Adieux
09 Juin 2035.
Mon cerveau n'arrive pas à enregistrer cette nouvelle information. C'est trop compliqué pour lui d'assimiler quelque chose qui n'a pas de sens. Et la présence d'Ady sur le pas de ma porte. Dans mon immeuble. À Londres. C'est le truc le plus invraisemblable. Après l'existence du père Noël et la possibilité qu'Elliott fasse un grand jeté, bien entendu.
Comme pour tenter de réaliser que je n'hallucine pas, je le détaille. Dans la seconde, j'énumère pas moins de sept changements chez lui... sept ! Et seulement des changements physiques visibles !
Le premier, le plus évident, est le fait qu'il ait coupé ses cheveux sur le haut du crâne. Sa nouvelle coupe est plus passe-partout. Je dois dire qu'une fois l'étonnement passé, ça lui va plutôt bien. Surtout avec les deux piercings qu'il s'est fait, un sur le lobe gauche et l'autre au cartilage de l'oreille droite.
Ensuite, il porte des lunettes à grosses montures. Dans mon souvenir, Ady n'a jamais eu de problèmes de vue, il en avait même une excellente. Mais elles lui donnent un petit côté beau gosse, accentué par un gilet de costume beige par-dessus un t-shirt blanc, un jean et des chaussures de ville. Ce style vestimentaire ne ressemble pas au Ady que j'ai côtoyé.
Mon regard s'accroche à un tatouage dépassant de sa manche gauche de t-shirt. Le dessin laisse deviner un serpent. Ou un lézard. Ou un dragon. Enfin la queue d'un reptile quelconque. Je me souviens qu'il me parlait tout le temps de vouloir se faire encrer la peau, ce n'est donc pas une surprise. Cependant, à l'époque, il désirait un tatouage style maori au niveau du mollet.
Mais le plus surprenant est cette cicatrice au niveau de son coude droit. Elle fait plusieurs centimètres et semble assez récente à la vue de la boursoufflure qu'elle forme encore. Ce n'est pas une simple coupure, c'est le résultat d'une opération. Je fronce légèrement les sourcils. Je m'imagine alors mille et un scénarios à sa présence.
Je réalise alors qu'au-delà du fait qu'il ait coupé les ponts, cela fait des semaines que je ne suis pas allé sur ses réseaux sociaux pour l'espionner. Depuis la découverte de sa relation avec cette Gloria en fait. Je ne sais plus rien de sa vie... et je le vis plutôt bien.
— Qu'est-ce que tu fous là ? balancé-je froidement.
Ady se passe la langue sur ses lèvres avant de prendre une profonde inspiration comme pour se donner du courage. Son regard passe de Blake à moi à plusieurs reprises pendant que sa main frotte sa nuque. Il hésite à me répondre en présence du brun. Pourtant, il ne va pas avoir le choix. Je ne virerai pas Blake pour lui faire plaisir.
— Je... Je voulais...
À peine ai-je entendu sa voix que l'énervement monte en moi. Elle m'hérisse presque les poils.
— Non ! le coupé-je. Tais-toi.
Je m'avance vers lui, d'un pas déterminé.
— En fait, je m'en fous !
Sur ces mots, j'attrape la poignée et lui claque la porte au nez, sans le moindre remords. Une fois fait, une émotion m'envahit. Au lieu d'être soulagé et satisfait, je ressens une forte tristesse s'abattre sur moi. Je me tourne alors et me jette dans les bras de Blake qui m'accueille sans rechigner. Il me berce doucement, tout en me caressant le dos. Il m'embrasse le crâne mais cela n'empêche pas les larmes de monter.
Le voir ainsi me ramène brutalement à l'année dernière. À cet été. À Noël. À tous ces moments où nous nous sommes faits du mal inutilement. Je ne veux plus souffrir de cette relation. Je souhaite seulement avancer et être heureux. Je me recroqueville un peu plus dans les bras de Blake qui me serre avec force pour me montrer son soutien sans faille.
Je ne comprends pas ce qu'Ady fait là, aujourd'hui. Nous ne nous sommes pas parlé depuis une éternité. Certes, il a cherché à me contacter régulièrement depuis une dizaine de jours mais il a bien dû voir que je lisais ses messages mais n'y répondais jamais. Il aurait dû en conclure que je ne désirais pas le voir en face à face.
— Dae ! m'appelle Ady depuis le palier. S'il te plaît.
