3. Les "filles comme moi"


Ses courbes se dessinent à la lumière des projecteurs, telles des lignes tracées par les anges. Elle est le reflet de mon idéal. La perfection brute qui anime mes pulsions les plus enfouies.

***

Laury-Anne est superbe dans sa salopette fluide sans manche et ses stilettos assortis. Je me rends compte à cet instant que quelque chose a changé chez elle. Elle semble complètement épanouie. Comme si elle avait comblé un vide.

— On prend le temps de boire un verre avant d'y aller ?

Elle sourit à ma proposition et je l'entraine vers la balancelle suspendue sur le côté de l'entrée.

— Oh, j'adore cette baraque ! Elle est géniale.

Oui. J'avoue que cette maison à l'allure de ranch américain regroupe tout ce que j'aime. Une terrasse qui entoure une bonne partie de la villa et qui offre de multiples possibilités d'aménagements cocoon. Des pièces pas trop grandes mais bien agencées. Et un extérieur digne des villas de luxe.

Je ne suis là que depuis trois jours. Et pourtant, je m'y sens déjà comme chez moi.

Mon amie s'installe sur la banquette avec un coktail.

— Alors ? Par quoi on commence, bébé ?

Je grimace.

— Oh là... Si tu veux que je te résume les trois dernières années, ça va aller très vite. Défilés, shooting, galas, Fashion week, shooting, défilé, galas... tout ça dans l'ordre que tu veux !

Laury-Anne hausse les sourcils.

— Pas de mec ?

Je me mors la lèvre inférieure. Je n'ai jamais rien pu lui cacher... c'est dingue !

— Un mec. Enfin... deux.

— Ahhh ! Des histoires sérieuses ? Ou ils étaient simplement de passage ?

Je lève les yeux au ciel. Lau' est du genre têtue. Et je sais qu'elle ne me lâchera pas tant que je ne lui aurais pas tout dit. Alors autant répondre tout de suite.

— Le premier était un coup comme ça, de temps en temps. Et l'autre était plus sérieux.

— Oh... Intéressant. Et j'imagine que tu n'es plus avec lui, vu que tu es seule ici ?

— A ton avis ? C'était mon agent. Lewis. Sympa et beau comme un Dieu. Mais, en creusant, c'est le genre de mec qui s'aime plus que les autres. Et il était beaucoup trop possessif. J'ai même cru qu'il avait confondu notre relation avec un contrat de travail. Bref ! Je l'ai plaqué et j'ai repris ma liberté.

— C'est pour cette raison que tu es revenue ?

Je soupire.

— Non pas uniquement. Je me suis dit que je ne pourrais pas fuir indéfiniment. Qu'il fallait que je revienne pour reconstruire quelque chose. Et puis, papa... Papa a fait son malaise. Et je n'ai pas pu refuser quand il m'a demandé de reprendre le poste de responsable de la communication dans l'entreprise, au départ d'Alicia.

Laury-Anne me fixe pendant quelques secondes, la paille dans la bouche.

— Tu nous as manqué pendant tout ce temps, tu sais ?

Oh merde !

— Je sais. Vous aussi... Mais j'avais besoin de ce temps.

— Je ne t'en veux pas, Aly. Et je suis heureuse que tu soies revenue. Il s'est passé... pas mal de choses en ton absence.

Son petit air gêné m'intrigue.

— Comme quoi ?

Putain, elle rougit ! Laury-Anne rougit !

Lorsqu'elle lève sa main vers moi, je comprends ce qui la mets dans cet état. A son annulaire droit, brille une bague de fiançailles.

Mon sang quitte mes joues.

— Bon sang, Lau ! Ne me dis pas que...

Mon amie hoche frénétiquement la tête. Je lui saute dessus, oubliant que je vais ruiner la coiffure qu'elle a dû mettre des plombes à réaliser.

— Je suis tellement heureuse pour toi, bichette ! Mon Dieu. Si on m'avait dit que j'allais te retrouver fiancée !

Elle me serre contre elle en riant, alors que je réalise que j'ai omis LA question cruciale.

Je m'écarte et la fixe avec des yeux ronds.

— Mais c'est qui l'heureux élu ?

Ses joues s'empourprent de plus belle.

— Saul...

Ah je le savais ! Saul Baker ! Elle a toujours eu un faible pour lui.

— Il est gentil, attentionné, prévenant. Et c'est une vraie bête de sexe !

Je la rabroue en riant.

— Oh non ! T'es pas croyable toi ! Je n'en reviens toujours pas. Comment vous vous êtes retrouvés ensemble ?

Elle reprend un air sérieux.

