09 | les cours




09

JADE


MALGRÉ TROIS TENTATIVES FOIREUSES, je n'ai pas réussi à décrypter l'exercice de chimie. Calculer un pourcentage massique à partir de la densité d'une solution à titrer... C'est pire que différencier les sons avec ou sans « g » à la fin du pinyin en chinois. Si je sors cette référence à Olympe, elle me frapperait sûrement dessus pour cause d'incompréhension totale.

Toutefois, quand je file le problème à Saul à la bibliothèque, il parvient à éclairer le tout en écrivant trois formules. Je soupire : voir les autres s'en sortir est relativement simple, mais le trouver soi-même, affreusement périlleux.

— Et là tu remplaces, t'oublie pas de préciser les unités... et hop application numérique sur la calculette, chuchote-t-il en me faisant un clin d'œil.

Ce mec est un monstre. Littéralement. Il est tellement fort dans toutes les matières que ça me dépasse. En y repensant, il m'avait déjà dit qu'il prenait sa scolarité à cœur, mais à ce point... avec autant de motivation malgré ses facilités, ça me tue. Peut-être que ses parents ont bien fait de l'amener ici ; à ce qu'il paraît, il n'en branlait pas une à la capitale.

— Comment tu fais ?

— De quoi ?

— Ça ? Résoudre tous les problèmes rien qu'en lisant la consigne. Genre ça demande de la réflexion, mais toi, ça va super vite.

Le blond hausse les épaules. À notre droite, une bibliothécaire nous envoie des éclairs rien que du regard. Son « taisez-vous » sans son m'intimide : je me tais et n'écoute pas sa réponse.

— Tu sais que tu peux parler autant que tu veux ? On chuchote, remarque Saul.

— Oui mais on la dérange. Donc maintenant on reste silencieux.

Il lève les yeux au ciel.

— Tu déranges personne Jade, c'est bon, faut que t'arrête de penser qu'on peut déranger n'importe qui tout le temps. C'est pour ça que t'oses pas poser de questions aux inconnus.

— Eh ! On a dit qu'on en reparlerait plus ! me révolté-je en faisant référence aux événements de la veille.

Je fais des grands gestes pour me justifier tandis qu'il esquisse un sourire diabolique. Oh le con.

— T'as raison, mieux vaut qu'on se taise, achève-t-il en entendant la bibliothécaire soupirer d'exaspération.

Pour ma défense, ce n'est pas ma faute si je déteste parler aux inconnus. Hier, au supermarché, on cherchait de quoi décorer notre fondant au chocolat. Mais comme on n'était pas doué, on n'a pas trouvé. Saul, qui aime fuir les tâches chiantes, s'est contenté d'aller faire la queue à la caisse en me chargeant de la mission suivante : demander au personnel du supermarché là où on trouverait les « vermicelles Vahiné ». Je n'ai pas su aborder la dame qui aurait pu nous aider, ayant l'impression de la déranger... Elle était occupée à ranger des boîtes de thé. On est sorti sans décoration, et j'ai eu le droit à des petits coups de coudes taquins dans les côtes.

— Je t'emmerde, marmonné-je entre mes dents.

Et après avoir embrassé ma tempe, il se remet au travail, tout sourire. Le contact me fait rougir, sans surprise, et je fais comme je peux pour faire la foutue application numérique en respectant le nombre de chiffres significatifs.


***

EN SORTANT DE LA BIBLI', j'ai l'impression d'avoir été lessivée de toute énergie. Cette dernière année de lycée est éprouvante et les prochaines semaines sont chargées. J'ai l'impression que le monde peut s'écrouler si je n'apprends pas mes formules en physique, tout en essayant de déchiffrer le sens des notions en anglais.

La première, c'était de l'eau, comparée à cette année.

— On fait quoi ?

— Je dois rentrer chez moi, rappelé-je.

— T'es même privée de sortie l'après-midi ? Il n'est que seize heures.

— Oui ? répliqué-je avec évidence.

— Mais t'es venue hier chez moi...

— J'ai dit que j'avais une présentation à rédiger en groupe. Et puis on avait fait un gâteau, c'est pas pareil.

— Tu peux mentir de nouveau ? propose-t-il avec un regard malicieux.

— Non merci, je traîne trop avec toi. C'est fatigant de t'avoir sur mon dos toute la journée.

C'est totalement faux. Mais c'est plus marrant de blesser artificiellement son petit cœur.

Saul, les yeux écarquillés, riposte :

— C'est méchant ça.

Je lui souris. Quand on peut, on fait nos gamins. C'est marrant, il est très susceptible avec moi. Avec les autres, il reprend sa carapace de mec trop méga super cool sociable mais intouchable. Ce qu'il est un peu, au fond.

— Bon bah, ciao, termine-t-il en traçant son chemin.

Je trace également le mien, avant de me retourner pour voir s'il regarde dans ma direction. Et ce con a la bonne idée de courir vers moi, comme pour m'écraser.

