03 | les trucs d'adolescents




03

JADE


J'AI TOUJOURS ÉTÉ RÊVEUSE. Petite, quand mon père m'apprenait encore à utiliser des baguettes pour manger, je m'imaginais dans des mondes merveilleux en train de me transformer en fée. Malgré toute la niaiserie qu'il pouvait y avoir, je me suis toujours attachée aux histoires à l'eau de rose, qui peuvent devenir chiantes avec l'âge, mais qui font toujours bêtement fondre les cœurs.

C'est incroyable la façon dont on devient réaliste en grandissant. Comme si tous les royaumes de l'imagination qu'on avait pu se créer, enfant, s'envolaient à chaque fois qu'on faisait un pas de plus dans le monde des grands.

Et ce monde bien réel peut être parfois badant.

- Tu peux mettre mon nom sous le tien ? demande Olympe.

Il faut rendre un DM en maths pour demain. Et elle et moi, savons très bien que ça va finir d'ici deux minutes en tensions. En effet, si Olympe force à ce point, c'est parce que nous devions faire ce DM à deux, mais que bien sûr, ma meilleure amie n'a rien branlé. Et comme d'hab', j'ai tout fait. L'ayant prévenu une semaine auparavant, j'ai pris la décision de ne pas marquer son nom dans le coin gauche de la copie.

- S'te plaît, c'est la dernière fois.

- T'as déjà dit ça l'autre fois en anglais.

Olympe se tait, misérable et tente sa technique « yeux de chatons ». Ça ne marchera pas. J'ai arrêté de céder depuis que j'ai réalisé que, faire le taf à sa place, ça n'allait jamais lui faire bouger le popotin.

- S'te plaît...

- Nope.

Et là, le sauveur débarque. Rayan. A.K.A notre meilleur ami. Tout le monde oublie en général, que de base, lui, Olympe et moi formons un sacré trinôme du tonnerre. Tout ça parce qu'il est pote avec tout le monde en TES2, loin de nous, en TS1.

- Salut, lance-t-il tranquillement.

Ce que j'adore avec Rayan, c'est qu'il est chill. Le genre de pote qui ne se prend pas trop la tête, qui fait des vannes drôles et qui adore discuter de tout et de rien sans soucis. En dehors des cours, on le voit toujours sur un skate, clope au bec.

Je souris radieusement.

- Ça va ?

Il acquiesce, pendant qu'Olympe capitule. Elle devra bosser dans son coin ce soir.

- Vous faîtes quoi ? demande-t-il.

Rayan a tout de même fait l'effort de venir nous chercher dans notre classe. Contente de voir sa tête, je lui montre le DM. Et sans rien dire, il capte le problème. Le brun lève alors les yeux au ciel.

- Next, on s'en balec... Ah oui... Vous savez quoi ? Je suis en couple, déclare Rayan de but en blanc.

Toutes ses annonces sortent toujours de nulle part. Il me surprend à chaque fois. Même quand c'est prévisible.

Olympe, choquée par la nouvelle, pousse un léger cri. Les gens se retournent vers nous. Dont Saul et Gabriel qui viennent de rentrer dans la classe. Ça va sonner.

- Avec qui ? demandé-je en ayant déjà une petite idée sur la réponse.

- Devine.

- Justine ? Attends, Ophélie ? Lana ? Oh oui... Me dis pas que c'est...

- Si, affirme Rayan.

- Non.

- Si.

- Non, t'as pas osé...

Je soupire.

- La vache, t'es vraiment qu'un petit con.

Saul débarque.

- Vous parlez de quoi ?

- Du fait que Rayan sort avec une seconde. Juliette Son, l'eurasienne. Elle est trop mignonne, je réponds tranquillement.

Derrière, Gabriel, roule des yeux.

- Quoi ? demandé-je en remarquant sa réaction abusée.

- Elle est pas si mignonne que ça.

- Rageux, va.

Elle est magnifique. Du genre « mama mia ».

Gabriel me lance alors un petit bout de gomme à la figure.

- Retourne-toi, tu me gâches la vue.

Je lève les yeux au ciel en répliquant :

- Je prie chaque soir pour que tu grandisses un jour.

Et Gab' lève exagérément les yeux au ciel à son tour.

***

- J'ADORE TES CHAUSSURES, complimente Olympe en direction de Juliette.

Elle nous sourit sans aucune timidité. Cette fille propage des vagues de confiance hors norme. Si seulement je pouvais faire pareil...

