Chapitre 3
♫ Let The Flames Begin – Paramore
Ella
J'avance dans ma chambre sur la pointe des pieds et en fredonnant la musique diffusée par mes enceintes, je sors quelques vêtements de ma valise. Je ne sais pas quand je trouverai le courage de la défaire. Au fond, j'espère encore me réveiller demain matin et prendre la route vers une destination inconnue.
Je fais passer mes cheveux humides sur mon épaule et m'apprête à faire tomber ma serviette lorsque j'aperçois une silhouette sur le toit d'en face. La bouche entrouverte et les cheveux ébouriffés, un mec m'observe. Avec horreur, je raffermis ma prise et grimpe sur mon lit.
L'espace entre nos deux maisons n'étant pas bien grand et les lumières aidant, le bleu de ses yeux me coupe le souffle alors que je plonge dedans. Une seconde, c'est le temps que nous passons à nous dévisager, c'est le temps qu'il faut à mon regard pour devenir de glace. Qu'est-ce qu'il fout ici ?
Maladroit, il se précipite à l'intérieur et se prend le pied dans le rebord de sa fenêtre.
Combien de temps m'a-t-il espionnée ? Je n'arrive pas à croire que j'ai failli me retrouver nue devant lui !
La respiration sifflante, je tire mon rideau d'un coup sec. Le pire, c'est que j'étais à deux doigts de ne pas le reconnaître... Nicholas James... Pendant toute notre scolarité, il a oscillé entre l'ignorance à mon égard et les moqueries. Et moi, comme une véritable imbécile, j'avais un faible pour lui. Un faible pour celui qui me traitait comme une moins-que-rien.
Bon sang, le savoir dans la maison d'à côté me retourne l'estomac ! J'ai tout fait pour oublier ; l'oublier lui, sa bande, et mon dégoût de moi-même, car malgré tous mes efforts, il parvenait encore à s'insinuer dans mon esprit. Lui est ses yeux bleus séduisants, lui et ses cheveux bruns en bataille, lui et son stupide sourire en coin.
En vitesse, j'enfile mon pyjama à l'effigie des Cavaliers de Cleveland et sors de ma chambre plus en colère que je ne l'ai jamais été. Pour qui il se prend au juste ?
Comme une furie, je déboule en bas des escaliers, bousculant ma mère au passage. De loin, je l'entends m'appeler, s'interroger, mais aveuglée par ma colère, je ne lui réponds pas. Le pas assuré, déterminé, je me dirige vers la maison voisine et, le cœur cognant terriblement fort dans la poitrine, j'appuie sur la sonnette sans la moindre hésitation. Pourtant, je devrais, hésiter. Mon comportement pourrait avoir des répercussions... D'ailleurs, mon assurance se flétrit à mesure que j'en prends conscience.
La porte s'ouvre sur une femme aux cheveux d'un roux cuivré. Les traits suspicieux, elle m'examine de la tête aux pieds.
— Je peux vous aider ?
Mon audace envolée, je hoche tout de même la tête avec véhémence.
— Oui, si vous pouviez demander à votre fils de ne pas espionner les filles pendant qu'elles se changent, ça m'arrangerait ! lui lancé-je après un raclement de gorge peu discret.
M'attendant à ce qu'elle prenne sa défense, je lève le menton avec défi – comme si ça pouvait m'aider – et recule d'un pas.
Les yeux fermés, elle soupire.
— Lequel c'était ? s'enquiert-elle, les narines frémissantes.
La surprise me rend silencieuse.
— Le plus vieux ou le plus jeune ? De quoi avait-il l'air ?
— Nick. C'était Nick, lui révélé-je d'une petite voix, intimidée par son ton insistant et contrarié.
Même si elle semble étonnée à son tour, elle ne commente pas et préfère hurler :
— Nicholas Anthony James ! Descends ici tout de suite !
OK, me pointer ici était une mauvaise idée. Une très mauvaise idée. J'ai agi sous le coup d'une impulsion. J'aurais mieux fait de rester chez moi avec ma colère et imaginer comment faire payer Nick sans passer à l'acte.
L'air nonchalant, il apparaît au côté de sa mère. Impressionnante malgré sa taille, elle lui attrape l'oreille et le force à descendre les deux dernières marches. Sa grimace, reflétant non pas la douleur mais l'exaspération, me donne envie de reculer un peu plus tandis qu'elle l'amène jusqu'à moi. Jamais je n'aurais pensé voir une chose pareille un jour.
