06 | le mexicain


06

GABRIEL



GRÉGOIRE ME FAIT LA GUEULE. Il trouve que je traîne trop avec Saul. C'est triste parce que je m'en fous un peu.

Donc rien que pour le faire chier, j'ai accepté qu'on mange ensemble à trois, au resto mexicain du coin. C'est un samedi soir banal, où Greg veut me forcer à sortir à tout prix...

— Il mange avec nous? demande-t-il surpris en voyant arriver Saul.

— Ouais, il mourrait de faim.

J'ai tout de suite compris que Grégoire et Saul, ça allait pas être l'amour fou. Mais pour l'instant, je m'en fiche, j'avais la flemme de traîner qu'avec Grég' et ces maudites histoires.

— Vous parliez de quoi?

— Marion, répliqué-je de but en blanc.

La situation est globalement risible. Mon meilleur ami sort avec la fille qu'il n'aime pas, juste parce qu'il sait que c'est plus facile et qu'il n'a pas vraiment à se rattraper. Le fait est qu'il est amoureux de Marion, mais qu'il ne s'en doute pas. Mais le tocard est effrayé par l'idée de se poser uniquement avec une seule personne. Donc en se mettant avec Marion, par panique, il a fréquenté Jeanne, elle-même au courant qu'il sortait avec quelqu'un. Jusqu'au bout, il n'assume pas de regretter son choix.

— Y a un pote de Tina qui lui parle récemment par message. Vous êtes au courant? raconte Saul.

Grégoire lâche son menu, et se retourne soudainement vers le blond.

— Un pote? répète-t-il avec méfiance.

— Ouais, un pote. Je crois il s'appelle Bastien. Il sera à la soirée ce soir.

— Attends, Marion est à la soirée?

Il se regarde dans la vitrine, inspecte sa tenue puis sa coiffure.

— Et Jeanne aussi, vu que tu l'as incrust', rappelé-je.

Un silence morbide s'installe, comme si tout le monde reconnaissait juste la connerie ultime de mon meilleur ami. Même lui.

— Les gars, je suis dans la merde.

— Sans blague, l'enfoncé-je un peu plus.

— Tu m'aides vraiment Gabriel. Merci.

Le serveur vient nous prendre notre commande, et j'opte pour tout ce qui contient du guacamole. Grég' n'a pas faim et son sourire disparaît un peu plus tandis que Saul sirote sa bière.

— Mais tu sors avec Jeanne non? Tu t'en fous de Marion?

Saul vient de l'achever.

— Je vais lui envoyer un message, se motive-t-il subitement.

— Hein?

Mon interjection passe à la trappe. Grégoire sort directement son portable.

— Vous savez quoi, je vais l'appeler.

Il compose le numéro de Marion, qu'il connaît par coeur.

— Mauvaise idée, commente Saul.

— Très mauvaise idée, approuvé-je en choeur.

Mais ça ne l'empêche pas de le faire. Il sort du mexicain, parle avec des grands gestes devant tous avant de rattraper le bus. Et avec Saul, on ne l'a pas revu du repas.

— Il est toujours comme ça?

— Hm?

— Intense et irréfléchi?

— Ouais.

Ma commande arrive et je me remplis le ventre en trois bouchées. Le fromage des nachos de Saul dégouline. J'ai toujours cette tendance à avoir envie de manger le plat des autres, alors que je ne le commanderai jamais pour moi.

« Elle est déjà chez Tina. J'y vais. On se rejoint là-bas. »

Je lui montre le message et Saul n'arrive pas à retenir son rire exaspéré. Je suis à la limite de défoncer Greg' ce soir s'il fait d'autres erreurs encore plus grosses et plus connes.

— Vous vous ressemblez que dalle toi et ton pote, lance Saul.

— Ouais, on nous demande souvent pourquoi on est pote. C'est nul.

— Et alors?

— Je réponds toujours que j'en sais rien. Ça s'est fait comme ça. Des fois, y a des amitiés qui s'expliquent pas.

Saul a l'air de comprendre là où je veux en venir.

— T'étais au courant qu'il sortait avec les deux en même temps?

— Ouais. Mais en vrai, c'est erroné la version des autres. Il est sorti avec Marion puis il a commencé à fréquenter Jeanne. En fait, Grégoire il est pas malin et c'est encore un gamin, donc il a besoin d'avoir un certain contrôle sur ses relations avec les filles. Le truc, c'est qu'il arrivait pas à quitter Jeanne, parce que ça le rassurait de ne pas être totalement fou amoureux de Marion. Mais c'est con parce que le résultat est le même. Il est dingue d'elle.

