Chapitre 10

Stiles avait froid, il était trempé. Derek aussi. Le loup restait imperturbable. Pas l'humain.

L'humain, il tremblait. Peu, mais assez pour que cela puisse être remarqué. Pour que Derek y fasse attention. Pour qu'il lui dise qu'ils étaient bientôt arrivés. Et pourtant, il avait monté le chauffage dans la Camaro dont les sièges souffraient de se retrouver ainsi mouillés.

Derek jeta de réguliers coups d'yeux à son passager, lequel restait muré dans un silence de plomb. Il avait le regard dans le vague, le teint pâle malgré les différentes nuances de bleu étalées sur son visage et son odeur... L'avait-il déjà trouvée aussi nauséabonde ? Derek n'en était pas certain. A vrai dire, il ne s'attendait même pas à le trouver. Il l'avait cherché, oui, mais partait dans l'optique d'abandonner... Jusqu'à ce qu'il trouve la Jeep. Ensuite et ce, malgré la pluie, il avait eu du mal à le pister, il avait réussi à le retrouver.

Et il en était diablement soulagé. Le montra-t-il ? Non. Etaler ses émotions, ce n'était pas son genre et dans tous les cas, ce serait une mauvaise idée.

Derek ne savait pas exactement ce qui prédominait dans l'odeur de Stiles tant elle comprenait de choses. De la colère. Une souffrance nette. Une certaine tristesse, aussi. Mais le pire à ses yeux, ce n'était même pas ça.

Son silence le perturbait sans doute plus que tout le reste. Si Stiles avait tendance à se restreindre ces derniers temps en termes de paroles, il disait au moins quelques mots, histoire de garder la face. Derek le savait, parce qu'il commençait à bien le connaître : l'hyperactif avait à cœur de vouloir se donner l'air plus fort qu'il ne l'était. Pas qu'il ne l'était pas, bien au contraire. Disons qu'il voulait toujours faire plus et à son niveau... Ce n'était pas toujours possible, d'autant plus que n'importe qui pouvait avoir des soucis, des préoccupations. Derek en était un bon exemple, parce qu'il pensait souvent à sa vie. A sa famille, à l'incendie. Il était d'avis que personne ne pouvait être complètement heureux, tout le monde ayant ses propres démons à gérer. Néanmoins, il y avait toujours moyen de se décharger et de rendre la chose moins lourde, moins pesante. En parlant, par exemple.

Mais Stiles n'avait pas l'air d'être enclin à le faire. En fait, Derek n'était même pas sûr qu'il soit complètement conscient à l'heure actuelle. Amorphe, oui, il l'était. Pensif ? Peut-être. En tout cas, rien ne changeait dans son odeur, ce qui signifiait que sa réflexion, si elle était en cours, n'évoluait pas. Il était là, sans être là. Ailleurs, comme s'il était sous le choc, comme si les évènements de la journée le touchaient plus profondément encore qu'on ne le pensait – ce qui était forcément le cas. Stiles était certes hyperactif, mais on le savait également plus ou moins hypersensible. Il avait tendance à sentir les choses plus fort, parfois plus violemment que les autres. Quelque chose qui atteindrait l'un de ses amis l'atteindrait davantage à lui. Sa particularité, c'était qu'il faisait généralement tout pour ne pas le montrer, ce qui faisait qu'il avait développé un certain don pour la comédie. Derek devait l'avouer : Stiles était très fort lorsqu'il s'y mettait – même si l'ancien alpha n'était pas de ceux qu'il pouvait tromper.

Car aucune comédie n'était parfaite. Aucun être ne pouvait être aussi fort pour transformer le mensonge en une vérité.

Pourtant, Stiles avait essayé. Vraiment essayé.

xxx

Stiles ne ressentait qu'à peine l'eau couler sur son corps. Elle était chaude et la température, agréable. Ni trop chaude, ni trop froide. Mais il n'y faisait pas vraiment attention. Il ne bougeait même pas. Se laver ? C'était déjà fait. Plus ou moins. Il avait légèrement frotté certaines parties de son corps et ce, sans trop de conviction. Son corps lui donnait l'impression de ne plus vraiment avoir de forces alors il restait là, simplement.

Debout dans une putain de douche à laisser l'eau lui couler dessus.