L'image que j'ai gardée de Nick est celle d'un garçon maigre et élancé, avec des yeux et un sourire à vous faire perdre la tête. Désormais, les muscles ont fait leur apparition et son sourire a disparu au profit d'une mine dure et d'un regard sombre.
— Ton père et moi ne t'avons pas élevé comme ça ! Tu vas présenter tes excuses à cette jeune fille. Immédiatement !
Lentement, il se redresse, essayant de paraître plus grand qu'il ne l'est déjà. S'il croit m'impressionner, il est loin du compte, j'en ai croisé des plus inquiétants que lui sur les routes.
Les muscles de ses bras, mis en évidence par son T-shirt noir, se tendent alors qu'il enfonce ses mains dans les poches de son jean bas sur ses hanches. Et les yeux fixés sur un point derrière moi, comme s'il n'osait pas me regarder en face, il marmonne :
— Désolé.
Un silence alourdi par l'amertume nous enveloppe. Un silence qui malheureusement ne dure pas. Le regard cette fois rivé au mien, Nick reprend :
— Mais si tu ne t'exhibais pas devant ta fenêtre comme tu le fais, rien de tout ça ne serait arrivé. Et c'est pas comme s'il y avait quelque chose à voir de toute façon.
Ses mots, accompagnés d'un haussement d'épaules, me font monter les larmes aux yeux. Les poings serrés, je les ravale ; je ne lui ferai pas ce plaisir, plus jamais je ne pleurerai à cause de lui ou de ses amis.
—Nicholas ! s'exclame sa mère.
Je fais demi-tour. Venir ici n'était vraiment pas une bonne idée. Comment ai-je pu être aussi bête, croire que je pourrais obtenir des excuses sincères ? Nick James est resté le même petit con prétentieux qu'il était à l'époque.
— Ella-boule ! s'écrie-t-il et je me fige. Qu'est-ce qui t'es arrivé ? T'as passé un an dans un camp pour jeunes obèses ou quoi ?
Hors de moi, je me retourne et fonce vers lui, prête à en découdre. La rage brouillant mon bon sens, je lève ma main et l'abats sur sa joue. La force de ma gifle m'offre son profil et déclenche une vive réaction de mon épiderme, une douleur que je décide d'ignorer. Je ne sais pas d'où me vient cette toute nouvelle intrépidité, mais je sais que les mots sortant de ma bouche après ça ne sont que vérité :
— Je ne suis plus la petite fille effrayée que tu as connue, Nick, craché-je avec dégoût. Alors fais attention à ce que tu dis !
La mâchoire crispée et le regard voilé par la colère, il se penche, puis, la voix basse et grave pour que je sois la seule à entendre, me dit :
— Fougueuse, j'aime ça.
— Abruti, marmonné-je en m'éloignant à grandes enjambées furieuses.
Son regard pesant sur mon dos est la seule raison qui me pousse à garder la tête froide ; je ne peux pas m'effondrer devant lui, je n'en ai pas le droit.
Un soupir éloquent m'échappe au moment où je ferme la porte de chez nous. Tenir tête à ses détracteurs n'est pas chose aisée.
— Je sais que je devrais sûrement te sermonner mais je suis étrangement fière de toi.
Les larmes ayant déserté mes yeux dès l'instant où il a osé m'appeler Ella-boule, mon rire se joint à celui de ma mère.
— Viens là !
En me serrant dans ses bras à m'en étouffer, elle murmure à mon oreille :
—Tu es forte, bien plus que tu ne le crois.
Avec tout autant de vigueur, je réponds à son étreinte.
Oui, je suis forte. Et elle avait raison, je ne suis plus la même ; je ne laisserai plus personne me traiter comme ils ont pu le faire, plus jamais.
☽
Nick
Je n'arrive pas à croire qu'elle soit venue me balancer à ma mère. Elle se prend pour qui ? Elle se déshabille devant sa fenêtre ouverte sans aucune pudeur, puis vient jouer la victime ? En frottant ma joue douloureuse, je la regarde s'éloigner. Très bien, j'ai déconné, mais elle ne pensait quand même pas que j'allais m'excuser et m'écraser sans rien dire ? Elle me connaît un peu mieux que ça, non ?
De nouveau incapable de la lâcher des yeux, j'observe ses jambes galbées mises en valeur par son mini-short. Elle a tellement changé. Où est passée la petite fille ronde et timide ? Celle qu'on appelait Ella-boule, celle qui n'osait jamais nous tenir tête. On dirait presque qu'elle a disparu et laissé sa place à une jeune femme aux courbes affolantes. Une jeune femme dont le regard vert pourrait mettre à genoux plus d'un homme.