Rayan, sur le côté, est au téléphone.

- Bon je vais rentrer, annoncé-je en voyant Saul sortir du lycée.

Je ramasse mon sac étalé par terre.

- Tu fais quoi ? demande la blonde.

- Bah je rentre avec Saul, il prend le même chemin que moi.

Olympe, suspicieuse, me fait la bise. Et je rejoins mon camarade de classe sans soucis. Pourtant, lorsque je le rattrape, il a mauvaise mine.

- Quelque chose ne va pas ? lancé-je, inquiète, en lui tapotant l'épaule.

Saul est assez simple à lire comme garçon. Très souriant, très blasé parfois, souvent en train de discuter avec les autres. Il est gêné assez facilement mais ne se tracasse pas trop la tête. En apprenant à le connaître un peu plus chaque jour, on se rend vite compte qu'il est vraiment quelqu'un de bien.

- Oh Jade, je t'avais pas vue.

Il me sourit, plus ou moins sincèrement avant d'enlever son casque. Je lui répète ma question.

- Oh, c'est juste mes notes, je stresse.

Ah, oui, les notes. Je hoche la tête, compatissante. C'est vrai que ça peut foutre une pression pas possible et tordre le ventre. En tout cas, je ne le vivais pas si bien que ça l'année dernière. J'avais tendance à mourir intérieurement la plupart du temps quand je me prenais une mauvaise note. OK, c'était qu'un nombre sur ma copie, mais j'avais l'impression que c'était tellement plus grand. Mais ça c'était avant.

- Avant je vivais pour mes notes, avoué-je en le voyant épuisé.

- Moi un peu toujours.

Saul a l'air perfectionniste. Il vise très haut.

- Comment t'as fait pour pas te foutre cette pression ? J'ai eu 12 en maths, c'est pas mal et pourtant, j'ai l'impression d'avoir foiré mon trimestre. Désolé, c'est une remarque d'intello mais j'avais au moins 19 avant. Et genre... je sais pas je taffe quoi.

Son sourire paraît si triste, comme si cette note lui donnait le vertige.

- Ouais c'est frustrant.

On s'arrête au feu rouge. Saul soupire encore et encore. Il faut qu'il se rende compte que ça arrive d'avoir ce genre d'« accident ».

- Et même en physique où j'ai toujours réussi à avoir 17 partout, j'arrive pas à dépasser 13 ce mois-ci. Est-ce que c'est juste mon ancien lycée ? Je sais pas comment faire.

Le stress de Saul se ressent tellement qu'il m'en refile un peu. Toutefois, je ne le lâche pas du regard, pour lui donner du courage.

- Ça me soûle, achève-t-il péniblement.

Ça se voit qu'il n'aime pas trop se confier sur ça. C'est comme une boule de plaintes que moi, fille qui tape toujours dans les 14, n'arrive pas à comprendre clairement. Mais j'essaye de me mettre à la place de cette grosse tête, d'imaginer ce que ça fait d'avoir quelques échecs.

- Avant j'avais félicitations au collège. Puis, j'ai eu des compliments en seconde, et j'étais archi pas fière de moi. Mais ma sœur m'a dit que ça devait pas me stresser, et que c'est normal qu'on baisse un peu arrivé au lycée. Un trimestre sur deux, j'arrive à avoir 15. Tu sais même pas à quel point je suis refaite quand je les ai eus à mon troisième trimestre de 1ère S. Mais voilà, faut pas vivre pour ça, sinon je serai en train de crouler sous des équations.

Saul soupire :

- Mais j'ai juste cette tendance à croire que tout est déterminant, que chaque faux-pas va tout niquer.

Silence. Ce mec a clairement besoin de se vider la tête.

- Tu fais quoi là ?

- Je rentre chez moi.

- T'as du temps ? interrogé-je sérieusement.

Saul acquiesce. Le blond paraît déprimé.

- Viens on se pose sur un banc.

Sur le chemin, nous achetons des croissants et du jus de pomme. On prend notre goûter sur un banc libre. Une vieille dame s'assoit avec ses chiens de l'autre côté. Et j'écoute Saul m'expliquer qu'il veut être fort partout. Il n'y a rien de méprisant ou pédant dans le ton de sa voix, juste une exigence hors norme envers lui-même.

- Tu sais ce dont t'as besoin ?