Je grogne à l'écoute de son ton suppliant. Mon cœur se serre. J'imagine bien la bouille qu'il fait à cet instant. C'était celle qu'il me faisait quand il voulait me faire craquer. Ses yeux étaient toujours implorants, brillants et tendres. Il se mordait aussi la lèvre sur le côté pour la faire ressortir un peu plus parce qu'il savait que j'avais un faible pour sa bouche.
Blake me dépose un nouveau baiser puis se penche pour tenter de capter mon attention. Lorsque nos regards s'accrochent, il essuie mes joues et me fait un sourire. Mais ce dernier a un arrière-goût de tristesse, d'abandon, de défaite. C'est la première fois que je le vois sur les traits de mon brun et je n'aime pas ça. Ce qu'il me dit ensuite, n'est pas plus agréable :
— Tu devrais lui laisser une chance de s'expliquer, non ?
Je me recule brusquement, déstabilisé.
— Pardon ?
— Vous avez sûrement beaucoup de choses à vous dire pour...
— Si on avait quelque chose à se dire, on l'aurait fait depuis longtemps, rétorqué-je de mauvaise humeur.
La discussion sur mon poids, l'arrivée d'Ady et maintenant Blake qui veut que je discute avec mon ex ? Mais cette journée n'en finira donc jamais ? Tout ce que je voulais, c'était me blottir contre le corps musclé de Blake, regarder un stupide film, m'endormir devant puis aller au lit avec mon brun. Et pourquoi pas le réveiller dans la nuit pour lui faire l'amour. Voilà à quoi ressemblaient mes projets pour cette soirée.
Mais là, clairement, j'en suis très loin. Et ça m'énerve. Pourquoi les choses ne se passent jamais comme je le désire ? Pourquoi faut-il que tout foire ? Je serre le poing jusqu'à faire rentrer mes ongles dans la paume de ma main, pour tenter de canaliser ma colère.
— Et ses messages ? me propose-t-il, un sourcil relevé.
Je déglutis, mécontent. J'avais bien compris tout à l'heure que Blake était au courant de tous les textos que je recevais de mon ex mais mon état d'esprit m'empêche d'être cohérent.
— Tu les as lus ?
— Bien sûr que non ! s'écrie-t-il, choqué que je puisse penser ça. Tu laisses tout le temps ton portable trainer et en vibreur. Alors j'ai aperçu des notifications de messages venant de lui.
— Vraiment ?
J'insiste mais en fait, je m'en fiche qu'il les ait lus. Déjà parce qu'ils ne disaient rien d'important mais surtout parce que je n'ai jamais pris la peine de répondre. Cela suffit à montrer mon désintérêt. Blake pose ses mains sur mes épaules et m'affirme :
— Je ne les ai pas lus, Mimi. J'ignore ce qu'ils disaient. C'est ta vie privée, ça ne me concerne pas. Et je te respecte bien trop pour violer ton intimité. Mais si vous vous envoyez...
— Je n'ai rien envoyé, le contré-je, ne voulant pas qu'il croit n'importe quoi.
Il se fige quelques secondes. Il devait penser que je répondais, que j'entretenais encore un lien avec Ady. Je croise les bras devant moi.
— Tu pensais que je jouais sur les deux tableaux ?
Je me mordille la lèvre en me rendant compte de ce que je viens de dire. Ma question sous-entend clairement que nous sortons ensemble. Nous agissons comme tel mais rien n'est officiel. Si jusqu'à présent, cela ne me gênait pas trop, cette fois, ça me chagrine. J'ai peur qu'il me contredise, qu'il me dise qu'il n'en a rien à faire, que nous ne sommes pas en couple et que je peux coucher avec toute l'Angleterre si j'en ai envie...
— Je ne pensais rien. Je te fais confiance mais surtout, tu es libre de tes choix et de ta vie.
Il me caresse la joue alors que sa déclaration me laisse un petit goût amer.
— Dae ! m'interpelle à nouveau Ady tout en frappant à la porte.
— Écoute... d'une manière ou d'une autre, il faut que vous régliez cette histoire une bonne fois pour toutes, non ?
— Alors tu m'autoriserais à retourner avec Ady ? Juste comme ça ?
Blake soupire, comme si je le fatiguais.
— Je n'ai pas à t'autoriser quoi que ce soit, tu ne m'appartiens pas. Je te l'ai dit, c'est à toi de choisir avec qui tu veux être. À toi et à personne d'autre.
