Chapitre 4

The Flight of Appolo – Angels & Aiwaves

Ella

Je roule dans mon lit et ouvre mon rideau afin d'observer le ciel d'un bleu lumineux. Aucun nuage à l'horizon. Pour le moment tout du moins. Que ce soit en terme de météo ou non, on sait tous que le vent a vite fait de tourner.

Quel sentiment étrange que de se réveiller à nouveau dans sa chambre, après avoir passé autant de temps sur les routes. Retrouver son matelas n'a pas de prix et les motels type « trou à rats » – ceux dans lesquels ma mère me disait de garder mes vêtements, de ne surtout pas me glisser sous les couvertures tachées – ne me manqueront pas. Pourtant, être de retour me rend malade. J'avais oublié à quel point cet endroit pouvait me faire sentir seule et abandonnée.

L'heure sur mon téléphone affichant 8 h 25, je décide de me lever pour aller courir. Plusieurs jours que je n'ai pas fait de sport et le manque commence à se faire sentir. Les jambes parcourues de fourmillements, je me glisse dehors. Il est temps que je m'aère l'esprit. Je ne peux pas me permettre de perdre les bonnes habitudes acquises ces derniers mois.

Vêtue de ma plus belle tenue, les écouteurs enfoncés dans les oreilles, je m'étire devant la maison. Et une fois prête, après une grande inspiration, en faisant abstraction de l'environnement familier, je pars au petit trot. Le regard résolument fixé au loin, je cale mon rythme sur celui de la musique.

Ces rues, je les connais par cœur, j'y ai vécu toute mon enfance, y ai appris à marcher, à faire du vélo. Je sais que si je sors du lotissement et traverse le centre-ville, je me retrouve sur la jetée. J'aime l'océan. À chaque fois que je me sentais mal, sur le point de tout avouer à ma mère, sur mon père, le lycée, j'allais écouter le bruit rassurant des vagues. À chaque fois que je ressentais le besoin de respirer, d'oublier, je me rendais sur la plage – le seul endroit qui arrivait encore à me faire me sentir vivante. Mais je n'irai pas aujourd'hui. Depuis hier, j'essaie tant bien que mal de repousser les souvenirs, et si je me rends là-bas, comme j'en avais l'habitude, ils vont me submerger. Je ne suis pas prête à affronter ceux qui pourraient remonter.

Je tourne sur la droite, dans une rue en tout point similaire à celle que je viens de quitter, avec des maisons blanches alignées les unes à côtés des autres et des arbres robustes planter devant chacune d'elles. Le souffle régulier, je tente d'imaginer les familles qui se trouvent à l'intérieur. Peut-être que dans l'une d'elles, il existe une fille comme moi, perdue et effrayée. Une fille qui aimerait pouvoir fuir loin de ce trou, sans jamais y remettre les pieds.

Ma foulée s'allonge, devient plus rapide à mesure que mes pensées reviennent une nouvelle fois à Nick et notre altercation. On peut dire que j'ai fait un retour en beauté. Il doit déjà être en train d'envisager trente-six façons de se venger. Dire que je l'ai giflé... J'ai beau être convaincue qu'il méritait mon courroux, il s'agit de Nick James ! Un claquement de doigt de sa part et ma vie redevient un enfer.

Comme si je pouvais le sentir expirer sur ma nuque, je pique un sprint. Mes pieds frappent le bitume brûlant sur plus de 400 mètres avant que je sois obligée de m'arrêter, penchée en avant, mes poumons sollicitant de l'oxygène.

Nick a toujours eu le don de me mettre dans tous mes états. Il était grand, mignon, et avait un petit côté mauvais garçon qui me plaisait, même si je savais qu'il n'y aurait jamais rien entre nous. Ce n'était qu'un simple fantasme, que j'aimais observer de loin, comme la plupart des filles du lycée.

Hier, lorsqu'il s'est penché pour me dire qu'il aimait ma fougue, mon cœur s'est affolé. Il n'est plus seulement mignon, il est beau. Son petit côté mauvais garçon n'a pas disparu, je dirais même qu'il est plus présent que jamais. Et on sait tous qu'il est facile de craquer pour le bad boy. J'ai tellement peur que le faible que j'avais pour lui revienne, comme si tous mes efforts pour l'oublier n'avaient servi à rien.

