Chapitre 14
A laisser Derek faire ce qu'il voulait de lui, Stiles se faisait l'effet d'un pantin, une marionnette malmenée par la vie. Ses jambes tremblaient quelque peu, mais il le suivait, n'essayait même pas de retirer son poignet de l'étreinte de ces doigts fermement enroulés autour de lui. Dans un sens, il... Avait assez donné. Il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour partir, tout essayé pour pousser Derek dans ses retranchements, tout pour qu'il le foute à la porte. Et ça n'avait pas suffi. Rien de ce qu'il faisait ne suffisait jamais. Qu'importe le domaine, qu'importe les gens... C'était toujours pareil. Le résultat restait le même.
Stiles n'arrivait jamais à rien.
Pourtant, il savait comment énerver Derek, le rendre agressif à son égard. C'était facile... Alors pourquoi n'avait-il pas réussi, cette fois ? Parce qu'il faisait pitié ou parce que les ordres que Scott lui avait donnés étaient plus important que tout le reste ? Quand comprendrait-il qu'il n'avait pas à s'obliger à supporter sa présence juste parce que son alpha le lui avait demandé ? D'autant plus que Scott était bien gentil, mais Stiles n'avait pas besoin de ça. Pas en ce moment. Il y avait eu des fois où il n'aurait pas été contre un peu d'aide et il s'était retrouvé seul à se débrouiller avec ses pensées, ses états d'âme. Pour une fois, c'était ce qu'il demandait et... Non, on préférait le garder sous surveillance.
Et le regarder s'humilier seul, comme s'il n'était rien de plus qu'un spectacle en lui-même. Divertissant. Il était si divertissant que Derek prenait plaisir à respecter la très vraisemblable demande de Scott. Stiles allait mal et il ne pouvait que le sentir : et c'était drôle, parce qu'on ne chercherait pas à l'aider, parce qu'on le laissait toujours se débrouiller seul. Sur ce point-là, l'hyperactif n'en voudrait à personne. Il en avait l'habitude... Pour la simple et bonne raison qu'il avait grandement participé à la créer. Il lui paraissait stupide et égocentrique de faire l'étalage de ses problèmes personnels lorsqu'à côté, l'on avait des soucis bien plus importants à gérer. Des soucis qui menaçaient l'intégrité de tout un chacun. L'apparition d'une bête surnaturelle à l'appétit grandissant, la menace potentielle d'une meute de passage, le vagabondage d'un oméga instable...
A côté, quel était le problème de Stiles ? Une absence d'entente avec ses frères, dont il n'avait jamais voulu mentionner l'existence. Plus qu'un pan du problème, il s'agissait de l'une de ses sources. Et il mentait. A tout le monde. A son père pour ne pas le peiner, à la meute parce qu'elle n'avait rien à voir avec cette histoire dénuée de sens. Parfois, la haine n'avait rien d'explicable : elle naissait, croissait et s'étendait. Dans ce cas précis, il n'y avait rien à faire. Il faisait partie d'une fratrie qui le voyait comme un indésirable et rien ne pourrait faire changer ça. De toute façon, c'était son problème, son affaire à lui – personne n'avait le droit de s'en mêler. S'il ne pouvait pas forcer Stuart et Thomas à l'aimer, il avait au moins la possibilité de protéger la vision que son père avait de leur fratrie tout en vivant loin d'eux. Enfin, c'était ce qu'il se disait au départ mais... Maintenant qu'ils étaient à Beacon Hills et que leur activité principale consistait à le chercher, l'espionner et le suivre pour réduire sa vie privée à néant... Les choses risquaient fort de se compliquer.
Le souci là-dedans, si l'on mettait sentiments et douleurs multiples de côté ? L'idée qu'ils puissent se mettre dans de beaux draps juste en cherchant à l'emmerder, lui. Aucun des deux autres Stilinski ne pouvait imaginer le danger qui pouvait les guetter dans cette ville où le surnaturel régnait de façon invisible pour la plupart de ses habitants.
Et Stiles croulait d'ores et déjà sous la pression que ce fait provoquait alors même qu'il n'en avait pas complètement conscience. Il se savait responsable de la meute, faisait sans arrêt tout ce qui était en son pouvoir pour limiter les dégâts en cas d'attaque ou de traque... Alors naturellement, il transposait par avance ce cas à ses frères, dont il savait l'instinct de survie aléatoire. Dans la vie, ils savaient se montrer prudent : lorsque quelque chose le concernait lui, ces deux idiots étaient prêts à faire n'importe quoi pour l'emmerder, lui pourrir la vie. C'était comme ça qu'il le ressentait... Parce que c'était réel. Et épuisant.