— Dans tous les cas, Marion devrait lui cracher dessus.

— Carrément.

En amitié, on ne défend pas toujours ses potes. On peut essayer de comprendre certains comportements. Mais quand ça foire, il n'y a pas trente-six mille solutions. Faut juste encaisser et regarder l'autre devoir assumer tout ce qu'il a mal fait.

Vingt minutes plus tard, après ce tête-à-tête improvisé avec Saul, on décide de bouger.

— On va où? interrogé-je en sortant une clope de mon paquet presque vide.

— Chez Tina?

— Non flemme, il est encore tôt.

Il est bientôt vingt-deux heures, rien de très impressionnant. Une pensée me traverse l'esprit et j'essaye de relativiser, en me disant que ça fait bien une semaine au moins qu'elle et moi nous nous entendons à la limite du bien; et que si je pense à elle là tout de suite, c'est juste par hasard et que ça arrive.

— Elle vient chez Tina... Jade?

J'ai pris le ton le plus détaché possible. Saul s'est ensuite tourné vers moi, un sourcil haussé et un rictus impitoyable aux lèvres.

— En quoi ça t'intéresses ?

— Bah je sais pas, t'as dit qu'on formait un trio grandiose.

Le blond a l'air fier de lui.

— Non, elle vient pas. Ses parents veulent pas. Ils disent qu'elle sort trop. Mais si tu veux on peut passer devant chez elle.

— C'est un peu glauque non?

— Non, tranquille, ça lui fera plaisir de voir nos têtes.

J'essaie de le trouver convaincant. Le plan du bus nous indique le chemin. Elle habite à environ un quart d'heure d'ici. Sur le trajet, Saul me pose pleins de questions sur des sujets divers et variés .

Ce que j'aime bien avec lui, c'est que je deviens bavard, qu'il arrive à mettre à l'aise l'introverti blasé que je suis.

— T'es du genre romantique? pose-t-il avec son éternel sourire narquois.

— Mec elle est bizarre ta question.

— Tu t'en fous. Tu tapes une discut' avec Saul Mercier. Y a pas de tabou.

Je lève les yeux au ciel.

— Alors t'es romantique?

— Non. Je trouve que ça sert à rien. Et toi?

Saul sourit:

— Moi de toute façon, je crois pas en l'amour. Alors romantique pas... niet.

— Ah ouais?

Il acquiesce.

— Mes parents sont l'exemple même du couple foireux. Ma mère s'est remariée deux fois, mon père trois. J'ai au moins cinq demi-frères et soeurs. T'imagines même pas les réunions de famille, raconte-t-il.

Tendu.

— Moi aussi, mes parents ont pas été un couple heureux. Ils se sont rencontrés à la fac. Ma mère a jamais vraiment lâché mon père. Puis y a eu des complications et là, ils vivent plus ensemble.

— Elle va divorcer?

— Je pense ouais.

Saul a posé sa main sur mon épaule, comme pour me rassurer et me souhaiter « bon courage ». J'ai trouvé ça sympa. Ça changeait des « ça ira » que je me force à avaler chaque jour.



***

NOUS ARRIVONS devant le pavillon des Zhang. Saul l'appelle et Jade sort, accompagnée de son petit frère.

— C'est qui ces messieurs ? demande le petit.

— Des gens de ma classe.

Saul a plissé les yeux et j'ai remarqué des ombres curieuses derrière la fenêtre.

— Qu'est-ce que vous fichez là? demande-t-elle surprise.

— Gabriel voulait te forcer à venir avec nous chez Tina, annonce le blond.

J'en crois pas mes oreilles.

— J'ai jamais dit ça. Et c'est toi qui voulais qu'on rode comme des prédateurs devant chez elle !

— Oui mais c'est toi qui a demandé si Jade venait !

La brune rit.

— Allez vous chamailler ailleurs, mon frère va prendre exemple sur vous à force.

Le petit garçon acquiesce. Il ressemble beaucoup à Jade, en plus mignon.

— Donc tu peux vraiment pas venir?

Elle sourit, d'un air désolé.

— Mes parents veulent pas.

— Bon bah on y va alors Saul. On se barre. Ça sert à rien de rester.

Jade pose enfin ses yeux sur moi et me toise légèrement. Je ne comprends pas trop son comportement. De temps en temps, elle dit que je suis « chouette », et le reste du temps, on a l'impression qu'on se déteste.

Mais je la déteste plus trop depuis l'épisode des crêpes.

— On se voit demain, rappelle-t-elle à Saul.