— Quelques temps après son accident, je lui ai proposé de l'aider à faire ses courses et l'entretien de son appart'. Et puis, je ne sais pas, il y a un truc qui a changé... En fait, ça s'est fait presque naturellement. Je crois que ni lui ni moi n'avions anticipé...

Je suis tellement contente pour elle. Elle mérite d'avoi quelqu'un qui la rende heureuse. Et Saul est la personne idéal pour jouer ce rôle.

Je lève mon verre vers mon amie et le cogne contre le sien.

— Eh bien ! On a plein de choses à fêter ce soir !

***

Le Reel's Pub est exactement tel que dans mon souvenir. Un vaste hall aux murs sombres, garnis d'œuvres contemporaines et colorées.

Comme son nom l'indique, il est équipé d'un mobilier fabriqué uniquement à partir de tourets décorés. C'est moderne, dépareillé et parfaitement excentrique.

Lau et moi avons beaucoup papoté avant de décoller de la maison. Et à plus de 23 h, l'établissement est bondé.

Je m'installe à l'une des rares tables vides, près d'un mur duquel semblent s'échapper des bras en plâtre peint. On dirait que l'endroit a servi d'atelier et que les artistes ont pu laisser s'exprimer leurs côtés les plus loufoques. J'adore l'ambiance décalée que cela apporte.

Autrefois, c'était notre point de ralliement et nous nous y retrouvions plusieurs soirs dans la semaine. Avec l'équipe.

C'était le bon vieux temps...

— Nannn. Ce n'est pas possible ! Alabama ? C'est toi ?

Un homme au crâne chauve et tatoué, pourvu de nombreux piercings s'approche, un large sourire aux lèvres.

A peine ai-je le temps de me redresser qu'il m'attrape pour m'embrasser chaleureusement.

— Tony ! Comment vas-tu ?

Le patron du bar s'écarte pour me regarder.

— C'est à toi qu'il faut demander ça ma belle ! Ça fait un bail. Tu es devenue une vraie star des podiums, dis-moi ?

Je grimace.

— Ouais. Mais je viens de raccrocher. Ce monde n'est pas fait pour moi. Tout est trop superficiel.

— En tout cas, je n'ai manqué aucune de tes campagnes...

— Tu plaisantes ? Tony a même créé une œuvre dédiée à ta gloire !

Sérieux ? J'écarquille les yeux.

La serveuse qui nous a rejoint, m'embrasse à son tour.

— Salut ma belle. Je suis heureuse de te revoir.

— Salut Tania.

— Tout un pan de mur... ajoute-t-elle en secouant la tête.

Oh merde ! J'ai du mal à y croire.

— Ce n'est pas tous les jours qu'on peut se vanter d'avoir accueillie une personnalité dans son établissement. Alors j'ai voulu te faire un petit clin d'œil. D'ailleurs, si ça t'embête pas, j'aimerais bien que tu fasses une petite dédicace...

Mon Dieu. Je m'attends au pire.

— Vas-y Aly ! Je passe la commande en attendant.

Je hoche la tête et attrape la main du boss.

— Ok ! C'est bien parce que c'est toi, hein ?

— Yes ! Viens, c'est par là.

Tony m'entraine vers un autre coin de l'établissement, un peu à l'écart. Il y a un petit renfoncement qui forme une sorte d'alcôve. Arrivée à l'intérieur, j'en ai le souffle coupé.

Il y a des affiches de moi partout, collées et sublimées par les coups de pinceaux de l'artiste. Tony a réussi à magnifier les clichés en noir et blanc en rajoutant des touches de peinture phosphorescente à des endroits stratégiques. Ce qui donne, à la lumière noire du néon, une nouvelle perspective aux photos. C'est surprenant. Et magnifique.

De nombreux visages se tournent vers nous et les gens commencent à chuchoter. Pour la première fois, je me sens gênée d'être exposée ainsi. Dans des poses parfois très dénudées.

Mon Dieu qu'on en finisse !

— T'as quelque chose pour signer ? demandé-je à Tony.

Il sourit et fouille dans la poche de sa salopette pour en retirer un feutre blanc. Après avoir gribouillé mon nom dans un coin, je me dépêche de ressortir.

Mais à cet instant, je tombe nez à nez avec Kellen.

***

Les secondes s'égrènent. Deviennent des minutes. Et je suis toujours dans la même position. Debout, les bras ballants et les yeux rivés sur le mec en face de moi.

Bon sang, c'est toujours la même chose. Dès que je suis en présence de Kellen, je perds tout raisonnement logique.

J'ai l'air d'une parfaite idiote, à le regarder comme si la Vierge Marie venait d'apparaitre devant moi.