— Viens chez moi.

— Pour faire quoi ?

— S'embrasser ?

— Va te faire foutre.

Nos regards se croisent et je ris. C'est un sujet risible entre lui et moi. Le « baiser » ? Ah non, ça n'existera pas si nous continuons sur cette voie. On flirte autant qu'on se friendzone, c'est étrangement confortable.

— Je vais vraiment rentrer, mes parents me laisseront pas sortir un autre après-midi si je continue sur cette voie.

— OK OK, tu veux que je te raccompagne ?

Attendrie, j'enroule mes bras autour de son cou.

— Non non, t'habites pas loin.

Mes lèvres se plaquent sur sa joue. Et comme déconnectée du monde, je fonds un peu quand il passe sa main dans mes cheveux. Mon cœur commence à battre ces derniers temps, après tous les moments passés ensemble. Et puis, il m'a embrassé sur la tempe aujourd'hui, c'est beaucoup sur l'échelle de nos contacts physiques inexistants.

Ce qui est miraculeux, c'est l'absence de gêne. En apprenant à le connaître, on se rend vite compte qu'être gêné n'est pas un sentiment qui va de pair avec Saul. J'ai déjà dit qu'il mettait à l'aise, qu'on se sentait à l'aise, mais en apprenant davantage à le connaître, on se rend juste compte qu'il est la rencontre idéale pour brouiller toutes les idées préconçues qu'on aurait sur les contacts sociaux.

— Demain, t'assures au contrôle de physique hein, encourage le blond en partant.

— T'inquiète même pas, je réponds, à moitié convaincue.

***

HÉLAS, MON CONTRÔLE DE PHYSIQUE est totalement foiré. Personne n'a réussi. À part Lisa qui a l'air d'avoir été la seule à rendre sa copie sans verser de larmes ou tirer la tronche. Elle avait limite l'air aux anges. Saul, lui, est moyennement satisfait : il n'a pas tout fait.

— Mais quelle foutage de gueule cette interro ! se plaint Olympe en ruminant sur place.

Débuter sa semaine par un contrôle foiré, c'est le destin qui force notre dépit.

— On fait quoi ? On le nique ou on lui vole ses copies ? poursuit-elle rageusement.

— Viens, je peux te faire un câlin, proposé-je en ouvrant grand mes bras.

À la place de recevoir la chaleur de ma meilleure amie, une main décoiffe mes cheveux. Je me retourne et croise les yeux de mon petit-ami.

— T'as réussi ? demande-t-il innocemment.

— Chhhhh.... n'en parlons pas, rassuré-je en remettant en place mes mèches.

Gabriel est sorti rejoindre Grégoire pour la récré, laissant une place vide auprès de Saul. En classe, nous restons nous-même, rien de très différent à part nos privates jocks pompeux.

— Il me fait la gueule ?

— Qui ?

— Gabriel.

La question semble légèrement rhétorique, mais il persiste à essayer de me convaincre que non. Ça fait deux semaines qu'il ne m'adresse plus la parole. Et même quand je crois que notre trio s'est formé et qu'on peut passer du temps ensemble, il n'y a d'yeux que pour Saul et un long silence pour moi lorsque je lui pose une question.

Quand Saul s'apprête à me répondre, Gab' décide de revenir. La sonnerie retentit et je fais comme si de rien était en me retournant. Olympe semble perplexe et m'interroge du regard.

— Quoi ?

— T'es piquée.

— Piquée ?

— Sur le point de tomber in love.

— De qui ?

— Saul ? Qui d'autre ?

Déboussolée, je regarde autour de moi, par peur qu'on l'entende même si elle a baissé le volume de sa voix.

— Tu dis n'importe quoi.

— Si si t'es piquée.

— Non, non, affirmé-je d'un air détaché.

Paradoxalement, même si je sais que je commence à m'attacher, je n'ai aucune envie de le reconnaître publiquement. Avec Saul, ce serait trop compliqué.

Parfois, je ne sais pas vraiment ce qu'il attend de moi dans notre « couple ». On est un peu un duo dans une bulle, flottant entre les problèmes de couples adolescents. On se voit souvent, étant dans la même classe. On se parle parce qu'on a l'impression d'être sur la même longueur d'onde. Et on se sent bien ensemble, naturellement.

Mais Saul est discret en termes de sentiments, un peu cash quand il dit qu'il n'y croit pas trop.

Je ne sais pas si on peut véritablement parler d'amour. En tout cas, avec le peu que j'ai expérimenté, j'ai plutôt l'impression d'avoir trouvé la bonne paire de gants, qui me réchauffe le cœur et les doigts, à chaque instant.

— Y a la réunion parents-prof bientôt, tes parents viennent ? demande-t-elle en changeant de sujet.

— Oui, ils veulent rencontrer le prof de physique. Fin mon père. Je suis dans la mouise.

