je ne lui fais pas subir mes crises de jalousie quand je vois une photo de lui sur Facebook ou Instagram prise lors d'une soirée, il en va de même pour lui. Quand nous étions au lycée, il n'a jamais été jaloux et pourtant, je suis conscient que parfois mon comportement tactile aurait pu porter à confusion. Alors aujourd'hui, il doit en faire de même.

— Pourquoi tu m'appelais ?

— Je... Je te l'ai dit, tu me manques et... On peut rester amis, non ?

Je baisse les yeux sur mes pieds dont le talon de l'un d'eux tape le devant de la marche sur laquelle je reste figé. J'ignore ce que je dois répondre à ça.

— S'il te plaît, Dae.

Je suis touché au cœur. Comment je peux lui refuser alors qu'il semble si vulnérable quand il me supplie ? Puis il me manque aussi. J'ai besoin qu'il soit encore un peu dans ma vie.

— O... OK.

— Merci.

Quand je lui réponds un simple De rien, je réalise que j'ai les larmes aux yeux. Je renifle avant de lui annoncer :

— Je vais devoir te laisser ! Je vais prendre le métro.

Je l'entends rire mais ce n'est pas de la moquerie. Je ne saurais mettre un nom sur ce son mais je ne le prends pas mal.

— J'ai toujours du mal à t'imaginer dans le métro. Toi, dans une grande ville, ça me fait... bizarre, me confie-t-il avec sincérité.

— Et pourtant... c'est ça, mon environnement. Le vrai !

J'ai grandi les sept premières années de ma vie dans la plus grande ville de Corée du Sud avant de passer les sept suivantes à Londres. C'est Barnard Castle qui a été une étape hors du temps pour moi. Depuis que je suis de retour dans la capitale, j'ai compris quelque chose sur moi. Je suis un citadin. Ce n'est pas ma petite ville qui me manque mais les personnes qui y habitent. Ma vie à Londres me satisfait plus que je ne pourrais jamais l'expliquer.

— Moi je suis déjà perdu dans le centre-ville de Newcastle, m'avoue-t-il tout bas.

— Ça s'apprend ce genre de choses, tu sais.

— Sûrement...

— Et c'est aussi pour ça que les GPS ont été inventés, plaisanté-je avec une pointe de vérité.

Il rit avant de confirmer mes dires. Un homme passe à côté de moi et s'engouffre dans la bouche de métro. Je ne vais pas pouvoir rester ici infiniment.

— Je... C'était sympa de te parler, lui dis-je.

Même si je me serais bien passé de la mini-crise de jalousie.

— Très sympa ! Et assez inattendu. Je pensais que tu ne décrocherais même pas quand tu verrais mon prénom s'afficher. Enfin je suis content !

— Pourquoi je n'aurais...

— Ça n'aurait pas été la première fois, Dae, me coupe-t-il.

Il a raison. J'ai passé ces derniers mois à ignorer tous ses appels.

— Tu... Tu crois que je pourrais te rappeler un de ces jours ? me demande-t-il.

— Ouais, bien sûr, on est amis maintenant !

— Euh... Oui, oui, c'est vrai...

Je garde le silence, ignorant les mots que je dois prononcer après ça. Mais Ady met fin à mon malaise en me souhaitant une bonne nuit. Nous nous saluons et je raccroche, l'esprit un peu ailleurs. Je commence à me dire que ce n'était peut-être pas une bonne idée d'accepter que nous soyons amis. Je passe ma main libre dans mes cheveux et grimace à nouveau à me rendant compte qu'ils sont toujours mouillés. Je jette un dernier coup d'œil à mon écran noir et soupire. Je le range dans la poche de mon bomber et cours pour attraper le prochain métro que j'entends arriver.

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