Puis, se tournant vers moi, elle ajoute:

— Surveille-le.

— Moi?

— Oui, toi. Me déçois pas.

Avec son petit sourire satisfait, elle rentre chez elle, sans rien ajouter de plus. Et moi, confus, je reste là, son avertissement scotché au coeur.



***

LA NUIT EST TOUJOURS PLUS CALME quand on est coupé du monde extérieur. Dans la salle de bain de mon plus vieil ami, je tire sur un bon joint avec Grég'. Il a totalement pété les plombs et a fait une scène nulle à la soirée.

On est rentré blasé à deux heures du matin, à pied.

C'est assez étrange de détester être dehors et adorer ne pas être chez soi. Peut-être que c'est juste le manque de refuge qui me pousse à toujours dormir chez les autres plutôt que chez moi.

— J'ai un crush.

J'ai lâché la bombe comme ça, sans pitié. Grégoire s'est tourné vers moi, surpris.

— Qui?

— La meuf de Saul.

C'est dit.

— La chinoise?

— Ouais, la chinoise.

J'ai un crush sur Jade Zhang. Cette idée me fait marrer et je m'étouffe un peu avec la fumée.

— Tu lui trouves quoi?

— Je sais pas, quand elle me donne un peu de son attention, je change un peu trop de comportement pour que ce soit anodin.

— Donc, Gabriel le trouduc' a un crush?

— Ouais. J'ai un crush.

Avec Grégoire, on éclate de rire. On parle pas trop des choses comme ça. Mais ce soir, un peu défoncé et content de traîner avec lui après la catastrophe de la soirée, j'aimerais lui faire changer les idées.

— Mais elle sort avec Saul, ton nouveau meilleur ami.

— Sois pas jaloux.

— Bah si.

— Bah non.

— OK, j'arrête d'être jaloux; mais la prochaine fois, préviens-moi si tu l'invites au mexicain. C'est notre antre. Notre base secrète, oublie pas.

La mine de Grégoire se rembrunit quand je retrousse mes manches.

— C'est quoi ça?

— Un bleu.

— Ton père?

— Ouais.

Silence. On ne sait plus quoi se dire, alors je réponds à sa première question:

— Je pense que je vais rien faire, les crushs, ça part toujours avec le temps.

— Ça peut partir en couilles aussi.

Il a peut-être raison. Me voyant embêté, Grégoire vire sur un autre sujet:

— Je me sens sale.

— C'est-à-dire?

— J'arrive même pas à regarder les autres dans les yeux depuis cette sale affaire. J'ai fait que de la merde.

Je lui fais une tape dans le dos, comme pour l'encourager un peu plus à prendre le chemin de la rédemption.

— Je me déteste.

— Mec, t'as de quoi, mais faut pas.

Et Grégoire se met à pleurer, seul, dans sa baignoire.

— Passe, ordonné-je.

Je lui prends le joint des doigts, regarde ce petit bout roulé qui nous fait nous sentir bien.

— Elle a dit qu'elle veut plus jamais me revoir de sa vie.

— En même temps, si j'étais Marion, je t'aurais craché à la gueule.

Merde, c'est sorti tout seul.

— Mec je sais. C'est trop con, mais quand je l'ai vu, j'ai cru que j'allais me pisser dessus.

Quelqu'un griffe la porte de la salle de bain. On laisse son chat entrer. Et je fonds.

— Il est trop mignon.

Silence. Je caresse la petite bête qui réchauffe ma main.

Grégoire fixe l'écran de son portable.

— Au moins, j'ai Jeanne.

Tout cette histoire est piteusement triste. Je peux pas m'empêcher d'ajouter deux trois mots:

— Mec ça craint, faudrait que tu la quittes elle aussi.

Le brun ferme les yeux, rassuré que je le guide un peu dans le brouillard de sa vie.

— Ouais, t'as raison, elle mérite mieux qu'un con.

J'ai rien dit. Parce que je pense aussi très fort qu'il est con. Mais le voir triste, ça m'a fait réaliser qu'avoir un crush allait être plus périlleux que prévu. Surtout quand je m'appelle Gabriel et que j'ai aucun talent pour communiquer avec les gens.




nda: c'est bon, je reprends le bouquin très sérieusement;

j'espère que vous êtes prêts parce que moi mdr ce bouquin je suis pas prête. on a installé les bases dans ces six premiers chapitres, les six prochains, on verra bien ce qui arrivera mdrmdr


vous pensez quoi des persos pour l'instant?

merci pour votre activité sinon! et votre patience!!!

elo

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