Une vraie catastrophe. J'ai 9 ce trimestre pour l'instant.

— Courage, ça ira. Franchement, il devra admettre tôt ou tard qu'il y a un problème dans sa façon d'enseigner si tout le monde se tape 3 au contrôle. Et vous les gars, vos parents viennent? interroge-t-elle en se tournant vers la rangée de derrière.

Saul récite le discours que sa mère lui a fait sur ces rendez-vous. Elle n'y assiste jamais, par peur de « perdre du temps » en reprenant ses mots. Gabriel, le regard dur, répond par un sec « non ».

— Et toi Lisa ?

Lisa, première de la classe, sort de sa rêverie. Olympe adore poser pleins de questions.

— Je sais pas, je fais plus attention. Mes parents s'en fichent.

Je l'envie. Ça doit être agréable de ne pas avoir le stress d'une mauvaise appréciation sur son bulletin, ni la culpabilité de décevoir les attentes de ses parents.

***

EN TP D'SVT, j'ai eu la chance d'être coincée entre Saul et Gabriel, qui m'ont laissée la fameuse place du centre. Gabriel gribouille dans la marge pendant que Saul suit le cours avec rigidité.

— Faut faire quoi ? posé-je au brun.

— Demande à Saul.

— Il me répond pas, il suit trop.

Gabriel me passe alors son classeur et me montre le schéma de la mouche à dessiner. Depuis la pause déjeuner, il est moins froid avec moi. Saul a dû lui parler.

— Ahhhh OK. Merci.

Je recopie les légendes de mon voisin de droite, mais en tournant la tête, je croise son regard frétillant posé sur moi. Tout d'un coup plus fuyant, ses yeux noisette se reconcentrent sur le tableau.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu me regardes comme ça ?

— Je te regarde pas, réplique-t-il à voix basse.

— Bah si, dis-moi.

— Te dire quoi ?

— Pourquoi tu me regardes comme si t'avais quelque chose à dire ?

Saul nous lâche un « Chut ». Je lui pince la côte, ce qui me vaut des chatouilles à la taille.

— Faut arrêter de fumer avant les cours Jade. Je te regardais pas.

— Moi je te dis que si.

— Bah non.

— Bah si.

Avec mon crayon à papier, je gribouille une paire de yeux sur sa feuille simple. Le brun la gomme aussitôt.

— Tu sais pas dessiner des yeux, c'est chaud, se moque-t-il méchamment.

— Montre-moi, monsieur l'artiste.

Et il le fait, sans sourciller, avec son crayon 2B à la con.

— Époustouflant, lâché-je avec ironie.

Il dessine bien et ça me soûle de perdre contre lui.

— Écoute pas les rageux, commente Saul.

— Et mais toi, le défends-pas !

Je me plains assez fort pour attirer l'attention de quelques élèves. Mon rire nerveux éclate malencontreusement et c'est Gabriel qui pose sa main sur ma bouche pour l'étouffer lorsque la prof lève les yeux vers nous.

— Tu fais quoi Gabriel ?

— Je t'évite une heure de colle.

— On a le droit de rire non ?

— Non, la prof est de mauvaise humeur.

Dépitée, je retourne bosser sur mon schéma. Saul appelle à l'aide pour la question trois, et avec un éclair de génie inouï, je parviens à lui expliquer les enjeux du document.

— Merci Jadounette trop forte en SVT, susurre Saul avec beaucoup de reconnaissance.

Puis on entend quelqu'un s'étouffer : c'est Gabriel qui se moque de moi, viscéralement.

Ma main vient envelopper sa bouche.

— Tu fais quoi Jade ? marmonne-t-il en essayant de se dégager.

— Je t'étouffe encore plus.

Saul, qui a arrêté de suivre un instant, rit aussi. On lui promet trois coups de pieds au cul dans la cour.

Gabriel attrape alors ma main pour l'enlever de son visage, et je ne peux m'empêcher de frissoner quand nos doigts se touchent. C'est rare mais anodin, et je n'ose plus parler. Il me tient d'abord la poignée, pour me forcer à ne pas recommencer, puis doucement, nos peaux se frôlent.

Je l'observe galérer avec sa seule main valide pour tracer un trait droit à la règle. Après deux minutes, le brun me lâche subitement lorsqu'il se rend enfin compte qu'on a quasiment les doigts entremêlées.

Et j'oublie vite où je suis, en retrouvant la motricité de ma main droite rougie.

— Bon la rangée de trois, vous vous taisez sinon vous vous séparez, ordonne Madame Œillet.

Deux disputes plus tard, j'ai dû changer de paillasse. Et en évitant de penser à l'accident des mains, je regrette ma meilleure amie... Olympe aurait dû être dans le groupe B, ça m'aurait épargné ces heures de TP avec ces deux gros boulets.





nda: juste le trio un petit chapitre de plus <3

encore joyeux noël!

elo

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