Sauf que là, elle a plutôt l'allure d'un demi-dieu avec un physique à cramer les petites culottes. Kellen Redington, alias Fury, regroupe tout ce qui me fait fantasmer. Des cheveux sombres, toujours savamment décoiffés, une peau hâlée, une mâchoire carrée et volontaire, des yeux noisette et une bouche magnifiquement ourlée.

Nan mais je défie n'importe quelle nana ici présente de ne pas se pâmer devant ce mec.

Parce que son corps... Oui, son corps est un savant mélange de statue grecque et d'athlète de haut niveau. Musclé, juste ce qu'il faut, là où il faut. Des pectoraux en acier, un ventre ferme, des hanches étroites... et un cul à se damner !

— Hey Kellen ! Mon pote ! Décidemment, c'est la soirée des retrouvailles !

Tony se place derrière moi et m'attrape par les épaules.

— D'abord notre top model préféré et maintenant le champion ! On est gâté ce soir.

Je me retiens de lui donner un coup de coude dans le ventre. S'il pouvait éviter de s'étaler sur mon compte, ça m'arrangerait... Mais il s'éloigne, nous laissant seuls en tête à tête.

Je vois les yeux de Kellen balayer les clichés avec intérêt. Son visage s'éclaire. Et le mien s'empourpre.

Nan mais ce n'est pas possible ! Comment puis-je être aussi gênée alors que jusqu'à présent, j'étais parfaitement capable de prendre du recul par rapport à ce job ?

Au moment où le regard de Kellen glisse sur une photo de couple, son expression s'assombrit. Le mannequin a la main posée sur ma taille, et le visage, enfoui dans mon cou dans une pose plutôt sensuelle.

Sans commentaire...

Je remarque à cet instant que l'homme à côté de moi n'est pas le seul à admirer les posters. Des types commencent à s'approcher et à me lancer des coups d'œil appréciateurs.

Kellen fronce les sourcils et se tourne vers moi.

— Tu es venue seule ?

Sa question me prend au dépourvu. J'inspire un grand coup et glisse mes mains dans mes poches.

— Je suis avec Lau'. Là-bas...

Je désigne le fonds de la salle. Je n'ai qu'une hâte, c'est de rejoindre mon amie et de vider mon verre de cocktail d'une traite.

— Viens avec moi.

Sans me demander mon avis, Kellen m'attrape le bras pour m'entrainer dans la direction que je lui ai indiquée. Je me laisse faire. Complètement désemparée.

Lorsque nous arrivons près de la table, je constate que Laury-Anne n'est plus seule. Saul et plusieurs autres personnes ont pris place à côté d'elle. Quand elle me voit, elle m'adresse un regard d'excuse en articulant un « désolée » muet.

Je ne réagis pas. Parce la voix désagréable de Bérénice Champalaune me perce soudain les tympans. Elle est là, à côté de moi, et me fusille des yeux.

— Alabama Monroe ! Mais qu'est-ce que vous foutez là ?

Nan mais je pourrais te retourner la question, connasse ! Et puis, de quoi je me mêle ?

Je m'apprête à rétorquer, mais me ravise alors qu'elle se place tout contre Kellen.

— Aly connaît très bien cet endroit, Bé. Elle y venait souvent... avant.

Bé ? Sérieusement ? Il lui a donné un petit nom ?

J'ai envie de vomir.

Bérénice se renfrogne et me lance un regard de tueur. Je pense que la réponse de Kellen a rajouté encore à son animosité envers moi. Elle attrape sa main et lève la tête vers lui, avec un grand sourire.

— Tu viens, on s'assoie ?

Il hoche la tête avant de se tourner vers moi.

— A plus, Aly.

Il m'adresse un petit sourire, presque imperceptible avant de la suivre. Je les regarde s'installer plus loin et me laisse tomber sur la chaise à côté de Laury-Anne.

— Ça va, chérie ?

Sans répondre, j'attrape mon verre rempli d'un liquide bleu turquoise, et le vide.

Quand je le claque sur la table, je me sens tout de suite mieux.

— Oui ! Ça va aller !

***

— Nan mais sérieusement Aly ?

Saul, Laury-Anne et leurs amis sont pliés de rire.

— Je vous assure. Je me suis retrouvée avec sa touffe synthétique dans la main. Et je ne savais pas quoi en faire... C'était tellement gênant.

L'alcool m'a désinhibée et j'essaie de m'occuper l'esprit pour éviter de penser que Kellen et Cruella se tiennent à quelques mètres de moi. Alors je parle... De tout, de rien. De mes expériences foireuses et de l'attitude odieuse des gens de la mode.

Là, je viens de raconter à la tablée, la fois où j'ai malencontreusement délesté un acteur de sa perruque en plein shooting. Un souvenir mémorable !

— Je crois que son agent m'a définitivement blacklistée.