Un moment plus tard, il en était sorti. De son propre chef ? Sans doute, puisqu'il était seul dans la pièce. Puis la serviette autour de sa taille... Elle ne s'était pas retrouvée là toute seule. Stiles poussa un soupir. Il lui arrivait parfois d'agir ainsi, en mode automatique. Parce qu'il n'avait pas la foi de bouger en son âme et conscience. Alors, c'était autre chose qui prenait le relais. Stiles laissait faire. Il n'avait aucune énergie, aucune envie. Si ses blessures lui faisaient encore mal ? Aucune idée. Il ne le savait pas et n'arrivait pas à se décider là-dessus.

Ailleurs. Il continuait d'être ailleurs.

Fut un moment où il enfila des vêtements qui n'étaient pas à lui. Des vêtements qu'on avait déposés là, pour lui. Stiles ne se posa pas la moindre question. C'était trop grand ? Bah, il rentrait dedans et ça suffisait. Au moins, le tissu était doux. Pas froid. Pas mouillé. Pas comme ses vêtements à lui, dans la panière à linge sale. Par chance, le sous-vêtement qu'il avait enfilé était à peu près à sa taille. Et encore, si l'inverse était vrai, Stiles n'en aurait pas fait cas. Ce n'était pas un chiffon qui le préoccupait à l'heure actuelle.

Dans sa tête, c'était le brouillard. Pas un brouillard d'oubli ou de confusion. C'était plus sombre, plus insidieux. Le fruit d'une colère sans cesse contenue, tout comme sa souffrance. Cette dernière lui faisait l'impression de braises encore chaudes qu'une simple étincelle suffirait à rallumer.

Elle ferait tout exploser.

Stiles savait qu'il n'était pas à l'abri de violentes sautes d'humeurs – ce qui se révélait assez courant lorsqu'il allait mal. Néanmoins, son apathie actuelle lui allait. Parce qu'ainsi, il ne ressentait pas grand-chose, du moins pas de manière consciente. Dans un sens, c'était reposant. Enfin, plus ou moins. Stiles continuait quand même de se demander vaguement où il allait passer la nuit. En l'état actuel des choses, il ne voyait pas Derek le laisser rester au loft. L'ancien alpha était très clair dans son attitude : celle-ci, froide, presque glaciale, lui laissait entendre qu'il lui rendait service, mais sans plus. Il l'avait laissé se doucher, lui avait prêté des vêtements... C'était beaucoup pour le loup grognon qu'il était. Et Stiles lui en serait tout de même reconnaissant.

Alors qu'il descendait les escaliers, Stiles se demanda un instant s'il ne devrait pas arrêter ses conneries et rentrer chez lui. Bien sûr, il s'exposait ainsi à davantage de problèmes qu'une nuit dehors lui éviterait : la rage de Stuart, la haine de Thomas... Et la présence potentielle de son père. Plus que potentielle, d'ailleurs. Chaque fois que ses deux fils préférés venaient, il faisait en sorte d'être moins absent, plus à la maison. Il déléguait davantage lorsque Stuart et Thomas étaient là. A noter qu'une fois rentré, Stiles serait sans doute surveillé en quasi permanence par les deux autres. Ils iraient lui reprocher mille et une chose, chercheraient à nouveau à le blesser avec ces éléments quelque peu compromettants concernant ses amis. Ils y arriveraient sans problème.

Affreusement las, Stiles songea qu'une nuit dehors, ce n'était pas si mal – bien qu'il aurait préféré, à choisir, la passer dans sa Jeep. Une valeur sûre malgré son inconfort évident.

Arrivé en bas, Stiles ne sut pas trop à quoi il était censé s'attendre ni ce qu'il devait dire à Derek. Bien sûr, le remercier était une évidence. L'hyperactif avait beau être dans une humeur des plus mauvaises, il était bien conscient que si l'ancien alpha l'avait trouvé, ce n'était pas un hasard : il l'avait cherché. Pour quelle raison ? Sans doute une demande de Scott. Ou de Lydia. Elle avait tendance à se montrer impérieuse de temps à autres et agissait parfois comme si elle était l'alpha de la meute – ce qu'elle pourrait être, au fond. Stiles savait qu'elle avait toutes les qualités requises et parfois, il se demandait si le rôle ne lui siérait pas mieux qu'à Scott. Pas que son meilleur ami soit foncièrement nul à ce sujet, il était juste... Un peu trop immature. Stiles le respectait et respectait ladite fonction : mais pour lui, Scott n'avait pas les épaules nécessaires pour assurer pleinement en tant qu'alpha. Ses réflexions purement pratiques l'éloignèrent un temps du côté un peu noir de son apathie.