Elle a beau essayer de rester stoïque, je la vois se tendre, trop consciente de mon regard sur elle. Le corps ne ment pas et le sien a réagi ce soir. Je suis quasi certain de lui avoir fait de l'effet et j'ai bien peur que cette idée me plaise un peu trop.
— Qu'est-ce qui cloche chez toi ?
La porte claque derrière nous.
— Je suis un mec maman, tu t'attends quand même pas à ce que je reste de marbre en voyant une fille se déshabiller sous mes yeux.
Bordel, moi aussi, j'ai envie de me frapper.
Ma mère inspire, marmonne pour elle-même, puis se recentre sur moi.
— Tu as totalement mérité cette gifle ! Tu me déçois beaucoup.
Son ton peiné obstrue ma gorge et je baisse la tête.
— Pourquoi as-tu été aussi désagréable avec elle ?
Les bras croisés, elle attend une réponse, sauf que mes raisons ne risquent pas d'arranger mon cas. C'est juste tellement humiliant de devoir présenter des excuses à Ella‑boule.
— C'était la petite Ella Preston ?
Petite ? En taille, seulement. Submergé par une vague d'excitation, je passe une main sur ma nuque brûlante.
— Tu la connais ? me renseigné-je, plus pour stopper le déroulé de la soirée sous mon crâne que par réel intérêt.
— De nom, oui. Sa mère et elle risquent d'avoir des problèmes maintenant qu'elles sont rentrées.
Des problèmes ?
— Pourquoi ?
L'inquiétude qui perce soudainement ma voix fait sourire ma mère. Merde, je suis ridicule !
— Le mari de Mme Preston les recherche depuis plus d'un an. Elles ont disparu sans laisser de traces. Je sais qu'il a demandé la garde d'Ella et comme sa mère ne s'est jamais présentée aux audiences du tribunal, il l'a obtenue. Mais bon, ça ne nous regarde pas, je ne devrais même pas t'en parler. Essaie juste de ne pas être trop dur avec elle, elle a déjà assez de soucis comme ça.
Quand elle a disparu du lycée du jour au lendemain, on a tous cru qu'elle avait changé d'établissement parce qu'on l'avait poussée à bout. Il semblerait qu'on se soit accordés un peu trop de crédits quant à son départ. Sa fuite n'avait rien à voir avec nous.
En tout cas, vu les informations que possède ma mère, le père d'Ella doit être client du cabinet pour lequel elle travaille en tant que secrétaire.
— Elle est plutôt jolie, insinue-t-elle, me faisant rouler des yeux. Tu ne peux rien me cacher mon ange, je t'ai vu la regarder.
Pourquoi elle fait toujours ce genre de truc gênant au possible ? Elle tapote ma joue et je retourne dans ma chambre après avoir lâché un soupir exagéré.
Je ne l'ai pas tant regardée... Et puis même si c'était le cas, même s'il est vrai que je l'ai trouvée très attirante, elle reste Ella-boule. Peu importe si sa timidité semble s'être envolée en même temps que ses kilos en trop, notre passif est loin d'être joyeux et nous sommes bien trop différents. Elle est moi, c'est impensable.
Les écouteurs dans les oreilles, je me jette sur mon lit. Sur mes paupières fermées, Ella se dessine, dansant, retirant son T-shirt, se pointant sans soutien-gorge dans son pyjama beaucoup trop sexy. Et à aucun moment, je ne cherche à réfréner mes fantasmes, car même si elle n'est pas le genre de fille avec qui j'ai envie de m'amuser, Ella Preston est à tomber par terre.
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NDA : Hey ! Le chapitre 3 ayant été totalement modifié, si vous décidez de lire les commentaires et que vous n'y comprenez absolument rien, c'est tout à fait normal. Je ne voulais pas complètement supprimer la partie et virer des commentaires qui m'ont fait plaisir lors de la première version de ce chapitre.
Au début, cette partie comptait les deux points de vue, de Nick et Ella, pour la même situation, avec répétition des dialogues. Et on ne va pas se mentir, c'était très répétitif et ça cassait le rythme. J'ai donc décidé de faire autrement, en espérant que ce soit mieux comme ça. Il est fort possible que je revienne dessus plus tard... si jamais je décide que ça ne me convient toujours pas...
N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, que ce soit votre première lecture ou une deuxième.
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