— Ça prouve bien que les acteurs sont des imposteurs, intervient Rémi, le jeune motard à l'Hayabusa qui admirait mon Audi l'autre soir. Ils se servent de leurs doublures pour briller.

Il attrape ma main et mon sourire s'efface aussitôt.

— Et ils sont incapable d'affronter le danger en face.

Il embrasse mes doigts avant de glisser ma main sur ses pectoraux.

— Les filles comme toi devraient essayer les pilotes de course, elles verraient ce qu'est un mec. Un vrai...

Je suis choquée par ses jugements de valeur. Encore un type qui se croit au sommet de la pyramide et qui tombe dans le cliché. Forcément, les « filles comme moi » sont faciles et écartent sagement les cuisses dès qu'elles voient un type comme lui.

Je retire ma main et m'approche de son visage, en me mordant la lèvre.

— Je suppose qu'une « fille comme moi » ne peut pas passer à côté d'une si belle proposition, n'est-ce pas, Don Juan ?

Son regard s'illumine et sa bouche se relève en un petit sourire carnassier.

— Ouais.

— Et un vrai mec comme toi a toutes ses chances, bien sûr...

Il gonfle le torse en me dévorant des yeux, sûr de lui.

— Ouais.

— Ouais, répété-je d'une voix suave. Sauf que « les filles comme moi » ne jouent pas avec les secondes zones, champion. Elles ne couchent qu'avec ceux qui montent sur la première place du podium...

Le type se renfrogne, ce qui provoque l'hilarité générale. Je savais qu'en ramenant le sujet sur ses performances sportives, je ferais mouche. Le pauvre... Il en est à sa première saison. Alors les résultats ne sont pas encore là.

Mes yeux croisent le regard amusé de Kellen et je réponds à son hochement de tête par un demi-sourire. Il a suivi l'échange et semble apprécier la manière dont j'ai remis le chien fou à sa place.

Je lui adresse un clin d'œil et cogne mon verre sur celui de mon voisin avant d'avaler une nouvelle gorgée de Baby Blue.

— Faut encore que tu grandisses, mon petit Rémi, intervient Saul en souriant.

Le Rémi en question boude maintenant devant son verre comme un gamin.

— Allez, je plaisantais, va ! Maintenant, tu éviteras de me prendre pour une cruche sans cervelle. J'ai étudié ton dossier. Tu as encore une marge de progrès, mais tes résultats sont loin d'être honteux, va. Ton dernier chrono est très prometteur.

Il me lance un regard surpris.

— Ah ouais ?

Je hoche la tête mais Saul détourne mon attention.

— C'est vraiment sympa que tu sois revenue dans le coin, Aly.

Le fiancé de mon amie m'adresse un sourire bienveillant. C'est quelqu'un de vraiment gentil et les voir tous les deux si heureux me donne du baume au cœur.

— Qu'est-ce que tu crois, Don Juan ? Je n'allais pas te laisser passer la bague au doigt de ma meilleure amie avant de vérifier que tu la mérites !

Les autres poussent un grand « Wow ».

Ce que je dis est archi faux. Mais on s'en moque. J'ai envie de le taquiner un peu, ce futur marié. Surtout que Laury-Anne m'y encourage d'un coup d'œil malicieux.

— T'as intérêt à prendre soin d'elle, garçon. Sinon, je te jure que je t'arracherai les roupettes et que je te les enfoncerai dans le crâne par le nez !

Saul s'étouffe avec sa bière. Et les autres ricanent de plus belle. Aussitôt, Laury-Anne s'approche de son amoureux pour le consoler.

— Oh... pauvre choupinou. Elle est méchante avec toi.

Mais le jeune homme n'a pas dit son dernier mot. Il se tourne vers sa fiancée et lui attrape le menton.

— T'es vraiment sûre que tu veux faire d'elle ton témoin ?

A cet instant, Laury-Anne blêmit et lui donne plusieurs tapes sur l'épaule.

— Mais non, bébé ! Je ne lui en ai pas encore parlé ! Merde ! T'as tout gâché la surprise !

Surprise ? Oui, c'est sûr, je le suis. Et touchée. Profondément.

Je me mords la lèvre avant de m'adresser à mon amie.

— C'est vrai ?

Elle hoche la tête, les yeux brillants.

— Si tu veux, bien entendu.

— Bien entendu ! Nan mais comment peux-tu penser que je vais dire non ?

On se tombe dans les bras comme deux ados trop émotives. Et lorsque je me redresse, après quelques secondes, le visage de Saul affiche une moue bizarrement satisfaite.

Bordel !

— Et ton témoin à toi ? C'est qui ?

Là, son sourire se fait carrément énigmatique.

— Surprise...

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