Stiles avança machinalement vers la cuisine, d'où lui parvenait le peu de bruit brisant le silence du loft. Un certain sentiment d'appréhension se logea dans sa poitrine malgré lui. En soi, l'hyperactif n'avait pas peur de Derek. Pas vraiment. Il continuait de penser que le loup-garou ne lui ferait jamais de mal, même s'il poussait parfois le bouchon un peu trop loin. Ce qui pouvait toutefois le déranger, c'était l'image qu'il pouvait potentiellement renvoyer. Déjà qu'elle ne devait pas être bien glorieuse... Stiles retint un soupir. Il s'agaçait tout seul, maintenant. Pas étonnant que l'ancien alpha se montre souvent aussi froid à son égard. Alors, Stiles fit un effort – un réel effort compte tenu de son apathie qui le poussait juste à se laisser tomber sur le sol pour ne plus bouger. Pénétra dans la cuisine. Se força à ne pas détourner le regard lorsque les yeux de Derek se posèrent sur lui. S'efforça d'ouvrir la bouche, de le remercier sans que sa voix ne soit trop dure, trop sèche. De prendre un air égal. De ne pas laisser ses émotions les plus fortes remonter à la surface. Il ne le fallait pas. Il ne le devait pas.

Derek reposa la poêle qu'il avait en main sur le feu, que Stiles n'avait pas remarqué jusqu'alors. Son étrange apathie ne s'effaçant qu'à peine, l'hyperactif ne perdit pas de temps et lui dit qu'il avait été très gentil de l'avoir emmené, laissé se doucher et de lui avoir prêté des vêtements. Il lui assura également qu'il les lui rendrait les plus tôt possible et qu'il n'allait pas le déranger plus longtemps.

Stiles ressentit une sorte de pincement au cœur en prononçant ces mots. Puis le regard de Derek ne l'aida pas à se sentir mieux. L'hyperactif céda très vite à cette fausse confiance en lui qui s'effondrait tout aussi vite qu'elle était apparue. A nouveau, la lassitude s'empara de lui. C'était usant, ce genre de situation. Usant de ne pas se sentir à sa place, d'avoir l'impression d'être une gêne perpétuelle de tous côtés. Roscoe lui manquait déjà. Sa tranquillité légendaire à la maison aussi. Intérieurement, il maudit ses frères pour être revenus ainsi, sur un coup de tête. Pour une durée indéterminée. En fait, c'était ça qui minait le plus Stiles : ne pas savoir sur combien de temps la situation allait s'étaler.

Derek se remit à la cuisine et Stiles sentit sa peine creuser plus loin encore dans son cœur. Mais il garda le contrôle. Se retourna. Fit un pas pour sortir de la cuisine.

- Mets la table.

Stiles retint un nouveau soupir et s'exécuta malgré lui. Une habitude, quand il était mal. Faire ce qu'on lui disait sans réfléchir. Puis il devait bien ça à Derek : mettre la table contre une bonne douche et des vêtements propres... Ça lui allait. Il sortit alors une assiette suivie de son couteau et de sa fourchette, pour finir par un verre. Lui et la meute passaient tant de temps au loft que Stiles connaissait tous les placards et tiroirs de la cuisine par cœur.

- Pour deux, Stiles, entendit-il.

Stiles obéit, sans se poser la moindre question. Après avoir déposé le set de Derek, il mit un couvert supplémentaire. Puis, il se prépara à partir.

- Assieds-toi.

D'accord. Toute forme d'appréhension s'en allant suite à cet ordre donné d'un ton on ne peut plus froid, Stiles s'exécuta. Et attendit de savoir ce que Derek lui voulait. La lassitude le prit de nouveau aux tripes. En l'état actuel des choses, il avait l'impression de ne plus rien ressentir... Tout en sachant que c'était faux. Il avait simplement atteint un état de fatigue mentale tel, que son esprit avait momentanément besoin d'un break.

Stiles se perdit à nouveau dans cette apathie folle qui l'avait pourtant partiellement quitté quelques minutes plus tôt. S'il vit effectivement Derek le servir et remplir correctement son assiette, il se mit plus à agir par automatisme qu'autre chose. Manger, sans se rendre compte que le loup avait pensé à lui. Plus tard dans la soirée, il accompagna Derek à l'étage et le laissa l'allonger dans ce lit qu'il avait déjà occupé quelques jours plus tôt. Sans un mot. Sans résister une seconde. Sans se poser une seule question. Il ferma les yeux.

Et sombra malgré lui dans un sommeil lourd, dépourvu de tout rêve.

Vide. 

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