Il n'a pas l'air de savoir, ce qui me rend fière d'avoir cette petite longueur d'avance pour l'aider.

- D'une histoire d'amour. Pour pas te focaliser que sur les cours.

Je pense alors à Olympe qui pense que le plan est mort depuis que Saul a l'air de flirter avec Tina en ES. C'est con mais ma meilleure amie baisse vite les bras face à la concurrence. Elle et Saul formeraient un beau petit couple.

À l'entente de ma remarque, le blond sourit de manière exaspérée.

- J'ai pas le temps pour les trucs d'amour adolescent.

Cette remarque me fait tout drôle, comme si Saul Mercier était une toute autre personne. J'ai toujours pensé qu'il serait juste le nouveau stéréotypé adoré par les autres, qui se ferait intégré à la bande de « fraîcheurs » surcotée. Ce qu'il est un peu finalement, mais pas vraiment.

Saul est un réaliste, anxieux et perfectionniste.

- T'as déjà essayé ? demandé-je bêtement.

Il répond par un « oui » bref. En même temps, il est beau et pas con. Il ne devrait pas avoir de problèmes à plaire aux autres selon les standards de la beauté actuelle.

- Et toi ? relance-t-il en me voyant mettre des miettes partout sur mon pull.

Y en a sûrement coincés entre mes dents.

- Non, on s'intéresse pas à moi. Je suis pas assez jolie pour ça.

C'est sorti tout seul, comme par réflexe. Saul m'a regardée avec des yeux étranges et je suis devenue toute rouge. C'est ce que je me dis souvent durant toutes ces années d'adolescence : que si je plais pas, c'est parce que je suis pas le genre de fille à plaire aux mecs de ma tranche d'âge. Je fais pas partie des canons de beauté des personnes de 17 ans.

- Mais non, t'es jolie Jade.

Il l'a dit si spontanément, après avoir croqué dans son croissant. J'ai décoché un sourire bridé, parce que ça m'a fait plaisir de l'entendre de sa bouche. Même si ça peut être aussi sincère que poli pour me remonter la morale.

- Toi Saul, faut que t'arrête de douter. T'es vraiment brillant.

Et c'est comme ça que Saul Mercier est passé de « pote » à « ami » un mercredi après-midi.


***

ON RENCONTRE BENJAMIN ce dimanche matin. Et oui le fameux copain de ma sœur. C'est marrant, Line est gênée pour tout. J'ai essayé de la rassurer mais Chêne fait tout pour la mettre mal à l'aise avec des dossiers ultra secrets. Mon petit frère est un monstre.

Benjamin a offert pleins de cadeaux à mes parents et s'est excusé de ne pas avoir pu les rencontrer plus tôt. J'ai dû garder ma tête sur les épaules quand des paquets de chocolat ont atterri sur le plan de travail.

Mon ventre gargouille et tout mon cœur crie à la famine.

- Chêne, psssst, passe-moi les choco, soufflé-je à mon petit frère, à trois pas de moi.

Il ne le fait pas, par flemme. Jolie famille soudée.

Line m'engueule du regard et je me tiens droite, vissée dans ma chaise. Mon père discute avec le petit-ami avec un bon français, pendant que ma mère boit les paroles sans comprendre. Elle est une vraie quiche dans cette langue.

- Va faire le riz, m'ordonne ma sœur.

Je l'interroge du regard. Elle est sérieuse ? Chêne, à côté de moi, qui a finalement attrapé les chocolats rien que pour lui, pouffe de rire.

J'aimerais lui foutre une baffe, mais me retiens. Je suis une gentille grande sœur, pas vrai ?

Tout de suite après, mon père répète ce qu'a dit ma sœur en chinois, et j'obéis, lasse et démoralisée.

Sur le chemin vers la cuisine, mon portable planqué dans la poche arrière de mon jean vibre soudainement.

C'est Saul.

« Tu veux essayer avec moi ? »

Je lui réponds alors, confuse :

« Essayer quoi ? »

Je patiente, comme si le message prenait un temps immense à être tapé, ou juste être envoyé. Peut-être que je ne le recevrai jamais.

- Bouge ton cul Jade, râle Line.

Je bafferai ma sœur plus tard. Rien ne m'empêche d'être une mauvaise petite sœur, par contre.

- J'ai compris roh.

Ma poche vibre de nouveau. J'extirpe mon portable avec une main moite et lis le message :

« Les trucs d'amour adolescent ».








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