Alors Stiles eut envie de s'effondrer là, au milieu des escaliers. Monter les marches lui demandait trop d'énergie pour lui qui se sentait complètement vidé de tout : de ses forces, de sa vitalité, de sa volonté. Derek lui tenait toujours le poignet, le tirait avec une étrange douceur pour lui indiquer subrepticement la direction dans laquelle il voulait qu'il aille, mais Stiles... Ne désirait plus avancer d'aucune manière. Pas maintenant, en tout cas. Il avait besoin de se laisser aller, de ne plus retenir l'émotion qui le torturait de l'intérieur. Derek s'arrêta, tourna la tête vers lui. Stiles n'y fit pas attention – il avait le regard perdu dans le vague. Toujours debout, pour l'instant. Il le suivait mollement tout en se sachant sur le fil du rasoir, prêt à tomber.
Ses joues étaient mouillées des larmes qu'il ne retenait pas – qu'il n'avait même pas conscience d'avoir lâchées – et elles le brûlaient sans qu'il le sente vraiment. En lui, c'était une digue qui avait cédé, et pas la dernière. Et le regard bleu-vert posé sur lui laissa, l'espace d'un instant, transparaître une émotion claire qui cassait le mythe du personnage froid et sans cœur qu'il rattachait automatiquement à Derek. Même si Stiles finit par lever les yeux vers lui, c'est un détail qu'il ne perçut pas, parce qu'il n'espérait rien à part le fait de se retrouver seul le plus rapidement possible. Il n'attendait pas la moindre compassion, surtout pas venant de Derek. Pas de réelle aide non plus. L'humiliation, les moqueries ? Elles viendraient. Il ne savait pas quand, mais elles viendraient forcément. Parce que l'ancien alpha n'avait rien fait pour lui prouver que cela n'arriverait pas et il l'obligeait à rester dans un environnement qui, il le savait, était doucement en train de l'empoisonner... Au lieu de le laisser partir faire sa vie de son côté.
Cette situation avait ses avantages et ses inconvénients mais pour Stiles, seul le côté négatif ressortait. Même la perspective de nombreuses nuits dans sa Jeep lui paraissait plus enviable à un séjour à durée indéterminée ici, dans cet endroit où les souvenirs heureux régnaient... Mais que son esprit, il en avait conscience, allait pervertir dans un sens sombre – relier le loft à du ressentiment, en somme.
C'est ainsi que Stiles arriva à l'étage, les jambes à la fois lourdes et légères, les deux mains – et plus un poignet – tenues par Derek. C'était quelque chose qu'il ne voyait pas, qui lui passait au-dessus. Son cœur s'avérait trop lourd pour que des détails aussi importants que ceux-ci lui sautent aux yeux. Il avait la conscience de son esprit, de ses pensées : celle de son propre corps s'étaient envolée, si bien qu'il laissa Derek continuer de le traîner où il voulait... Jusqu'à atterrir dans une chambre, les fesses sur le matelas confortable d'un lit. Ce qui lui apparaissait autrefois comme un cocon qu'il enviait lui fit l'effet d'une prison qu'il abhorrait. Derek lui lâcha les mains et attrapa un mouchoir, qu'il lui tendit.
- Essuie-toi, entendit vaguement Stiles.
Le monde et toutes ses perceptions le concernant étaient floues. Il s'exécuta alors, séchant ses quelques larmes avec une efficacité toute relative. Il avait envie d'exploser. De toute laisser sortir et ce, même s'il était encore là. Après tout, Derek semblait déterminé à ne pas le laisser partir, alors un éclat silencieux de sa part ne serait rien, si ce n'est une humiliation de plus. Une source de honte supplémentaire à laquelle seul un départ prolongé de cet endroit pourrait remédier.
- Tu vas rester ici, Stiles.
Ça, il l'avait bien compris. Il n'avait même plus envie de se battre pour regagner ce qu'il considérait comme sa liberté. S'époumoner face à un Derek insensible et indifférent à sa détresse avait participé à achever de l'épuiser. Son émotion était si forte qu'elle détruisait tout sur son passage et faisait fondre son énergie à vue d'œil. Ses barrières intérieures également, si bien que ses joues, à peine essuyées, se retrouvèrent bien vite à nouveau humides.
Et si Stiles entendait tout de façon étouffée, il perçut avec une netteté incroyable le soupir que poussa Derek, toujours face à lui. Un soupir qu'il imagina directement agacé... Et qui le fit automatiquement se considérer comme une gêne. De son côté, Derek n'esquissa pas un geste dans sa direction, mais eut pour lui quelques mots que, sur le coup, l'hyperactif trouva dépourvus de sens :
- Quoi que tu en penses, je ne te laisserai pas partir.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top