Je baisse les yeux sur le sol parce que cette réponse ne me convient pas. Il y a dix minutes, il m'a dit tenir à moi et là... je n'ai pas la sensation que ce soit le cas. Bien entendu, je ne veux pas qu'il me fasse une crise de jalousie mais tout de même...
Il glisse son index sous mon menton pour le relever. Il plonge son regard dans le mien et me murmure, d'une voix douce :
— Le fait que je te dise d'avoir cette conversation ne sous-entend absolument pas que je veux que tu retombes dans ses bras, Mimi. Loin de là. Je pense juste que pour que tu puisses envisager ton avenir, il faut que tu règles ton passé.
— S'il te plaît ! recommence Ady. Je veux juste...
Je fais un brusque demi-tour, me retirant de l'espace vital de Blake et ouvre la porte. Mon geste arrête Ady dans sa tirade. Je le fusille du regard et siffle entre les dents :
— J'ai attendu plus d'un an pour te voir derrière cette putain de porte alors tu peux attendre dix minutes, non ? Alors maintenant tu baisses d'un ton, j'ai des voisins.
Je ne lui laisse pas le temps d'ouvrir la bouche et referme. Quand je refais face au salon, Blake a disparu. Je m'avance dans l'appartement, le cherchant du regard. Je le découvre dans le couloir alors qu'il sort de ma chambre. Il enfile un t-shirt, se décoiffant au passage.
— Qu'est-ce que tu fais ? l'interrogé-je, soudain angoissé.
Il ne semble pas comprendre ma question.
— Je vais vous laisser disc...
— Non, tu restes !
Il ricane mais il est assez évident qu'il n'y met aucune joie dedans. Il s'approche de moi et me dit :
— Vous avez beaucoup de choses à vous dire tous les deux et... Je doute qu'il veuille que le mec qui couche avec son ex soit présent pour ça !
— Tu es bien plus...
— Je l'espère.
Il me fait un triste sourire et m'explique :
— Mais je sais que ce con est ton premier amour et... J'ai vu plusieurs fois à quel point ce qu'il t'a fait t'a blessé et te blesse encore. Si c'est le cas, c'est que tu tiens encore à lui. Alors vous devez avoir cette explication et j'ai peur que ma présence t'influence.
Je reste abasourdi par sa réplique. C'est comme s'il avait déjà pensé à tout ça depuis une éternité.
— Mais je ne veux pas que tu m'abandonnes.
— Ce n'est pas le cas. À n'importe quel moment, tu m'appelles et je rapplique.
Je m'empare de sa main, comme pour le retenir. Malgré ce qu'il me dit et ce qu'il a pu m'affirmer dans la salle de bain, j'ai la sensation qu'il nous abandonne, que je ne suis pas si important pour lui. Sinon il resterait ici avec moi et voudrait être présent pendant cette discussion qu'il souhaite que j'aie avec Ady. Mais rien... il ne se bat pas pour moi.
— Je comprends pas pourquoi tu fais ça...
— Je veux que tu me choisisses pour les bonnes raisons, m'avoue-t-il.
J'aperçois dans son regard l'incertitude, la peur et la tristesse. Pendant un instant, il hésite à m'embrasser ou juste à me montrer un geste tendre puis une main calée sur ma nuque, il dépose un long baiser sur mon front qui me fait fermer les paupières. Mon esprit se répète que ce sont des adieux et ça me fait mal au cœur.
Il s'éloigne de moi et rejoint l'entrée où il enfile ses converses roses sans prendre la peine de les lacer. Je le rejoins. J'ai besoin de l'avoir près de moi mais s'il a choisi de partir, il ne changera pas d'avis, c'est certain. Il me jette un dernier regard avant d'ouvrir la porte.
À nouveau, il se retrouve face à Ady. Le corps tendu, il reste figé un moment pendant lequel ils semblent se défier, se foudroyer du regard. Les poings de Blake se ferment mais il ne fait rien. Il se contente de contourner Ady et de se précipiter dans les escaliers. Sans prêter attention à mon ex, j'écoute le bruit des pas de Blake dans les marches jusqu'à ce qu'il s'évanouisse. Je retiens un sanglot puis fais demi-tour, me dirigeant vers la salle de bain. Alors que je suis dans le couloir, la voix d'Ady me parvient :
— Je peux entrer ?
— Je crois que j'ai plusvraiment le choix...
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