Le visage levé vers le ciel, je souris en sentant le soleil réchauffer ma peau de ses rayons. Ces dernières semaines, ma mère et moi sommes passées par le nord du pays, et le soleil de Californie est l'une des rares choses qui m'ait manqué pendant notre périple. Je me demande combien de temps il va me falloir pour retrouver un bronzage doré.

Mon tour terminé, je reviens dans notre rue, et aperçois une voiture inconnue garée derrière l'Impala. Qui pourrait se montrer chez nous si tôt dans la matinée à part mon père ? Il a dû être mis au courant de notre retour dès que nous avons passé la pancarte de la ville.

La poitrine oppressée par un mauvais pressentiment et le poing serré sur mon téléphone, je trottine jusqu'à la maison.

La porte à peine ouverte, j'entends la voix forte de mon père retentir depuis la cuisine.

— Maman ? appelé-je, loin d'être rassurée.

Leurs pas précipités viennent à ma rencontre et il apparaît le premier, les cheveux désormais gris, les yeux sans éclat, plus mince que dans mes souvenirs. Il a l'air fatigué voire épuisé. C'est fou qu'une année puisse autant changer une personne. C'est mon père, nous ne sommes parties qu'un an, pourtant j'ai l'impression de me retrouver face à un étranger.

— Ella... mon Dieu...

Le soulagement pointe dans sa voix. Un sentiment que je suis loin de ressentir. Les yeux baissés, je recule au moment où il essaie de s'approcher.

Faites qu'il ne me touche pas !

Voyant que je ne parviens même pas à le regarder en face, il préfère heureusement garder ses distances.

— Prends tes affaires ! m'ordonne-t-il. Je t'emmène avec moi !

Voilà un moyen de me faire relever la tête.

— Quoi ? Je crois pas, non.

Un éclair de douleur traverse son regard éteint. Je l'ignore, refusant de culpabiliser. Il n'a que ce qu'il mérite.

— Je ne sais pas ce que ta mère t'a raconté, mais il devait y avoir beaucoup de mensonges dans le tas.

Il se moque de moi ? Je savais que c'était un tricheur, un menteur, mais de là à me prendre, moi, sa fille, pour une imbécile... Sans aucune délicatesse, je pose mes affaires sur la console de l'entrée et, en refermant mes poings, je décide de le mettre face à ses erreurs.

— Des mensonges ? Vraiment ? Alors tu n'as jamais couché avec ta secrétaire, même la fois où je vous ai vus ? J'ai eu une hallucination peut-être ? Ou alors, c'est toi qui me mens !

Il passe une main sur son visage fatigué et récolte un regard de pure haine de ma mère.

— Ella, je peux tout t'expliquer mais tu dois venir avec moi.

Se rend-il compte à quel point sa demande est insensée ? Comme si j'allais le suivre !

— Mais il n'en est pas question ! Je n'irai nulle part avec toi !

— Je ne te laisse pas le choix Ella. Le juge m'a donné ta garde et...

— Et quoi ? Et quoi au juste ? me mets-je à crier. Tu crois sérieusement que je vais suivre les recommandations ou les ordres d'un juge complètement sénile qui a pensé que te donner ma garde serait une bonne idée ? Tu rigoles, j'espère ? Je ne veux plus te voir ni avoir affaire à toi ! Tu comprends ça ?

Bousculé par mes mots, il vacille. Vide de toute expression, son regard arrive à m'inquiéter. Et puis, tout à coup, il s'illumine d'une lueur folle. Les traits grimaçants, il attrape mon bras pour me tirer derrière lui.

Les pieds fermement ancrés dans le sol, je lance un coup d'œil désespéré à ma mère qui décide d'intervenir en posant une main sur son épaule. Sous la colère, il se retourne et lui décolle une gifle. Impuissante, je la regarde tomber. Au moment où elle touche le sol, un cri monte du tréfonds de mon être, brutalisant ma gorge sur son passage. Je me défais de son emprise en gigotant et me jette sur lui pour le faire reculer.

— Sors de ma vie ! De notre vie ! Tu n'es qu'un monstre !

En larmes, je tire sur sa chemise et par mes simples moyens, je lui transmets ma colère, mon ressentiment et tout ce qui me dévore depuis qu'il a détruit notre famille.

Nick

À la sortie de la douche, j'essaie de dompter ma chevelure trop longue, mais son naturel bouclé la rendant impossible à coiffer, j'abandonne très vite.

Quand elle est en vacances, ma mère aime cuisiner, pâtisser, nous ravir les papilles. Je décide donc de la rejoindre tant qu'elle est occupée à préparer une énième fournée de cookies.

À peine arrivé dans la cuisine, j'attrape un biscuit encore brûlant sur la plaque du four et reçois une tape sur les doigts.

— Laisse-les refroidir un peu ! m'intime ma mère, un sourire attendri dessiné sur les lèvres.

Pas question ! C'est bien meilleur quand c'est chaud. De manière exquise, les pépites de chocolat fondent sur ma langue. Pour les accompagner, j'avale un peu de lait directement à la bouteille et manque de m'étouffer en entendant une dispute éclater dans la maison voisine. C'est quoi ce bordel ?

Ma toux calmée, je tends l'oreille.

— Quand comptais-tu me prévenir que vous étiez revenues ? tonne une voix masculine.

Je m'approche de la fenêtre. Seule une allée de quelques mètres sépare nos maisons. Cette proximité compromet toute intimité.

— Ça ne nous regarde pas, Nick !

Dans la cuisine face à la nôtre, deux personnes s'affrontent du regard, puis l'homme s'égosille :

— Où est-elle Anne ? Tu m'as enlevé ma fille ! Je veux savoir où elle est !

Bon sang, ma mère est bien gentille avec son « ça ne nous regarde pas » ; ils crient tellement fort que j'ai l'impression de prendre part à leur engueulade.

Sur un bruit de vaisselle brisée, ils baissent enfin le ton. Ma mère pousse un soupir et reprend ses pâtisseries.

Malheureusement, la voix d'Ella brise notre courte accalmie en se superposant à celles de ses parents.

La tension remonte, pousse ma mère à malaxer sa pâte plus rudement que nécessaire, me force à me redresser. Sur le qui-vive, je resserre mes doigts autour de ma bouteille, jusqu'à en faire déborder le lait. D'un geste brusque, elle se retrouve arrachée de mes mains.

De plus en plus nerveux à mesure que les secondes passent et malgré une œillade désapprobatrice, je trépigne.

Et soudain, un hurlement à vous faire dresser les poils retentit. La gorge nouée, incapable de me contenir plus longtemps, je me précipite.

— Nick !

— Sérieusement, maman ?

Que s'est-il passé ? Pourquoi a-t-elle crié ? Deux questions qui s'envolent dès que j'arrive devant chez elle. La vue d'Ella, les joues baignées de larmes, tirant la chemise de son père, me cloue sur place. L'air désespéré, immobile sur leur perron, lui ne dit rien ; il laisse sa fille lui hurler des horreurs.

Le choc passé, je fonce vers elle. Afin de l'éloigner de son paternel, j'attrape sa taille et la soulève de terre. De peur que ma présence ne l'énerve encore plus, je reste silencieux, les dents serrées tandis qu'elle gesticule entre mes bras.

Un sanglot finit par franchir ses lèvres et elle s'affaisse contre mon torse. Doucement, je la laisse retomber sur ses pieds. Au contact du sol, elle s'anime et part retrouver sa mère. Assise sur le parquet de leur entrée, cette dernière se tient la joue. Il n'a pas osé ?

Une rage sourde enfle à l'intérieur de moi et, parce que je ne peux pas rester les bras ballants, je me tourne vers le père d'Ella, toujours figé sur le pas de la porte. S'il y a une leçon que tout homme devrait retenir, c'est bien celle-ci : on ne brutalise jamais une femme.

— Vous vous sentez puissant ?

Il baisse les yeux et, comme s'il prenait conscience de son geste, la honte colore ses joues d'un vert glauque. L'air malade, il émet un son étrange et plaintif.

— Si jamais je vous revois dans le coin, j'appelle les flics.

Ma menace semble l'atteindre, car il se met enfin en mouvement. Les mains tremblantes, sans même un dernier regard pour sa fille et son ex-femme, il passe à côté de moi. J'attends qu'il ait disparu pour m'approcher d'elles.

Ella laisse sa mère essuyer ses joues. Je ne me suis jamais senti affecté ou ému par les larmes d'une fille, elles sont rarement sincères. Mais ce que j'ai sous les yeux aujourd'hui n'a rien à voir avec des larmes de crocodile. La peine d'Ella me transperce de part en part, allant jusqu'à me faire déglutir.

— Vous allez bien ? demandé-je, de la voix la plus douce possible.

Ella se retourne vivement et redirige toute sa colère sur moi. Percuté de plein fouet, je recule d'un pas. Si on pouvait mourir d'un simple regard, je me consumerais sur place.

— Qu'est-ce que tu veux ? Laisse-moi deviner ! grince-t-elle. Ça t'amuse de voir à quel point ma vie est misérable, c'est ça ?

— Non, bien sûr que non. J'ai juste entendu les cris et je voulais... je voulais juste... laisse tomber, bafouillé-je avant de rentrer chez moi, de la même manière que son père un peu plus tôt.

Putain, c'est quoi son problème ? Je comprends qu'elle m'en veuille, elle en a tous les droits, mais aujourd'hui, je cherchais seulement à les aider !

Deux fois en deux jours qu'elle me donne l'impression d'être complètement stupide. Je jure que ça ne se reproduira pas ! Elle veut vivre dans le passé et rester focalisée sur des événements révolus ? Grand bien lui fasse, j'ai des préoccupations plus importantes. Je ne vais pas me laisser entraîner dans la spirale infernale d'une fille dont je me fous totalement. Nous ne sommes pas amis et ne l'avons jamais été.

— Ça va ? m'interroge ma mère au moment où je passe la porte.

Mes pensées assassines s'évanouissent.

— Il l'a frappée... sa mère, marmonné-je, les doigts sur la nuque.

Scandalisée, elle porte la main à sa bouche pour contenir son cri d'effroi.

— Mon Dieu ! Elles vont bien ?

Je hoche la tête et hausse les épaules en même temps. Qu'est-ce que je pourrais répondre ? Elles sont en un seul morceau, mais je ne pense pas qu'elles aillent bien.

Le dernier regard d'Ella s'invite dans mes pensées. La colère est une émotion qui m'est familière ; je la laisse trop souvent me dominer. Pourtant, celle qui semble la consumer me déconcerte.

— Elle est tellement en colère.

Mon ton faiblard pousse ma mère à m'étreindre. L'odeur de cookie qui l'enveloppe fait gronder mon estomac alors même que je n'ai plus très faim.

— Vous vous connaissiez bien ? Avant qu'elle parte, vous étiez amis ? me demande‑t‑elle, une note de compassion dans la voix.

Mes sourcils se froncent. Si je la connaissais ?

— Non, pas vraiment. On était plutôt... cruels avec elle, avoué-je.

Et un sentiment qui jusqu'alors m'était encore inconnu m'envahit : la honte. Malgré la force avec laquelle elle me tord les entrailles, mon énervement reprend le dessus. Je ne connais même pas cette fille ! Je ne vais pas commencer à regretter ce qu'on lui a fait subir à l'époque, juste parce que les murs trop fins de nos maisons trop proches m'ont permis d'entrevoir des pans de sa vie.

Ma mère lâche mon bras et si elle est déçue par ma révélation, elle ne le montre pas.

— Ça explique un peu sa réaction impétueuse d'hier soir. Tout le monde fait des erreurs Nick, mais ça ne veut pas dire qu'il faut les répéter inlassablement. Tu ne penses pas qu'aujourd'hui cette jeune fille a plus besoin d'un ami que d'un bourreau ?

— Même si je voulais devenir son ami, elle ne me laisserait pas faire. Elle s'est très bien fait comprendre.

Sur cette réponse sèche, je regagne ma chambre.

Devenir l'ami d'Ella-boule, et puis quoi encore ? Devenir la nouvelle risée du lycée ? D'ici quelques jours, je vais entamer ma dernière année ; aucune envie de me traîner Ella Preston comme boulet.

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NDA : Même chose que pour la partie précédente, ce 4ème chapitre a été entièrement revu et les commentaires, pour certains, n'ont plus aucun sens.

Enfin bref, j'espère que le début de cette petite histoire vous plaît ! 

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